Jacques Halbronn 25 études nostradamiques parues dans la Revue Française d’Histoire du Livre fin 2011
Problèmes de chronologie nostradamique. 25 études.²
Par Jacques Halbronn
Avant propos
Les 25 études qui suivent ont été rédigées au cours des mois d’avril et de mai 2011, ce qui garantit une certaine homogénéité sous jacente. Elles reflétent donc l’état actuel de nos recherches et de nos réflexions. Nous avons regroupe nos études en deux volets : le premier concerne les difficultés qui s’offrent à la recherche nostradamologique et le second aborde la façon dont le corpus centurique s’est constitué et consolidé. La lecture de ces études exige de la part du lecteur l’acquisition d’un certain bagage qu’il pourra éventuellement trouver dans l’ »Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) » que Patrice Guinard a publié dans le cadre de cette même revue (n° 129, 2008) et qui refléte assez bien les positions dont nous menons ici une critique et une déconstruction systématique.. Nous avons largement recouru pour notre part, tout au long de notre exposé au Répertoire Chronologique Nostradamique de Robert Benazra que nous avons édité en 1990. Le corpus nostradamique nous fait songer à l’Hydre de Lerne que dut affronter Hercule et il nous a semblé heureux de renouveler nos assauts, au travers de chaque étude, visant chaque fois une nouvelle tête.
Liste des études
Premier volet: Méthodologie de l’historien
13La contribution du long dix-septième siècle à l’édition centurique
7Le revival nostradamique dans les années 1580
4De la détérioration à la formation du corpus centurique
2La coexistence de centuries d’almanachs et de centuries posthumes sous la Ligue.
23 Fil d’Ariane pour le dédale de la chronologie centurique
20 La question des sources du corpus nostradamique
16 Les filiations improbables des recherches astrologiques et nostradamologiques
24Méthodes de datation des documents antidatés
12 Avatars des mentions de dates, de nombres de centuries et de quatrains au titre des éditions.
13 Documents postdatés et documents antidatés dans le corpus nostradamique
15 Sur la date de la première impression des Centuries VIII-IX-X
3Le lancinant problème des pièces manquantes du corpus nostradamique
11 Des éditions à quatre Centuries vers les éditions à sept centuries
Second volet : les procédés des libraires
17L’étude négligée des épîtres centuriques en prose
8 La résurgence des premiers états des épîtres centuriques au milieu du XVIIe siècle
9 Vers une ’exigence de compréhension du texte des épîtres
7Matrices de la versification nostradamique
6Les centuries ou le passage de l’astrologie à l’onomancie
18La culture de l’’imposture dans le champ nostradamique
1Phénoménologie de l’emprunt appliquée aux champs astrologique et nostradamologique.
10Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés
22 La postdatation, un nouveau genre de contrefaçons nostradamiques
5La place des textes antinostradamiques dans la fabrication de faux centuriques
19 La question des sources du corpus nostradamique
20 Les titres des éditions et la question des 39 articles ajoutés à la « dernière « centurie-X (« second volet « )
Annexe
25 Essai de Dictionnaire du nostradamisme
Vers une nouvelle approche
de la bibliographie centurique
Il y a une vingtaine d’années paraissaient deux importantes bibliographies consacrées à Nostradamus1. La méthode d’investigation et de description de leurs auteurs consistait en un recensement et à une localisation des documents, ce qui impliqua de procéder à des enquêtes, bibliothèque par bibliothèque, pays par pays, non sans quelques lacunes, notamment du côté des Pays-Bas (Utrecht, La Haye). Le critère choisi était simple : tout imprimé portant le nom de Nostradamus pouvait entrer dans une telle bibliographie. On peut regretter que l’on ait ainsi laissé de côté toute une série d’ouvrages recourant à une iconographie évoquant assez nettement la littérature nostradamique, on pense notamment aux publications des Coloni.
À partir d’une telle recension qui permettait de ne plus se contenter de descriptions de seconde main, issue de bibliographies comme celle de Brunet, d’avoir directement accès au contenu, page par page, des divers ouvrages, les auteurs se contentèrent de les ranger année par année, selon les indications chronologiques complaisamment fournies sur les pages de titre ou à la fin des épîtres. On pouvait espérer que vingt ans après, un vrai travail de bibliographie critique aurait été mené, que les premières mises en question des éditions datées de 1566 et qui avaient fixé l’attention des nostradamologues du XIXe siècle (Henri Torné-Chavigny, Anatole Le Pelletier) auraient porté leurs fruits et que l’on aurait scruté avec la plus grande vigilance les éditions prétendument les plus anciennes, à savoir celles portant des dates contemporaines de la vie de Michel de Nostredame. On pouvait également s’attendre à ce que les biographies consacrées à Nostradamus fassent preuve d’une certaine prudence quant à l’insertion dans leur discours de données bibliographiques douteuses2. En 2003, pour célébrer le 500e anniversaire de la naissancce de Nostradamus, plusieurs colloques (à Salon-de-Provence, à la BnF, notamment) et diverses publications (celles de Drévillon et Lagrange, de Petey-Girard, etc.)3 eurent lieu qui firent très peu état de certains questionnements. Ajoutons les ventes publiques de nostradamica (catalogue Swann, New York, du fonds Ruzo, et plus récemment, à Paris, catalogue de la librairie Thomas Scheler, avec une introduction de M. Scognamillo) sans parler des sites consacrés à la recherche nostradamologique, comme celui de Robert Benazra (Espace Nostradamus), de Patrice Guinard (C.U.R.A.), de Mario Gregorio (propheties.it, en anglais)4.
Or, force est de constater que la recherche piétine, stagne et qu’au bout du compte, la progression depuis les années 1989-1990 est difficile à discerner, en dépit du fait que certaines critiques ont été portées, depuis plus de dix ans, à la connaissance du milieu des chercheurs, dont on n’aura finalement guère voulu ou daigné tenir compte. Le seul changement important, comme nous le laissions entendre plus haut, le seul changement significatif aura été – mais cela se produisit bien avant 1990 – l’abandon du modèle « 1566 » et l’adoption du modèle « 1568 ». Le critère avancé est celui du nom du libraire, lequel n’aurait exercé qu’à la mort de son père, à la fin du siècle. Mais l’on sait que cette contrefaçon date du XVIIIe siècle (cf. les notices de Chomarat et de Benazra). Elle poursuivait d’ailleurs un but assez louable, consistant à en revenir aux deux premiers volets, en se défaisant du troisième, ce qui correspondait à ce que nous avons appelé le courant critique du XVIIe siècle, inauguré par le dominicain Giffré de Rechac dans son Eclaircissement de 16565 et reprend d’ailleurs les éditions Benoist Rigaud 1568. Ce serait donc par erreur que le nom de Pierre serait apparu, du fait que des éditions sous le nom de Pierre étaient bel et bien parues, fort semblables à celles portant référence à Benoist (cf. RCN, p. 148), les faussaires du XVIIIe siècle étant mal renseignés sur la généalogie de cette famille de libraires lyonnais de la seconde moitié du XVIe siècle, et ce d’autant que ces éditions Benoist ou Pierre Rigaud étaient, selon nous, en elles-mêmes, des contrefaçons, mais cette fois de la fin du XVIe et du début du XVIIe. L’idée est lancée, celle de générations successives de faussaires – mais pas forcément œuvrant de concert – et ce déjà du temps de Nostradamus jusqu’à nos jours, si l’on considère que le travail des dits faussaires est entériné par des chercheurs contemporains, lesquels s’en font, objectivement, les complices et les successeurs, trouvant, le cas échéant, de nouveaux arguments pour perpétuer une malversation de la chronologie du texte centrique…
Il est d’ailleurs dans la démarche même de l’éditeur de contribuer à fausser, peu ou prou, nos représentations notamment dans le cas de rééditions, permettant à un texte de suivre une nouvelle carrière, des décennies voire des siècles plus tard. La notion même de fac simile, de reprint, peut porter à confusion. La possibilité de reproduire à l’identique des documents est intimement liée à l’essor des techniques d’impression, de gravure, tant et si bien que l’établissement scientifique de chronologies semble de plus en plus aléatoire. Nous verrons que les faussaires sont souvent victimes d’un excès de documentation plutôt que d’un manque et qu’ils se perdent souvent eux-mêmes dans l’accumulation des données accumulées. C’est précisément la source de toutes sortes d’erreurs susceptibles de faciliter notre chasse aux faux.
Nous mettons, d’entrée de jeu, en garde le lecteur : nous sommes dans le domaine des chronologies fictives. Il ne s’agit pas là d’une contrefaçon d’un document donné mais de la contrefaçon de tout un processus, un enchainement d’éditions ainsi plus ou moins heureusement orchestré, mais selon divers scénarios relatifs au passé, qui se chevauchent et se contredisent, ce qui exige une méthodologie et une formation spécifiques de la part du chercheur. Nous sommes dans le domaine de la reconstitution du passé au regard du présent non seulement au niveau du signifié (interprétation, glose) mais du signifiant (production de documents retouchés, fabriqués)
Itinéraire d’une recherche nostradamologique 1985-2011.
En 1990, quand nous publiâmes le Répertoire chronologique nostradamique de Robert Benaza, nous avions établi nous-mêmes le titre de l’ouvrage en introduisant l’adjectif « nostradamique » alors que venait de paraître une Bibliographie Nostradamus de Michel Chomarat6.
