La tentation du déni
Les « dénimenteurs » et le refus de l’élection Première Partie
par Jacques Halbronn
Un syndrome récurrent que nous aurons tout loisir d’observer est la tentation de l’universel qui s’oppose au principe d’élection. Nous observerons qu’à un certain stade va se produire un basculement visant à noyer ce qui est spécifique au sein d’un océan d’universel, ce qui correspondrait au passage de la Subconscience vers la Surconscience.
Cette attitude est sous-tendue par le refus des définitions. On se contente d’employer des mots sans les préciser par des adjectifs et des adverbes. Or, nous allons montrer-dans le corps du présent ouvrage- qu’une langue est duelle, en ce qu’un mot isolé ne fait pas sens, qu’il importe de le compléter. Si l’on prend le domaine de la création, des mots comme écrire, peindre, composer se prêtent à tous les abus de langage. N’importe qui ou à peu près est capable d’écrire, de faire des phrases, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’abord de savoir parler. N’importe qui est capable de mettre des couleurs sur une toile ou même de produire des sons sur un synthétiseur, avec l’aide d’un ordinateur. Est-ce là une quelconque garantie d’un don particulier si ce n’est celui, fort ordinaire, dont disposent la plupart des êtres humains- non atteints de pathologies – et qui est peu ou prou sous-tendu par un certain mimétisme ? Plus que jamais, la question est bien celle du sujet, qui écrit, qui peint, qui compose – et nous verrons que le sujet n’apparait que dans l’oralité et disparait dans l’écrit – en ne contentant pas du « pronom » dont le nom même indique une idée de remplacement. En fait, une langue fait nécessairement abstraction du sujet. Elle ne nous dit jamais qui parle, c’est censé être sous-entendu. La langue n’est qu’un outil qui peut servir à n’importe qui sinon pour n’importe quoi. Le problème de la langue, c’est la qualification. Le terme ‘ »adjectif qualificatif » est révélateur d’une telle problématique. Si je parle sans qualifier ce que je dis, je reste dans le flou d’une part parce que je ne précise pas la qualité de l’action ou de l’objet et d’autre part parce que je n’indique pas la qualité du sujet qui s’exprime et se sert de pronoms personnels qui ne sont -comme leur nom l’indique- que des substituts, comme on dira d’un procureur. On notera que le qualificatif est aussi étymologiquement un interrogatif: quelle heure est-il? La qualité (dérivé de quel?) fait question. En fait, se demander c’est aussi demander et commander. L’interrogatif confine à l’impératif.
Le critère du visuel ne saurait être ignoré même au regard de ce que nous appelons la Subconscience. On ne saurait attribuer la faculté de voir à ce qui ne se peut qu’au télescope. Les bons esprits seront probablement choqués non pas tant de ce que nous écrivions sur l’astrologie voire sur le paranormal mais que nous l’incluions dans un ensemble plus vaste de domaines, sans nous situer du seul point de vue historique, sociologique ou ethnologique. A la fin du XVIIe siècle, l’astrologie pouvait encore être intégrée parmi des considérations plus larges. (cf. l’œuvre d’Eustache Le Noble, Tableaux des Philosophe, fin XVIIe-début XVIIIe siècles- un auteur oublié jusqu’à nos travaux par les historiens de l’astrologie et qui dépuis a retenu l’attention de Patrice Guinard et de Guy Tailllade))
La question ontologique est intimement liée à l’étude des causes. On sait combien il est lassant d’entendre des gens affirmer qu’ils ont enfin trouvé la cause d’un mal (comme le chômage) et de devoir constater que leur diagnostic n’a pas eu d’effets parce qu’il n’aura pas abordé les vraies causes. Cela tient souvent au fait que ces vraies causes constituent un tabou, relèvent du déni, de ce qu’il est « interdit » d’exprimer, ce à quoi il ne faut pas toucher. Quelqu’un, par exemple, qui se gratte, peut se demander ce qui est la cause de ses démangeaisons : est-ce lié à un facteur interne ou externe ? A une mauvaise alimentation ou bien à des parasites, comme les tiques ou encore une mycose. Le traitement, dans les divers cas, ne sera évidemment pas le même selon qu’il s’agit d’une agression animale ou végétale, interne ou externe. En fait, il est des causes que nous sommes toujours disposés à mettre en avant parce que nous avons à leur encontre un préjugé défavorable (ex antisémitisme) et des causes que nous nous refusons à pointer du doigt parce que cela concerne des enjeux auxquels nous n’entendons pas renoncer.
Le travail de recyclage exige de prendre conscience des dispositions contextuelles, conjecturelles qui ne méritent pas d’être perpétuées à la différence des facteurs structurels. Or, dans la pratique, force est de constater que les données contextuelles perdurent bien au-delà de la limite impartie, au nom de quelque tradition qui pourra ainsi perdurer. La notion de cycle peut faire l’objet de malentendus. Il nous faut périodiquement nous renouveler sans pour autant renoncer à notre être. Ne pas se renouveler, c’est aussi laisser perpétuer contre soi les mêmes attaques. A contrario, se repositionner exigera de la part d’autrui un nouveau travail, faute de quoi son attitude risque d’être en porte à faux.
Il faut parfois cependant énormément de temps et de peine pour parvenir à découvrir- c’est à dire à ôter ce qui couvrait- puis à signaler de telles incongruités incrustées et bien entendu pour restituer la structure dans son état antérieur à des ajouts qui auraient dû rester ponctuels et promptement évacués. Un réformateur ne peut se contenter de proposer des changements, il doit déconstruire ce qui existe et c’est pourquoi notre travail ne peut faire l’économie d’une critique des représentations en cours.
Il nous faut dénoncer une stratégie consistant à laisser proliférer certains phénomènes pour justifier certaines idéologies. Dans le cas de l’astrologie, pour éviter toute recherche sérieuse et bien encadrée, on laisse délibérément se développer, se déployer des discours d’astrologues qui servent de repoussoir pour (se) convaincre que la cause de l’astrologie est entendue, une affaire classée, et que ce domaine ne mérite pas qu’on aille y voir de plus près, sans passer nécessairement par les propos que l’on trouve exposés dans les manuels d’astrologie. Or, l’astrologie ne se réduit pas à de la vulgarisation mais doit englober la recherche de pointe. Autrement dit, on se contente de dénoncer ce que l’on y trouve couramment sans reprendre le problème à la base. Va-t-on juger de l’état d’une discipline par sa pratique populaire? Ce serait là porter des jugements de mauvais aloi! Il importe de veiller à une certaine forme d’exhaustivité- ce qu’Internet facilite – quand on entend porter un jugement sur un domaine, en ne se contentant pas d’un discours dominant toujours en retard sur la recherche. Ce serait confondre sociologie ou ethnologie avec épistémologie! Qu’aurait été au début du XXe siècle un panorama de la physique qui aurait, sous quelque prétexte, négligé les travaux d’Einstein?
On retrouve la même stratégie pour la question des femmes. On se contente, là encore, de rejeter les propos tenus par les uns ou par les autres, et l’on se dispense d’engager des recherches sur le sujet des femmes et pas seulement sur ce qu’on a pu en dire.
On pourrait en faire autant sur la question juive par- delà les discours qui peuvent avoir été tenus par les « antisémites ». Là encore, dénoncer certains clichés suffit-il à renoncer à mener des recherches sur le sujet?
Tout cela vise à déconsidérer et à décourager les travaux dans toute une série de domaines.
Une autre stratégie de découragement, de démobilisation, de dissuasion, consiste à présenter comme des « faits » ce qui est en fait l’effet d’incuries. C’est ainsi que le dérapage démographique n’est absolument pas remis en question quand cela permet de faire valoir certaines thèses. C’est un fait accompli ! Là encore, on pratique la politique du pire. C’est ainsi que sous prétexte qu’il faudrait nourrir tant de milliards de terriens, l’on en profite- ce qui relève de ce que nous avons appelé le Démos- pour faire valoir une certaine politique ou plutôt pour dénoncer des pratiques qui ne sont plus viables à une certaine échelle démographique, comme la consommation de viande que d’aucuns voudraient carrément bannir alors que dans la Bible, on régule certes les conditions de consommation de viande mais que celle-ci n’y est nullement interdite, ce que reprend le Coran. Si la viande était carrément bannie, on ne régulerait pas la consommation., sans parler du fait que tout interdit tient au fait qu’il existe précisément une telle pratique . Autrement dit, ce qui n’est pas généralisable ne serait pas acceptable! Rappelons qu’en voulant interdire la viande, on condamne l’élevage et donc cela conduit à la disparition de certains animaux qui n’auront même pas connu l’expérience de la vie ne serait-ce qu’un temps ; c’est là réduire l’enjeu de l’existence à la question de la mort laquelle aurait le dernier mot. On pourrait aussi dire qu’il ne faut pas faire d’ enfants car ils seront tôt ou tard condamnés à vieillir et à mourir.