Sur la quatriéme de couverture, nous écrivions, il y a donc plus de vingt ans : « Maître Michel Nostradamus (…) a certes composé des almanachs, des pronostications et des prophéties. Cependant, les spécialistes discutent encore à propos des textes qui devraient réellement lui être attribués. La littérature nostradamique comporte en effet aussi bien l’œuvre proprement dite de Nostradamus que celle de ses adversaires, incluant les imitateurs et les commentateurs de telle ou telle partie du corpus recensé ». On aura compris que le terme « nostradamique » était sensiblement plus prudent et ce qui nous frappe chez nombre d’auteurs qui traitent de ce domaine, c’est un certain manque de retenue et ce, en dépit des mises en garde, au point de ne même pas/plus prendre la peine d’avertir le lecteur de l’existence de certains doutes, sinon en laissant entendre que ceux-ci émanent d’adversaires fanatiques de Nostradamus qui veulent le priver de ce qui a le plus de valeur dans son œuvre, n’hésitant pas à basculer dans une certaine diabolisation qui s’autorise le recours éventuel à la diffamation et aux sarcasmes.
Une des premières personnes que nous réussimes à sensibiliser à la problématique des éditions centuriques contrefaites fut le Québécois Pierre Brind’amour, lorsde son passage durant de longs mois à Paris, au début des années 1990, mais aussi en 1992 à Ottawa, où il demeurait, à l’occasion, d’un Congrès de la SIEPM. On trouve la trace de nos débats dans certaines pages de son livre, Nostradamus astrophile7. C’est alors que les chercheurs furent invités à collecter des preuves de la parution des Centuries du vivant de Nostradamus ; et le bilan, depuis lors, est assez limité. Nous y avons d’ailleurs contribué dans un premier temps, signalant ici la mention – sans autre explication d’une « seconde centurie » dans les Significations de l’Éclipse8 de 1559 et prenant en compte les Prophéties d’Antoine Couillard Du Pavillon9 – en date de 1556 – où l’on retrouve des pans entiers de la Préface à César (datée de 1555) connue pour introduire le premier volet des centuries, mais sans les attribuer explicitement à Nostradamus, et sans aucune mention des quatrains (cf. notre thèse d’État, p.1060 et ss.)10 et puis, surtout, nous avions été frappés en découvrant – avant Brind’amour11 – tant d’extraits des quatrains (toutes centuries confondues) dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise, Lyon, 157212, dont le titre ne mentionne pas de nom d’auteur mais que l’on attribué à Antoine Crespin Nostradamus / Archidamus, du fait d’un extrait de permission le désignant13. Là encore, ces textes ne sont pas signalés, dans cet ouvrage, comme étant de Nostradamus. Nous avions été impressionnés davantage par un passage d’une épître signée Jean de Chevigny, adressée au Président Larcher, en tête d’un texte bilingue latin-français, l’original latin étant de Jean Dorat14. Autant d’éléments qui nous avaient alors conduits à supposer la parution des 10 centuries autour de 1568 et a contrario d’en conclure à leur improbable parution du vivant de Nostradamus, peu après notre communication de 1997 aux Journées Verdun Saulnier, autour du quatrain IV 4615 où Tours, la capitale d’Henri de Navarre, était menacée de la ruine, ce qui situait la première partie (les premiers quatrains) de la Centurie IV du temps de la Ligue.
En 2002, nous publiâmes aux Éditions Ramkat, dirigée par notre ami Benazra des Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus. Nous y montrions notamment que les deux épîtres à César et à Henri II figurant dans les Centuries reprenaient des épîtres du dit Nostradamus en tête de textes bien différents de celui des Centuries.
En 2003, au Congrès mondial des études juives, Université Hébraïque de Jérusalem, dans une communication consacrée à Antoine Crespin, nous envisagions que les Centuries auraient pu, en partie, avoir emprunté à Crespin ayant retrouvé dans diverses publications parues sous son nom des éléments centuriques, notamment des versets relatifs à Avignon. En 2004, nous organisâmes à Paris, un colloque réunissant des universitaires comme Roger Prévost, Bernard Chevignard ou Gérard Morisse, qui venait de publier à Budapest une édition des Centuries au nom d’Antoine du Rosne, 1557, exemplaire de la Bibliothèque Nationale de Budapest.
Grâce à Robert Benazra et son « Espace Nostradamus », nous mimes en ligne quelques années durant plus d’une centaine d’études et des réactions à celles-ci, notamment en 2003, qui servirent à élaborer notre post doctorat de 2007 (voir note 5).
Récapitulons plus en détail nos analyses successives de 1999, 2002 et 2007.
Dans notre thèse d’État, on trouve la reprise du travail de Chantal Liaroutzos16, étendue à d’autres ouvrages de Charles Estienne (p. 1129 et ss.), à savoir les Saints Voyages. On y présente également (p. 1105 et ss.) les Prophéties de Noël Léon Morgard, lesquelles comportent des sixains, ce qui pose à nouveau la question des emprunts des quatrains à certains auteurs de prophéties. Nous y avons de même abordé la question des mots en majuscules (p. 1041 et ss.), procédé typique dans le Janus Gallicus (1594)17et pouvant servir à classer les éditions. Nous y mettions en question l’authenticité des Significations de l’Eclipse pour 1559 (p. 998 et ss.). Nous y montrions comment la première Épître à Henri II avait pu servir pour réaliser celle qui figurerait en tête du second volet.
Qu’apportions-nous de plus en 2002 dans les Documents inexploités…, en dehors de quelques reprints (Morgard, Crespin, Présages Merveilleux 1557) ? Nous y développions notamment la thèse du « double jeu d’éditions » (p. 12 et ss.), les libraires publiant conjointement une édition « moderne » censée reproduire une édition plus ancienne qu’ils produisent – et non reproduisent – également, du moins dans certains cas. Plusieurs pages sont consacrées au manuscrit de la Bibliothèque de Lyon Part-Dieu, le Recueil des Présages Prosaïques18, datésde 1589, où nous percevions certaines retouches que l’on pouvait imputer à Jean-Aimé de Chavigny.
En 2007, nous soutinmes donc notre post-doctorat, uniquement centré, à la différence de la thèse d’État, sur Nostradamus mais aussi sur le XVIIe siècle. Outre une part importante consacrée à démontrer la paternité de Giffré de Réchac sur l’Éclaircissement de 1656, lequel se proposait d’évacuer des éléments douteux, à commencer par les sixains ; en cela nous en faisions le précurseur d’une certaine critique nostradamique. Nous accordions la plus grande importance à l’édition anglaise de 1672 des Centuries, traduite par Théophile de Garencières19, qui comportait des variantes par rapport à la préface à César qui, selon nous, correspondaient à un premier état disparu de la Préface centurique (p. 303 et ss.). Ce premier état de la Préface entendait, selon nous, attester de la parution posthume des Centuries, d’où la présence du mot « mémoire », synonyme de testament. Nous avons également montré que les quatrains des almanachs de Nostradamus reprenaient des termes des prédictions en prose placées dans les mêmes almanachs (p. 504 et ss.), nous suggérions que la versification n’avait pas été l’œuvre de Nostradamus mais d’un collaborateur. Nous remettions en question la date de parution (1570) de l’Androgyn, seul document antérieur à 1588 – en dehors des éditions centuriques, à comporter un quatrain dument référé (p. 700 et ss.). La comparaison des vignettes joue un rôle central dans notre approche critique du « canon » et nous semble avoir bien à tort été négligée jusqu’alors.
Phénoménologie de l’emprunt appliquée aux champs astrologique et nostradamologique.
La question de l’emprunt nous interpelle depuis plus de trente ans, et nous lui avions déjà consacré une certaine place dans un DEA de linguistique, dirigé par André Joly (Université Lille III, 1981). L’ « Emprunt linguistique » est une notion qui nous est familière de longue date et nous avons préparé deux mémoires sous la direction du linguiste Louis-Jean Calvet (Université Paris V, 1987 et 1989), traitant en grande partie de cette problématique. Cette formation nous aura été utile dans nos publications consacrées à l’astrologie et à Nostradamus. Il nous a donc semblé opportun de proposer brièvement une « phénoménologie de l’emprunt » suivie des applications de ce concept au dit champ textologique, lequel selon nous fait partie intégrante des études linguistiques, lesquelles devraient intégrer tant l’histoire des langues que des textes.
I. Esquisse d’une phénoménologie de l’Emprunt
Comment identifier un corpus marqué par l’emprunt ? En principe, on ne prend conscience qu’il y a emprunt que lorsque l’on découvre la source de l’emprunt, que l’on a identifié le « prêteur », même si celui-ci n’a pas donné son consentement ou n’est pas informé. On peut alors parler de piratage, de plagiat. Mais il nous semble que la situation d’emprunt peut être constatée même en l’absence – du moins dans un premier temps – de la connaissance l’original, car il y a des stigmates, des symptômes assez caractéristiques. Prenons un exemple venu de l’économie. Si dans un pays, il y a des voitures mais aucune usine pour les fabriquer, c’est qu’elles sont importées. Il se pose donc un problème de cause à effet. On n’a pas toute la chaîne, il y a des maillons manquants dans l’enchainement conduisant au « produit », il y a discontinuité. On a un produit « fini » mais dont certaines étapes de formation font défaut.