Dans le domaine linguistique, on renonce à toute forme de planification, en soutenant qu’une politique de la langue ne peut qu’échouer en mettant en exergue certaines expériences peu convaincantes, notamment pour ce qui est d’une réforme de l’orthographe. Une fois de plus on veut jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans le domaine de l’urbanisme, on tend aussi à signaler des entreprises malheureuses pour se dispenser d’une véritable planification. Pour tuer son chien, on l’accuse de la rage.
Un des phénomènes les plus remarquables au regard des sciences sociales serait selon nous lié à la dégradation de l’image d’un leader, c’est à dire d’un prophéte, selon notre terminologie, et inversement le fait que cette image (blason) ternie, brouillée puisse éventuellement se redorer
Les exemples abondent de tels changements positifs ou négatifs qu’il s’agisse d’un Etat, d’un chef, d’une société. La Roche Tarpéienne est proche du Capitole et vice versa.
La dégradation s’opère en deux temps : d’abord l’image s’écorne, s’étiole, perd de son attractivité mais ce n’est là qu’un premier temps d’un cercle vicieux, d’une « descente aux enfers ».
Inversement, quand une image est positive, on enclenche quelque un cercle vertueux. On ne prête qu’aux riches. Une bonne image conduit à ce que l’on aura plaisir à la contempler, et par voie de conséquence on se trouvera de bonnes raisons pour avoir l’occasion de se trouver en sa présence le plus souvent possible. Fascination et rejet.
On conçoit donc que l’on soit périodiquement en situation de brûler ce qu’on a adoré, de nier un attachement,- d’où le dénigrement, le reniement, une certaine amnésie- une fascination qui n’auraient plus lieu, raison d’être au regard des circonstances. On sait que la reconnaissance en tant que gratitude est difficile à assumer. Si nous traduisons nos propos selon la dualité classique entre signifiant et signifié, on dira que si le signifiant se dégrade, il attirera des signifiés négatifs et s’il se ressaisit, se recentre, il fera (re) venir à lui une suite de signifiés positifs. Cette dégradation peut notamment être le fait de l’usure, d’une brisure inopinée de l’objet investi et qui n’est plus reconnu pour ce qu’il était. Le charme est rompu ! Ajoutons que reconnaitre n’est pas connaitre, le signifiant ne donne pas accès au signifié.
On peut dire que c’est là un processus dialectique inévitable, qu’il faut en passer par là, ce qui renvoie à une théorie cyclique. Une cote décline, une image se brouille du fait de dissonances, de discordances, ce qui correspond à une perte de cohésion, de cohérence, Inversement, une image peut se magnifier si les dissonances sont traitées comme il se doit et si un certain ménage-nettoyage- est opéré qui discernerait entre le bon grain et l’ivraie. Tel est bien la portée du rasoir d’Occam, à savoir ôter ce qui est en surplus, décaper, ravaler.
On pourrait résumer les différents dénis par celui du déni de dualité. On observe que la plupart des discours évitent de se situer dans la dualité tant de temps que d’espace, comme si l »on voulait figer les choses une fois pour toutes. On voudrait arrêter le cours du temps. On ne veut pas admettre que la roue tourne, c’est-à-dire qu’elle revient à son point de départ, tôt ou tard. Ce qui renvoie au Mythe de Sisyphe, cher à Camus.
Or, le déni pose un énorme problème épistémologique : car que faire face au refus de voir ce qui est, ce qu’il en est ? On passe de l’action la plus simple à la plus complexe et cela fait songer à un homme qui, soudainement, perdrait la vue. Sa vie s’en trouverait considérablement plus compliquée ! Comment prouver à un non-voyant que devant lui se trouve – à vue d’œil – tel monument comme la Tour Eiffel ? Par quel raisonnement devra-t-on passer ? Que faire avec quelqu’un qui ne capte pas les similitudes et les différence du premier coup d’œil ? Quelle perte de temps pour lui et pour son interlocuteur pour lui expliquer ce qui est « évident » (étymologiquement, ce qui se voit). (à suivre)
JHB
05 09 15