Quand la source est identifiée, la différence devient nettement plus flagrante. Dans le corpus-source, les articulations sont bien plus nombreuses, on suit mieux l’évolution, la progression des choses, que ce corpus se situe en amont ou en aval car un emprunt peut servir à étoffer rétroactivement un corpus plus ancien que le corpus-source. C’est là un paradoxe : l’emprunt bouscule parfois la logique diachronique et génère une aporie spatiotemporelle. Parfois, cependant, le corpus « empruntant » vient compléter le corpus « prêteur » quand celui-ci s’est corrompu ou a subi des modifications : le nombre de cas où des traductions sont tout ce qui reste d’un état d’origine est bien connu. Mais souvent, les deux corpus viennent ainsi se compléter. L’emprunt prend alors toute sa valeur pour l’historien. C’est ainsi que l’anglais actuel a emprunté historiquement à l’ancien français des tournures qui n’existent plus en français moderne, il les a perpétuées. Pour appréhender la formation d’un corpus, il est donc essentiel d’en extraire, d’en localiser les emprunts, tant ceux qu’il a effectués que ceux qu’il a subis.
Mais que se passe-t-il quand l’emprunt est devenu méconnaissable, quand il s’est de facto démarqué de sa source ? Cesse-t-il d’exister ? Nous dirons d’une part qu’il subsiste toujours des éléments relatifs au dit emprunt, ne serait-ce que partiellement et que d’autre part, la perte de conscience de l’emprunt, notamment sous une forme à la provenance opaque, empêche le savoir en question d’évoluer, de se renouveler, du fait d’un processus d’incrustation. Un tel élément ne peut être remplacé puisqu’il est marqué par une idiosyncrasie qui le rend incomparable. Il ne ressemble à rien de connu, donc l’emprunteur est renforcé dans la fausse idée que cet élément lui est consubstantiel.
Dans l’absolu, tout emprunteur peut faire ce qu’il veut de qu’il emprunte et lui imprimer sa marque ; mais en même temps, cela n’en restera pas moins un corps étranger et plus ou moins décalé. Il convient évidemment de distinguer ce dont nous héritons par filiation génétique, naturelle et ce que nous recevons du fait d’un certain environnement culturel venant se surajouter. Bien évidemment, toute une méthodologie est nécessaire pour débrouiller chaque écheveau, au cas par cas, mais en cela consiste le travail du chercheur dans un certain nombre de domaines.
Quels sont les traits qui dénotent de l’existence d’un emprunt ? Le caractère discontinu du corpus qui peut certes être dû à l’existence de pièces manquantes. Si l’on identifie de telles pièces du puzzle qui font défaut à une période plus ancienne ou plus tardive, il importe de s’interroger et en tout cas de le signaler.
Quelle est la fonction de l’emprunt ? Remplir un vide. Souvent l’emprunt sert à produire des contrefaçons d’autant qu’il est lui –même en soi une forme de faux. On a l’exemple devenu classique des Protocoles des Sages de Sion, réalisés, à l’extrême fin du XIXe siècle, à partir d’un pamphlet de Maurice Joly, paru trente ans plus tôt20. On parlera de croissance externe et non interne, comme dans le cas d’une entreprise en rachetant une autre.
Rien n’est plus remarquable, il semblerait, que le cas où l’emprunt emprunte à un emprunteur. Retour à l’envoyeur. Or, quoi de plus tentant que d’emprunter à un corpus qui visait justement à rechercher une certaine patine du temps, que d’emprunter à ceux qui ont, par exemple, fait, sous la Ligue, du faux Nostradamus, en orchestrant sa renaissance, pour les prendre au mot ? Les pistes s’entrecroisent et l’on comprend que d’aucuns s’y perdent.
Nous nous intéressons tout spécialement à un cas de figure assez particulier mais qui pourrait finalement apparaître comme beaucoup plus fréquent qu’on ne pourrait le croire. Il s’agirait en quelque sorte de prêts plus que d’emprunts. On prête à tel auteur des textes qu’il n’a pas écrits, on introduit au sein d’un savoir des données qui n’en font pas partie au départ. On réécrit l’histoire d’une époque en se servant d’éléments qui lui sont étrangers. Et ensuite, les historiens entérinent ce type de stratagème, ce qui fausse les perspectives.
II Application au champ-nostradamologique».
Dans un premier temps, les libraires de la fin du XVIe siècle récupèrent le personnage de Nostradamus (1503-1566). Mais dans un deuxième temps, les biographes de Nostradamus, dont le plus récent est Denis Crouzet (Nostradamus, Payot, 2011), récupèrent, sans en avoir d’ailleurs conscience, les éditions ligueuses des années 1580-1590, pour les intégrer dans leur représentation de la vie de l’auteur, sous le prétexte qu’existent des éditions datées du vivant de Nostradamus (1555, 1557 ou suivant de peu sa mort, 1568). Ce faisant, ils perturbent considérablement la chronologie bibliographique des éditions centuriques. Bien entendu, le biographe sérieux ne saurait tomber – et faire tomber ses lecteurs – dans certains pièges tendus des siècles plus tôt. Il devrait en tout cas prendre toutes les précautions dans ce sens et tenir compte des avertissements émanant de certains chercheurs, plus vigilants ; pour le moins, il se doit de signaler à ses lecteurs les doutes exprimés à cet endroit.
Revenons plus en détail sur le cas des fausses éditions centuriques21, qui est un cas d’école et au sujet duquel les historiens, en ce début de XXIe siècle, continuent de s’opposer, plus de 400 ans après les faits. Nous avons deux séries :
- une série A, constituée de diverses éditions datées – au regard des pages de titre – des années 1588 à 1590.
- une série B, constituée d’éditions datées au vu des pages de titre – mais non du fait d’une méthodologie rigoureuse – des années 1555 à 1568.
En apparence, la série B serait issue de la série A. En fait, c’est le contraire qui s’est produit, la série A ayant emprunté voire n’existant que par son emprunt à la série B. C’est bien là tout le débat.
On observe que la série A, pour ce qui est des éditions 1555 (Macé Bonhomme) et 1557 (Antoine du Rosne [Budapest et Utrecht, du nom des bibliothèques qui les conservent]) comporte trois versions correspondant à des états différents ; respectivement :
1 (1555) à 4 centuries, dont la IVe à 53 quatrains seulement,
2 (1557) à 7 centuries, dont 99 quatrains pour la VIe, et 40 à la VIIe,
3 (1557) à 7 centuries, dont 99 quatrains pour la VIe plus un avertissement latin, et 42 quatrains à la VIIe.
Pour celui qui n’a pas pris ou voulu prendre connaissance de la série B, quelles observations néanmoins peut-il déjà effectuer concernant la série A ? Contextuellement, ces éditions – et mieux encore leur contenu – ne sont pas attestées, il y a là un « trou » dans la documentation historique en dépit du fait que celle-ci est relativement abondante : on dispose de dizaines d’almanachs et de pronostications tant signés Nostradamus, autant en imprimés qu’en manuscrit (Recueil des présages prosaïques, voir note 19), – y compris chez les faussaires de l’époque – que signés d’autres auteurs ; on connaît diverses attaques contre Nostradamus ; on a retrouvé des dizaines de lettres de et à Nostradamus22 (cf. Lettres Inédites, présentées et traduites par Jean Dupébe, Droz, 1983). On dispose pourtant de recensions bibliographiques comme celles de M. Chomarat (1989) et de R. Benazra (1990), très extensives, et la recherche s’est poursuivie vainement depuis 20 ans.
Iconographiquement, ces éditions ne comportent pas les mêmes vignettes en page de titre que celles qui sont attestées dans les pronostications de Nostradamus des mêmes années 1550. Mais ces diverses vignettes ont un air de famille avec les dites vignettes authentiques et ressemblent surtout fortement à celles des faux almanachs parisiens, faussement signés Nostradamus (chez Barbe Regnault) des années 1560. On observe également des similitudes entre une pronostication (de Sconners) parue chez Antoine du Rosne en 1558 et les éditions centuriques censées parues chez le même libraire, mais là encore, des différences sensibles dans le dessin sont à constater.
Bibliographiquement, aucune édition centurique n’est attestée, en tant que telle, du moins au regard de sa date au titre, entre 1568 et 1588. Là encore, il y a un « trou ».
Éléments externes aux éditions centuriques cautionnant toutefois l’existence d’éditions dans les années 1550 :
- 1. Les Prophéties d’Antoine Couillard, Paris, 1556, qui reproduisent des passages du texte de la Préface centurique de Nostradamus à son très jeune enfant César.
- 2. La mention d’une « centurie seconde » dans les Significations de l’Éclipse de 1559 (Paris), signées Nostradamus, comportant la même vignette normalement réservée aux Pronostications de Nostradamus.
- 3. L’épître de Jean de Chevigny à Larcher, en tête d’un texte de Jean Dorat sur la naissance d’un Androgyn, Lyon 1570, avec un quatrain dûment signalisé selon la pratique des éditions centuriques.
- 4. Les Prophéties à la Puissance Divine et à la Nation Française, Lyon, 1572, attribuées à Antoine Crespin23, comportant des « adresses » dont le contenu recoupe celui de dizaines de quatrains issus des dix centuries (et pouvant correspondre aux éditions Benoist Rigaud 1568 à dix centuries).
- 5. Les Bibliothèques de La Croix Du Maine et de Du Verdier (1584-1585), à l’article « Nostradamus ».
Ces divers documents ont fait l’objet d’analyses de notre part. Dans les cinq cas, il semble bien que l’on ait affaire à des contrefaçons, ce qui témoigne du zèle des faussaires ou de conclusions insuffisamment fondées sur la base d’un terme (prophéties, centurie, quatrain, un nom propre) auquel on accorde une signification qu’il ne revêt pas nécessairement dans le contexte.
Il ne faut pas oublier que si ce sont de fausses éditions tardives datant de la période « B », elles ont été vraisemblablement réalisées à partir de données empruntées à ce qui tourne autour de Nostradamus, de son temps, notamment en ce qui concerne la dimension matérielle. C’est ce qui vient singulièrement compliquer la recherche.
Bien évidemment, si le chercheur qui ne connaissait que la série A prend connaissance de la série B, d’autres réflexions ne sauraient manquer de se présenter à son esprit, s’il est de bonne foi. En effet, la série B comporte des chaînons manquants dans la série A.
On observe l’existence de chaînons intermédiaires entre 1555 et 1557 :
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des éditions Paris 1588 qui comportent l’indication d’une addition après le 53e quatrain qui termine l’édition Macé Bonhomme,
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les mêmes éditions comportent en leur titre, mais pas en leur contenu (ce point ayant été éclairci par nous ailleurs) l’annonce d’une addition pour 1561 de 39 « articles » à une « dernière centurie » qui ne semble pouvoir être autre que la VIe, se terminant par l’avertissement latin,
- l’édition Anvers 1590 qui comporte 35 quatrains à la VIIe et qui semble donc précéder l’édition 1557 à 40 quatrains à la VIIe,
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tout cela viendrait donc s’intercaler entre l’édition Macé Bonhomme 1555 et l’édition Du Rosne 1557 Utrecht, comportant l’avertissement latin entre la VIe et la VIIe centuries (cette dernière à 42 quatrains à la VIIe),
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bien entendu, nous simplifions ; mais on observe, sur cette base, qu’étrangement l’édition 1557 serait « postérieure » à l’édition 1561 puisqu’elle comporte déjà les quatrains de la VIIe Centurie. Comment expliquer un tel phénomène ? Un revirement dans la politique des libraires, préférant in fine produire des éditions antidatées abouties et qui l’auraient été dés 1557 voire dès 1555, si l’on en croit les dernières lignes de l’édition 1590 Anvers, à 7 centuries, se référant à une édition 1555 comparable, non retrouvée. Inversement, les éditions antidatées viennent elles-mêmes compléter la chronologie des éditions ligueuses dont elles sont très vraisemblablement issues. Notons l’observation de Patrice Guinard (in « L’appareil iconographique des éditions Macé Bonhomme » (site Espace Nostradamus. N°135) : « L’édition d’Anvers, à sept centuries, ne peut reproduire une édition de 1555 qui n’en contenait que quatre. ». C’est révélateur d’une méthode qui consiste à réduire le corpus Nostradamique aux exemplaires qui nous sont parvenus.
Conclusion : de la responsabilité des historiens
On peut raisonnablement se demander si les principaux complices des faussaires ne sont pas les historiens qui reconstituent le cours des choses à leur façon ou plus largement si ce n’est pas le regard rétrospectif qui fausse quelque peu les perspectives. Il est bien probable qu’au départ, et c’est assez flagrant dans le cas de l’astrologie, il ne s’agissait que d’ajustements de l’astrologie à telle ou telle imagerie liée au contexte dans lequel elle était reçue – et l’on sait que l’astrologie a traversé les périodes et les cultures les plus diverses. Mais précisément, en restant par trop marquée par son passé, elle devint de moins en moins capable de s’adapter à de nouvelles époques, c’est probablement cela son drame et la cause de sa marginalisation, du fait de la sclérose de ses emprunts qui n’étaient plus reconnus comme tels. Il suffit d’interroger de nos jours les astrologues pour constater qu’ils sont terriblement attachés à ce qui n’aurait dû faire sens que ponctuellement. Certes, il est des astrologues qui ont tenté de se démarquer, mais ils n’ont fait le travail qu’à moitié, conservant notamment un découpage numérique qui les empêchait de procéder à des emprunts plus modernes, devant ainsi se contenter de demi-mesures. On ne se sert plus du nom des signes ou des planètes mais on garde néanmoins les 12 secteurs et l’on prend en compte toutes les planètes, passées, présentes et à venir. Ce qui est excusable de la part d’astrologues ou de nostradamologues qui ne sont historiens que d’occasion, l’est beaucoup moins, en revanche, chez des historiens «professionnels » qui devraient montrer l’exemple. Or, le problème actuel, dans les domaines en question, c’est de noter à quel point les historiens de métier commettent les mêmes bévues que les apprentis historiens apologètes et somme toute produisent des textes du même ordre, les uns s’accompagnant d’une riche bibliographie, les autres échouant à replacer les choses dans leur contexte ; quitte à se référer à des périodes plus tardives que celles du corpus considéré, dans la mesure même où l’emprunt peut aussi bien viser le passé que le futur quand il est réalisé après coup. Car ce qui est assez étrange, ici, c’est que l’on contracte ainsi des emprunts a posteriori, pour le compte de personnes qui n’en demandaient point tant. Aussi bien l’astrologie que Nostradamus auront souffert, l’un comme l’autre, d’une « modernité » appliquée rétroactivement. Or l’historien tend trop souvent, encore de nos jours, à croire que l’on ne peut emprunter qu’à ce qui existe déjà et non à ce qui est encore à venir. Mais le passé n’est-il pas une reconstruction permanente, qui se nourrit d’un certain anachronisme ? Il y a là, en tout cas, un obstacle épistémologique dont il faut absolument prendre conscience. Si Nostradamus s’est vu ainsi doté d’éléments biographiques fantaisistes et contrefaits qui sont venus éclipser sa vie réelle, au point que certains auteurs24 n’hésitent pas à lui dénier le titre d’astrologue, au vu des seules Centuries, qui sont l’arbre qui empêche de voir la forêt. L’astrologie, quant à elle, n’est plus perceptible sinon à travers le prisme zodiacal, à travers le panthéon mythologique, à travers le thème natal, dont les historiens s’accordent à ce qu’il émerge tardivement dans son « évolution », autant de facteurs qui sont venus se greffer sur elle et qui semblent en être indissociables, au point d’empêcher de saisir l’astrologie en son noyau dure, en son « tronc », ce qui hypothèque son statut scientifique. Dans le cas de Nostradamus, en principe, il semble relativement aisé de faire la part des choses, au vu des documents qui nous sont parvenus, mais il reste que ceux-ci cohabitent avec des contrefaçons comportant les mêmes dates, sur la base notamment des épîtres qui les introduisent (Préface à César, 1555, Adresse à Henri II, 1558). Dans le cas de l’astrologie, les choses sont plus complexes du fait qu’il est plus délicat de dégager le point de départ, sauf à considérer que c’est tout simplement le système solaire. D’aucuns ont cru y trouver la solution à cette problématique des origines, mais la solution semble bien être devenue le problème. Certes, dans l’absolu, l’astrologie est née d’une certaine approche de l’astronomie, on peut même dire qu’elle a « emprunté » à l’astronomie ce dont elle avait besoin mais avant toute chose, l’astrologie est une réflexion sur le cosmos, et plus spécifiquement au départ sur le cycle soleil-lune, connu de très longue date, bien avant que l’on apprenne à distinguer entre planètes et étoiles qui ne faisaient qu’un dans les représentations les plus anciennes. De là est née, selon nous, une numérologie liée à l’écoulement du temps, autour de certains nombres, dont le principal fut probablement le 7 (d’où son importance dans l’Ancien Testament : Sept jours de la Création, respect du repos du septième jour, alternance sept ans et sept ans, etc.). Certaines coïncidences semblent avoir introduit quelque confusion : le découpage du cycle annuel en 4 saisons est-il un fait en soi ou est-il calqué sur les quatre temps du rapport lune-soleil, l’importance du septénaire (luminaires plus cinq planètes) n’est-elle pas tributaire de ce nombre 7, étant donné que les luminaires ne sont pas de même nature que les planètes ? On a vite fait d’inverser les rapports et de placer au départ les saisons et les planètes. Or, il nous semble que c’est là littéralement un contresens. Quand on a compris que le 7 est le paradigme d’une numérologie, l’on comprend alors que l’on soit allé chercher le 7, le moment venu, quand le phénomène planétaire fut mis en évidence, du côté de Saturne, en tentant de faire de cette planète, la plus lointaine connue jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, une sorte de Lune supérieure, parcourant un tapis d’étoiles fixes. Que l’on ait été tenté de « structurer » son parcours en recourant au nombre 12, qui était déjà à la base du rapport lune-soleil, quoi d’étonnant si ce n’est que là n’était pas l’essentiel. En cela, une telle division ne constitue pas une structure matricielle de l’astrologie25 mais un facteur de structuration qui n’existe que par ce à quoi il s’applique, lequel facteur peut être remplacé par d’autres – comme le dispositif des maisons qui n’était pas nécessairement à 12 secteurs mais à 8, surtout lorsqu’il n’est plus maîtrisé au niveau de sa dimension cyclique pour ne plus être qu’une suite de « symbol
2 La coexistence de centuries d’almanachs et de centuries posthumes sous la Ligue.
Toute publication est une réécriture qui tend à masquer, à refouler son processus de formation. Avec les Centuries, nous avons la chance de pouvoir prendre connaissance d’une complexe série d’états successifs avant que cela ne débouche sur un ensemble définitivement cristallisé. En ce sens, les documents dont nous disposons ou dont nous pouvons raisonnablement supposer l’existence en tant que chaînons manquants constituent un corpus singulièrement intéressant qui dépasse largement le champ considéré au regard de la création littéraire. Comme pour les calculs des astronomes, il arrive que certaines perturbations ne puissent s’expliquer que par la présence d’un objet non encore recensé mais dont on doit supposer l’existence. En l’occurrence, nous serons conduits à admettre l’existence d’un autre jeu de « centuries », ce qui constitue un diptyque, autour de la question : qu’est ce qui est qualifié de « centurie » et là encore on aura à distinguer entre le mot et la chose, le contenant et le contenu.
Dans le présent texte, nous essaierons de suivre l’évolution qui conduisit de la « Prophétie de Nostradamus » – puisque tel est le titre qui fut donné au départ – comme l’atteste le contenu sinon le titre de l’édition de Rouen Raphaël du Petit Val 158826- non encore divisée en centuries à ce qu’on appelle généralement le « premier volet » à sept centuries des Prophéties de M. Michel Nostradamus. Il apparait que l’on aura commencé par la thèse d’une édition posthume de textes encore jamais imprimés –expression qui s’est maintenue dans nombre d’éditions de l’époque, puisque le premier volet porte la mention « dont il y en a (ou dont il en y a ) trois cens qui n’ont encore jamais esté imprimées », ce qui renvoie non pas à des centuries mais à des quatrains, point important puisqu’au départ l’ensemble n’était pas encore réparti en centuries, ce qui explique que l’on n’ait pas un compte rond et que des centuries soient « incomplètes » ou le soient restées un certain temps. L’expression « non encore imprimé » aurait du, d’ailleurs, empêcher de se développer la thèse de la réédition. 27. Nous montrerons notamment que le mot « centurie » ne fut pas initialement employé pour désigner les centuries que désormais nous appellerons « posthumes » mais bien pour les almanachs parus du vivant de Nostradamus. De même, le terme « prophétie » s’il renvoie à des quatrains ne concerne pas nécessairement les quatrains posthumes.
Au départ, les quatrains posthumes n’auraient pas été rangés en centuries. Toujours est-il que l’on finit par passer à une centurisation des quatrains, comme en témoigne la même édition de Rouen 1588, où on nous parle d’une division en quatre centuries, sans que le contenu corresponde. A partir de là, selon la thèse posthume en vigueur alors, on allait rajouter des quatrains et des centuries encore non imprimés – ce qui rend fort improbable la possibilité qu’une édition à 10 centuries ait pu exister dès 1568 car pourquoi, dans ce cas, n’y aurait-on pas eu recours, au moins pour le premier volet ?
Comment fut réalisée cette augmentation du « capital » centurique ? En « terminant » la centurie IV, qui passerait ainsi comme cela ressort des marques additionnelles des éditions parisiennes de la Ligue, de 53 à 100 quatrains et, pour faire bonne mesure, en ajoutant encore une centurie qui serait la cinquième. Il est difficile de savoir si le stade d’’une édition à 5 centuries a existé ou bien si l’on débordé, dans la foulée, sur une sixième centurie « incomplète ».
Ce que l’on sait, par le contenu des éditions parisiennes datées de 1588-1589, c’est que la centurie VI ne parut pas d’entrée de jeu sous une forme « pleine ». Le seuil de 71 quatrains fut certainement un stade qui fut atteint. On ne le connait cependant que par une édition présentant déjà un supplément aux dits 71 quatrains, et qui, fort maladroitement, s’intitule septième centurie, alors même que la numérotation des quatrains est continue, jusqu’au 83 e quatrain. C’est donc une fausse septième centurie. Les 12 quatrains ajoutés vont d’ailleurs faire long feu, ce qui indique une certaine vigilance de la part des éditeurs et constatant qu’ils avaient été empruntés aux quatrains des almanachs de Nostradamus pour l’an 1561, ce qui était évidemment un moyen commode pour faire du vrai Nostradamus et ce qui est un aveu d’imposture. Le procédé avait été utilisé par Barbe Regnault, dans ses faux almanachs de Nostradamus, qui recyclaient des quatrains des années précédentes.
- Comment avait-on retrouvé les quatrains de l’almanach pour 1561 et comment avait-on dans un deuxième temps détecté le procédé ? Vu que les almanachs étaient depuis le temps devenus introuvables, d’autant qu’il s’agissait de textes que l’on ne conservait pas forcément du fait de leur caractère ponctuel ? Il faut rappeler qu’avait été constitué un Recueil des Présages Prosaïques, que Chavigny avait envisagé de publier dès 1589 et qui, malgré son titre, comportait également les quatrains, classés année par année. Les éditeurs troyens du siècle suivant placeront les dits quatrains en annexe sous le titre suivant : « Autres quatrains tirez de 12 soubz la Centurie septiesme dont en ont esté rejectez 8 qui se sont trouvez es Centuries precedentes », en fait il ne s’agit pas de « centuries « mais d’almanachs à moins que les quatrains des almanachs aient été eux-mêmes classés en « centuries », ne contenant chacun que 12 ou 13 quatrains. Cela permettrait d’expliquer une formule de Du Verdier dans sa Bibliothèque (1585) : « Dix centuries de prophéties par Quatrains ». En fait paradoxalement, il semblerait que l’on se soit d’abord servi du terme « centurie » pour les quatrains prophétiques des almanachs avant de s’en servir pour les quatrains posthumes non connectés systématiquement à des dates, qui seront par la suite connus sous le nom de « Centuries ». …On peut penser que c’est « douze » centuries et non pas dix qui aurait convenu, vu que l’année 1556 n’est pas représentée, ce qui correspond aux années à quatrains de 1555 à 1567. L’alternative, c’est bien entendu l’édition 1568 à dix centuries, dont nous avons dit que son existence même aurait rendu tout le processus que nous décrivons parfaitement inconcevable.. Par la suite, d’ailleurs, les présages seront bel et bien intégrés au sein du canon nostradamique, du moins tout au long du xVIIe siècle sous le titre « Présages tirez de ceux faictz par M. Nostradamus es années 1555 & suivantes iusques en 1567 » et classés selon 12 années. On notera que le mot centurie (qui a donné centurion), dans l’armée romaine a fini par couvrir un nombre très différent des cent éléments qu’il signifie étymologiquement.
- L’incident de l’almanach 1561 ayant été résolu, l’on compléta la centurie VI au moyen de 17 quatrains et celle-ci fut même scellée par un avertissement latin. On ne renonça pas pour autant à une VIIe centurie, laquelle vint à son tour s’ajouter, ce qui est mentionné au titre des éditions parisiennes de la Ligue : 39 articles additionnées à la « dernière centurie ».mais auparavant, cette centurie VII avait connu une progression plus modeste, qui est attestée par Rouen Pierre Valentin, non datée et Anvers St Jaure 1590, à 35 quatrains seulement. On peut toujours supposer que des quatrains ont été supprimés mais nous en resterons à l’idée selon laquelle on n’a cessé d’en rajouter, hormis le cas évoqué du « rejet » des quatrains de l’almanach pour 1561. Mais dans ce cas, le titre des éditions parisiennes avec « 39 articles » correspondrait, en dépit de leur date d’édition, à un état postérieur à celui de l’édition Anvers 1590. Cela peut surprendre mais nous avons montré que toute édition centurique doit être décrite d’une part quant à son titre, de l’autre quant à son contenu. On aura donc pu observer que le terme « centurie » ne renvoyait pas nécessairement à 100 quatrains puisque la centurie IV dans l’édition dite à 4 centuries ne comportait que 39 quatrains à la Ive centurie, que la centurie VI n’en comporta un temps que 71 et qu’il y eut même une centurie VII à 12 quatrains, au sein des éditions parisiennes.
Or, ne peut-on penser que cette centurie VII des éditions parisiennes de la Ligue ne correspondait pas peu ou prou à l’une de ces centuries de présages- en l’occurrence pour 1561- dont nous évoquions la probable existence ? Et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle fut identifiée comme telle et exclue de la série des centuries « posthumes ».
On s’intéressera donc d’un peu plus près à ces 12 quatrains de la VIIe centurie, mais numérotés de 72 à 83 et donc prolongeant la Vie. Nous suivrons la description présentée par Robert Benazra (RCN, pp. 118 et seq) :
A part le premier quatrain de cette série, soit le 72 e (non numéroté) qui correspond à VI, 31, ce qui semble, selon nous, être une bévue de la part de l’éditeur, mais qui a probablement servi à brouiller les pistes « les autres (quatrains) sont ceux qui devaient être publiés comme Présages pour l’Almanach pour 1561. » Cela va de février 1561 à décembre 1561, pour le mois d’octobre les vers sont dans un ordre différent. On notera que Benazra, à l’époque, n’avait pas accès au Recueil des Présages Prosaïques (cf. sur l’almanach pour 1561 RCN, pp. 42 et seq).
La question qui se pose est la suivante que ne semble pas aborder Benazra : d’où les libraires connaissaient-ils les quatrains de l’almanach pour 1561. Certes, en 1594, Chavigny commentera-t-il huit de ces quatrains dans le Janus Gallicus.(cf RCN, p. 43). Mais la liste n’en est même pas complète et d’où tenait-il ces quatrains d’almanachs sinon du Recueil des Présages Prosaïques ? Est-ce lui qui a fourni aux libraires les quatrains de l’almanach pour 1561, aurait-il participé à la composition de certaines éditions. Ou bien l’information était elle accessible du fait d’une récente édition des dits quatrains, comme semble l’indiquer la notice de Du Verdier ? Est-ce que cette diffusion ne faisait pas partie de l’orchestration du revival nostradamique ? Rappelons en tout cas que le manuscrit du dit Recueil se présentait comme prêt à l’impression, avec une date et un lieu d’édition. Mais ce manuscrit n’était-il pas plutôt la copie d’un imprimé non retrouvé ? On aurait donc un diptyque constitué d’une part de « centuries » de 12/13 quatrains d’almanachs de 155528 à 1567 et de l’autre de ce qui sera par la suite « divisé » en centuries, d’abord quatre, puis six, puis sept, voire huit (cf RCN, pp. 119-120). Ce diptyque de quatrains sera commenté par Chavigny comme un tout. Il se perpétuera au xVIIE siècle et on l’ a vu il se manifeste déjà dans les éditions ligueuses de Paris.. Mais est-ce bien du lours Recueil des Présages Prosaïques qu’il s’agit ou bien des seuls quatrains, rangés en 12 centuries car, après tout, les quatrains ne sauraient être qualifiés de « présages prosaîques ». Peut être a-t-il existé face aux « présages prosaïques », un recueil de quatrains des almanachs, ce qui serait d’autant plus logique que dans les almanachs, on a affaire à ces deux catégories, la série versifiée dérivant, selon nous, de la série « prosaïque ».
Avec ce diptyque s’instaurait de facto une dialectique entre la production des années 1550-1560, autour d’un premier volet et celle, posthume, des années 1580 et suivantes, autour d’un second volet. Par un processus de contamination, le second volet va se retrouver décrit comme contemporain du premier, par le jeu des éditions antidatées, ce qui allait casser la dualité. Qui sait si le maintien de deux volets dans les éditions centuriques ne réfère pas quelque part à ce diptyque ? Tout se passe comme si la production posthume avait été scindée en deux pour maintenir la mémoire du diptyque car lors de l’intégration des centuries VIII-X, on aurait fort bien pu éviter de produire deux volumes séparés.
3 Le lancinant problème des pièces manquantes du corpus nostradamique
La plupart des nostradamologues privilégient les pièces accessibles, disponibles par rapport aux pièces manquantes. Cela peut sembler le propre d’une attitude raisonnable mais cela risque fort de conférer une importance disproportionnée aux pièces qu’un certain concours de circonstance a fait parvenir jusqu’à nous, et c’est l’expression d’un rapport assez aléatoire à l’information au risque d’erreurs de perspective..
Nous aborderons d’une part la question des pièces manquantes parues du vivant de Nostradamus et de l’autre celle des éditions perdues qui engagèrent le processus du revival nostradamique au cours des années 1580, les deux catégories de pièces pouvant d’ailleurs être en interaction.
I Les pièces manquantes des années 1550
Depuis longtemps, nous avions émis l’hypothèse selon laquelle on ne disposait pas de l’ensemble de la production propre à Michel de Nostredame. Nous avions notamment signalé le cas des Vaticinations perpétuelles auxquelles il est fait référence dans la préface à César en rapport avec l’an 3797.
Récemment, certaines études nous rappelèrent que la mention de l’an en question était reprise par des adversaires de Nostradamus le prenant à parti, à savoir dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon (1556) et la Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus (1558)
Bien entendu, la Préface à César comportait également, en toutes ses éditions, et en dépit de variantes secondaires (chez le libraire Antoine Besson, vers 1691) une référence à l’an 3797 et aux vaticinations perpétuelles.
Mais n’existait-il pas une autre pièce de la plume de Nostradamus, en dehors de la dite Préface, qui aurait comporté mention d’une telle échéance ?
La thèse classique tend à être celle-ci : il est reproché à Nostradamus d’avoir annoncé dans son épître à son fils que selon des « vaticinations perpétuelles », l’Humanité suivrait sa route jusqu’en l’an 3797. Mais, à y regarder de plus près, la référence de Nostradamus à de telles » vaticinations » dans la Préface à César est des plus brèves.
Préface : « Et sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’année 3797 »
Nous avions, à un certain moment, soutenu l’idée selon laquelle la préface à César aurait initialement introduit les dites « prophéties perpétuelles » puis aurait resservi pour présenter les centuries. Ce qui aurait impliqué une pièce manquante, à savoir la préface à César, cette fois suivie de son prolongement initial.
Par ailleurs, nous avions signalé, dès notre thèse d’Etat (Le texte prophétique en France, formation et fortune, Ed. du Septentrion, 1999) que l’édition Besson (c 1691) ne comportait pas certains développements, que nous identifiâmes par la suite comme, entre autres, empruntés au Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat lesquels figuraient dans les autres éditions connues de la Préface.
Or, Videl et Couillard semblaient se référer à un texte de la Préface à César plus riche, plus « complet » si l’on veut pour parler comme certains nostradamologues qui n’acceptent pas qu’un texte puisse s’amplifier d’une édition à l’autre – et notamment concernant des emprunts à Roussat. que celui de Besson, lequel selon nous correspondait à son état premier.
C’est ainsi qu’il nous paraissait de plus en plus évident que les adversaires de Nostradamus en avaient à un texte plus ample que celui de la Préface à César et que ce texte n’avait été qu’ultérieurement inscrit au sein de la dite Préface.
Mais, comme par ailleurs, nous notions qu’à une seule exception près (Les Prophéties du Sgr du Pavillon, 1556) aucun des dits adversaires ne mentionnait le nom de César, pourtant récurrent tout au long de l’épître. C’est ainsi que dans la seule version courte de Besson, l’on recense successivement :
1 Préface ‘(…) adressée à son fils
2 César Nostradamus mon fils
3 Encore bien , mon fils, que j’ay inséré à ce mien reliquat héréditaire
4 Car, Prophète, mon fils, est celuy qui voit
5 Je ne dis pas, mon fils, que par naturelle intelligence
6Par quoi, mon fils, tu ne peux nonobstant ton tendre cerveau
7 Sus, mon fils, t’amoneste (sic pour admoneste) que si tu vis l’aage naturel
8 Viens donc de mesthui mon fils César entendre que je trouve par mes revolues calculations
9 La miséricorde du grand Dieu ne sera point dispergée (sic) en un temps, mon fils
10 Prends donc mon fils César ce don de ton progéniteur
Tout cela en 9 pages !
Dès lors, le témoignage de Couillard Du Pavillon nous apparaissait comme suspect, lui qui était le seul à s’être arrêté sur César. N’était-ce pas plutôt là une interpolation effectuée au sein de la Déclaration de Videl en vue d’accréditer l’existence d’une épître de Nostradamus à son fils, dès 1555 ?
Mais, dans ce cas, il fallait bien que Videl ait eu un autre document de Nostradamus auquel s’en prendre et qui traitât des Perpétuelles Vaticinations, de l’an 3797 et d’autres considérations sur les cycles/âges des planètes tels que figurant, entre autres, chez Roussat et qui ne serait aucunement adressé à César.
Et ne serait-ce pas précisément cet ouvrage, appelé Prophéties, dont Gérard Morisse aurait suivi la trace dans les catalogues de libraires ? Et ne serait-ce pas en raison de ces Prophéties que les centuries auraient pris ce titre en recourant à Videl pour composer une préface qui s’y référait et en reprenait des éléments ?
Cela supposait que la préface ait été constituée en deux temps : un premier temps (cf Ed. Besson) n’empruntant qu’une partie des développements disponibles chez Videl et un second temps empruntant d’autres développements à partir de la même source.(Ed canonique de la Préface) à moins de supposer que les deux versions aient cohabité plutôt que se soient succédées, étant l’œuvre de deux « ateliers » travaillant sur les mêmes bases mais chacun à sa façon..
Une pièce manquante peut ne pas être perçue comme telle, lorsque le titre de cette pièce recouvre un autre document que celui d’origine. Si le type de l’almanach et celui de la pronostication semblent assez bien définis et circonscrits, l’un étant plus proche des données strictement astronomiques et hémérologiques, l’autre s’articulant sur les 4 saisons, l’un paraissant à la fin de l’année et l’autre à l’approche du printemps- du moins jusqu’en1562, il n’en est pas de même de tout ce qui est désigné sous le nom de présage, de prophétie, de prédiction, de pronostiques, termes qui semblent assez interchangeables. Les privilèges désignent ainsi trois catégories : almanachs, présages, pronostications.(cf nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, p. 201) mais, comme on l’a dit, on ne sait pas exactement ce que désigne le terme « présages ». Un texte peut se retrouver dans un contexte qui n’était pas le sien à l’origine, notamment quand il sert d’épître à une pièce nouvelle, au prix de quelques retouches annonçant celle-ci.
Dans les Significations de l’Eclipse de 1559, autre document à l’authenticité douteuse, un passage repris d’un adversaire vise ‘ » tes pronostique (sic) que tu dis estre merveilleux» mais que contient ce type d’ouvrage ? On sait cependant par les attaques d’un Videl, dans sa Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus, texte repris dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon et dans la Préface à César, qu’il est question de vaticinations perpétuelles, de l’an 3797 et que ce contenu ne correspond à aucune des pièces que nous connaissons. Signalons l’emploi du mot « merveilleux » dans certaines publications nostradamiques : comme ces Prophéties ou Revolution merveilleuse des quatre saisons de l’an (…) par M. de Nostradamus, Lyon, 1565, Benoist Rigaud (cf. RCN, p. 71) dont on n’a pas conservé d’exemplaire. En 1590, le libraire Pierre Ménier, qui venait de faire paraitre des Centuries, sortira d’Antoine Crespin, selon nous personnage servant la cause ennemie, celle d’Henri de Navarre, une Prophétie merveilleuse. (BNF), favorable à Charles X Bourbon, en recyclant des textes du dit Crespin conçus initialement pour des années antérieures. Rappelons le propos de Daniel Ruzo au sujet des Grandes et Merveilleuses Prédictions : (cf. le Testament de Nostradamus, pp ; 279 et seq) concernant des éditions d’Avignon portant ce titre.
« Les éditions d’Avignon ont paru parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent. Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces éditions, publiées du vivant de Nostradamus a disparu. Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des éditions très postérieures à leur première publication » En fait, Ruzo s’appuie sur un passage de l’édition d’Anvers, François de St Jaure, 1590, qui renvoie à une édition d’Avignon, chez Pierre Roux mais il omet de préciser que cette édition est signalée en 1590 sous le nom de « Professies » (sic) bien que le titre de l’édition d’Anvers soit Grandes et merveilleuses prédictions. Ce scenario d’éditions parallèles des centuries, pour 1555, est irrecevable pour diverses raisons que nous évoquons dans le présent travail mais il reste que le recours à deux intitulés différents –Prophéties d’une part, Grandes et Merveilleuses Prédictions de l’autre, pour désigner des contenus globalement du même ordre peut interpeller. Mais Ruzo lui-même dans sa description de l’édition de Rouen 1588 des Grandes et Merveilleuses Prédictions (p. 282) note que le titre intérieur est « La Prophétie de Nostradamus ». Selon nous, ce titre est nouveau sous la Ligue et prend la place, un moment , de celui de Prophéties- le contenu de ces éditions (hormis celle de 1588) est plus tardif que celui des éditions parisiennes mais il emprunte probablement à une tradition nostradamique ancienne, associée, probablement, au genre des prophéties perpétuelles..
II Les pièces manquantes des années 1580
Comme nous l’indiquions, les deux décennies 1550-1580 entretiennent entre elles des relations complexes puisque la préface à César n’apparaitrait finalement dans le champ nostradamique que dans les années 1580 sans que l’on comprenne très bien les raisons d’un tel scénario si ce n’est dans la logique d’un testament, d’un mémoire laissé par Nostradamus à son aîné.
Mais à quoi ressemblaient les toutes premières éditions qui apparaissent au milieu des années 1580 ? Nous disposons in extremis d’une édition très ancienne, grâce à l’édition de 1588, du libraire rouennais Raphaël du Petit Val. In extremis car il s’agit là d’un unicum et que celui-ci n’est pas actuellement, à notre connaissance, accessible. Heureusement, son ancien possesseur Daniel Ruzo l’a décrit assez précisément dans le Testament de Nostradamus (Le Rocher, 1982). In extremis aussi parce que le contenu de cet exemplaire ne correspond pas au titre qui est celui d’une édition plus tardive. Il n’est pas contrairement à son titre divisé en 4 centuries mais se présente d’un seul tenant, avec ses 349 (et non 353) quatrains.
Le débat tient à la question de la présentation posthume des toutes premières éditions centuriques de ce que nous avons appelé le « revival » nostradamique. La formule initialement adoptée nous semble avoir été posthume, d’où la préface à César qui, autrement, ne ferait guère sens. Nostradamus aurait donc produit ces quatrains dès 1555 et les aurait mis de côté pour que son fils puisse en disposer à sa mort, quand il aurait atteint un âge suffisamment mûr.
Dès lors, la première édition, selon nous, aurait du pour le moins fournir quelques données sur la vie de Nostradamus et signaler en son titre qu’il s’agissait d’un astrologue du temps d’Henri II, François II et Charles IX. Or, les éditions qui nous sont parvenues ne font rien de tel. Certes, la préface est-elle bien datée de 1555 mais tout le reste est intemporel. Or, par la suite, dans les années 1590, à commencer par le Janus Gallicus de Chavigny, la présentation posthume est confirmée. »M. Michel de Nostredame jadis conseiller & médecin des rois Tres Chrestiens etc ». Qui plus est, on y trouve un « Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostradame etc « ainsi que des exemples de la valeur prophétique des quatrains. On notera que dans ce texte nécrologique, il est fait référence à César de Nostredame et il semble pour la première fois en dehors de la préface qui lui est adressée et des Prophéties du Seigneur du Pavillon Les Lorriz.
Comment peut-il se faire qu’une telle présentation ne soit apparue qu’en 1594 alors que des éditions des centuries circulent depuis au moins 1588 ? Nous pensons raisonnable de supposer que le « Brief Discours » a du figurer au sein des toutes premières éditions des quatrains prophétiques du défunt Nostradamus. Il figurera d’ailleurs dans un grand nombre d’éditions tout au long du XVIIe siècle. Tout se passe comme si dans les années 1588-1590, l’on serait passé par une phase anti-posthume, se soldant par la production d’éditions antidatées dont les éditions en question ne seraient que la copie, ce qui éviterait de les présenter comme posthumes.
Récemment, un autre document nous a semblé avoir existé, mais il n’est pas simple de constater une absence. Il s’agirait d’un recueil des quatrains d’almanachs de Nostradamus, pour 12 années (de 1555 à 1567, à l’exception de 1566) et cette pièce assez bréve aurait poursuivi sa carrière au sein des éditions du xVIIe siècle. Les éditions parisiennes de la Ligue (1588-1589) incluront l’année 1561 des almanachs avant que celle-ci ne soit évacuée.
On notera que la fausse édition Pierre Rigaud 1566, fabriquée à Avignon vers 1716, comporte la reproduction de la pierre tombale de Nostradamus, ce qui n’est pas le cas des éditions Benoist Rigaud 1568 qui sont marquées par l’absence totale de référence au décès du dit Nostradamus.
D’ailleurs, toutes les éditions qui portent le titre « Prophéties » ont en commun l’absence de tout appareil nécrologique, biographique, méthodologique (mode d’emploi), exégétique alors que les éditions dotées d’autres titres en comportent un. Les Vrayes centuries et prophéties (…) avec la vie de l’autheur (..) et plusieurs de ses Centuries expliquées….
Les éditions troyennes qui paraissent sous le nom de Prophéties ne comportent un élément posthume que dans le troisième volet, avec l’Epitre à Henri IV, datée de 1605, introduisant les sixains en s’intitulant « Prédictions admirables (…) recueillies des mémoires de feu M. Michel Nostradamus (de son) vivant médecin du Roy Charles Ix etc ».
Nous sommes donc en présence de deux écoles qui se perpétuent parallèlement. Etrangement, il semble que ce clivage se soit maintenu jusqu’à nos jours, parmi les nostradamologues, entre tenants d’éditions du vivant de Nostradamus et tenants d’éditions parues bien après sa mort.
L’étude des éditions centuriques existantes fait apparaitre des divergences majeures : d’une part des éditions qui se succèdent par des additions successives, arguant du fait que tout n’est pas divulgué d’une seule traite et d’autre part, des éditions antidatées qui se présentent comme d’un seul tenant et qui effacent toute marque interne d’addition, et dont une des pièces majeures semble être une édition disparue, celle du second volet introduit par l’Epitre à Henri II et qui serait parue dès 1558, à la veille de la mort du dit Henri, en 1559. Cette pièce a d’ailleurs due être bel et bien fabriquée et adjointe au premier volet, dès 1557 ou 1558 venant compléter le premier volet de 7 centuries censé être paru dès 1555. Mais là encore l’édition 1555 à 7 centuries a disparu..On aurait pu se rabattre sur une édition à deux volets, chez Antoine du Rosne, 1557, mais comme on l’a dit, le second volet de l’exemplaire Utrecht a disparu. Force est donc de s’en tenir à l’édition Benoist Rigaud 1568, donc posthume sans l’être, puisque supposée copie de la dite édition Antoine du Rosne Utrecht.. Cette édition Rigaud ne porte en effet aucune marque propre à une édition posthume.
Parmi les pièces manquantes, ajoutons le cas des premières éditions séparées des centuries VIII-X, dont l’orientation politique est assez incompatibles avec les centuries I à VII.. Or, on ne les connait que dans le cadre de volumes à 10 centuries. Il est plus que probable que le canon centurique, à différentes époques, a consisté à rassembler des pièces séparées.
Dès lors que chaque camp peut profiter indéfiniment des carences du corpus de l’autre camp, il semblerait que les uns et les autres restent sur leurs positions respectives ; dans une sorte d’équilibre qui peut cependant être rompu par l’émergence d’un nouveau facteur.
4 De la détérioration à la formation du corpus centurique
Nous observons que ce qui nous apparait comme les étapes d’une formation est perçu par d’autres comme le signe d’une détérioration, d’une déperdition. Comment deux processus aussi différents peuvent-ils se confondre ? Est-ce que sous la Ligue, nous assistons à un démembrement d’un corpus constitué dans les années 1550-1560 ou au contraire à la formation du dit corpus, dont les données relatives aux dites années seraient contrefaites ? Il est vrai qu’il existe quelque ressemblance entre un phénomène qui se déploie, souvent par à coups, par bonds successifs et un autre qui serait en pleine déliquescence, tel un édifice tombant en ruines.
Il est certes recommandé de comparer un maximum de documents entre eux pour les ordonner de façon rationnelle mais il n’est pas interdit de signaler des manques, des corruptions et d’en tirer certaines conclusions, cela peut jouer un rôle complémentaire dès lors que l’on sait que le passé ne nous parvient jamais que par bribes, la carte n’étant pas le territoire, comme on dit en sémantique générale. Au XVIIe siècle, le dominicain Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement29 de 1656, expose une méthodologie qui passe par ce qu’on peut appeler la critique interne, étant donné qu’il ne disposait que d’une documentation extrêmement limitée, par comparaison avec celle dont nous disposons de nos jours. C’est ainsi que le dominicain avait proposé, entre autres, de corriger estang par estaing, au quatrain I, 16, donc un des premiers quatrains d’une longue série car il est clair qu’il est fait référence ici à Jupiter, dont c’est le métal, au sein d’un quatrain marqué par les données astronomiques , empruntées au Livre de l’Estat et Mutations des temps de Richard Roussat, Lyon, 1550: Or, cette « faute » s’est maintenue des siècles durant. Peut-on supposer que la première édition de la première centurie comportait bien « estaing » ou doit-on concevoir que l’erreur aurait été commise dès la première impression ? Mais cela n’expliquerait pas pourquoi il n’y a pas eu correction, par la suite.
Parmi les corrections qui semblent être intervenues, comptons, en tout cas, celles qui concernent le titre du premier volet centurique « dont il en y a trois cens » (Raphael Du Petit Val, Rouen, 1589, François de St Jaure, Anvers, 1590, Antoine du Rosne, Lyon 1557) corrigé en « dont il y en a trois cens (« éditions parisiennes 1588-1589, -Benoist Rigaud 1568, Cahors 1590). Le cas des éditions parisiennes est assez paradoxal : elles ont un contenu très « primitif », antérieur à la formation de la centurie VII, canonique mais par leur titre, elles apparaissent comme des éditions à sept centuries, avec 39 quatrains à la VII, ce qui les place après Anvers 1590, avec la suppression, en outre du « il en y a » qui affecte jusqu’aux éditions antidatées 1557.
Un autre cas, assez bien connu, est celui de l’avertissement latin, placé entre la Vie et la VIIe centurie. P. Brind’amour (Nostradamus astrophile) a montré que Legis Cantio devait être au départ Legis Cautio. Les éditions Rigaud ont « Cantio » tout comme le troyen Chevillot ou Antoine du Rosne 1557 Utrecht, alors que Pierre Du Ruau, autre libraire troyen a bien Cautio, tout comme Besson (c 1691) ou Garancières (1672). Cela peut servir de critère de datation. On notera en tout cas que les éditions du XVIIe siècle ont souvent « Cautio ». Il semblerait que les éditions Rigaud ou Du Rosne Utrecht aient été réalisées à partir de Chevillot lequel n’avait pas comme Du Ruau procédé à diverses corrections critiques.
Quand il y a une série de noms de lieux, on peut corriger un lieu qui ne correspond pas, alors que tous les autres constituent un ensemble géographiquement homogène. On pense à IX 86, où l’on trouve Chartres au milieu de villes de la banlieue parisienne. Or, il existe une petite ville nommée Chastres et qui correspondrait mieux. Cette approche est validée par la Guide des Chemins de France qui a servi aux rédacteurs du second volet de centuries. A la centurie VIII, le quatrain 52 comporte plusieurs villes proches de la Loire comme Blois, Amboise, Poitiers, Saintes ainsi qu’un fleuve, l’Indre. Mais on peut corriger un verset tronqué qui comporte « Boni », pour Bonny sur Loire. La présence d’Avignon, dans ce quatrain est insolite. 30, elle ne justifierait donc pas Bonnieux, près d’Avignon. En revanche, «Seme » pourrait être une corruption de Saumur, Ongle d’Orléans. Dans IX, 86 et VIII 52, les décalages sont vraisemblablement dus à des retouches qui ont pu sembler indécelables, faute d’observer que tout le quatrain est centré sur une certaine aire géographique de par la structure même de sa source ainsi constituée.
Sur un plan technique, il semble qu’il soit légitime de corriger dans I, 54 un chiffre dont l’écriture est proche deux et dix : :
Deux revolts faictz du malin falcigere
De régne & siecles faict permutation
D’aucuns ont remarqué qu’il faudrait mettre Dix à la place de Deux, car il existe un cycle bien connu formé par dix révolutions de Saturne(le porteur de faux, le falcigere) ; en astrologie médiévale.
Si l’on passe aux épîtres en prose, une lecture attentive est susceptible de relever des lacunes dans le texte, sans lesquelles le texte devient à peu près incompréhensible. Quand on lit, par exemple, « que tu ne sois venu », ne fait pas sens si l’on n’ajoute « que tardivement ». ou « il n’est possible te laisser par escrit » alors que précisément il est question d’un « mémoire », si l’on ne précise « pat trop clair ». Et c’est précisément ce à quoi correspond l’édition Besson (c 1691). Ou dans l’Epitre à Henri II « qu’il n’estoit nullement permis d’aller à eux ny moins s’en approcher’ où il manque « sans quelque offrande » (en l’occurrence, « sans mains garnies de riches offrandes » (Besson c. 191). Des formules restrictives (ne…que, nullement… si ce n’est, etc) deviennent ainsi à tort des formule négatives.
Jean Céard, dans sa préface au Répertoire Chronologique Nostradamus, préconise une « étude littéraire des Centuries »-(p. VIII), notamment au regard de la versification, des vers faux. Les coquilles doivent être repérées et corrigées. « Ainsi va son chemin un texte de plus en plus défiguré ». Céard prend le cas du quatrain II 47 :
Les souverains par infinis subjuguez
« ce qui fait un vers faux. Ne peut-on lire
Les souverains par infims subjuguez ?
« Ce latinisme (infimi, les plus humbles, les plus petits ) aura été mal lu par le typographe qui lui a substitué le plus commun (infinis). (ce qui a ) fait commettre à Nostradamus une grossière erreur de versification et détruit une opposition très nette entre souverains et infims »
Mais, hâtons-nous d’ajouter qu’il en faut en tirer les implications au niveau de la datation et de la chronologie des éditions. Mais l’abord des textes en prose reste prioritaire – on y a en principe plus « pied » – par rapport à celui des quatrains d’autant que comme nous l’avons dit ailleurs, les quatrains dérivent largement des textes en prose introductifs. Le quatrain à l’origine a-t-il d’ailleurs vocation à faire sens, dès lors qu’il déconstruit délibérément le texte en prose ? Ce n’est que dans un deuxième temps que le quatrain nostradamique devient l’élément de référence, accédant au statut de principal porteur du message, l’arbre du quatrain cachant la forêt de l’épître. Travailler sur un quatrain isolé, détaché du reste des quatrains d’une même centurie est tâche plus aisée encore. On assiste à un démembrement de l’édifice nostradamique, chaque pierre du « mur » devenant un tout de façon fractale.
Prenons cependant le quatrain X, 91, un des derniers donc de l’ensemble de dix centuries :
Clergé Romain l’an mil six cens & neuf
Au chef de l’an feras election
D’un gris & noir de la Compagnie yssu
Qui onc ne feut si maling
En parcourant récemment, en vue de ce texte, toute la série des quatrains, nous nous sommes arrêtés sur un quatrain atypique en rapport avec le pape, lequel quatrain semblait ne pas respecter la rime. A partir de là, nous avons comparé diverses éditions et avons trouvé la solution en l’une d’entre elles, où le quatrième vers, comportait un mot de plus, à savoir « compagnon », ce qui fait pendant à « Compagnie » au troisième verset. Or, quelle était cette édition ? Comme par hasard, l’édition d’Antoine Besson. La lacune figurant partout ailleurs, que ce soit chez Garencières, Rigaud, Du Ruau, Chevillot. On peut en tout cas considérer que Besson correspond à un nouveau stade de l’édition centurique, prenant la suite du stade troyen, par son recours à des sources restées largement occultées. Toutefois, cette édition n’exercera guère d’influence sur le cours de la production centurique qui en reviendra, au xVIIIE siècle, à des éditions de type Rigaud-Chevillot.
Jusqu’à quel point peut-on se permettre de corriger un texte, sans l’appui d’une version existante ? Il est des cas où la correction est légitime : ainsi pour un nom de lieu écorché, dès lors que le contexte impose cette solution, quand il s’agit d’une série dont les facteurs se suivent normalement selon un ordre immuable31.
Nous avons déjà noté à quel point les éditions de Londres-Garencières et Besson se détachaient du lot. Elles ont un point commun qui n’est probablement qu’anecdotique : il s’agit du chevalier Jacques de Jant (1626-1676), intendant et garde du Cabinet des raretés de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. En effet, au moment où Théophile de Garencières publie sa traduction, à partir de documents jamais parus en français, autant qu’on le sache, Jant se faisait connaitre, en cette même année 1672 par des Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus (cf RCN, pp. 247 et seq). Or, les textes de Jant reparaitront après sa mort survenue en 1676, à Rouen, en 168932 (puis en 1691 et 1710 (cf RCN, p. 291) chez Jean Baptiste Besongne dans le cadre de Vrayes Centuries et Prophéties (…) Avec la vie de l’autheur et plusieurs de ses Centuries expliquées par un Scavant de ce temps (cf RCN, p. 261), ce qui est le même titre que l’édition Besson, non datée. En fait, Besson, se sert du cadre et du titre rouennais mais y apporte des modifications considérables, introduisant d’autres versions des épîtres ainsi que des corrections concernant certains quatrains comme IX 91. Etant donné que cette présentation rouennaise augmentée d’un commentaire datant des années 1670, date de 1689, cela constitue un terminus pour l’édition lyonnaise. Sous couvert des éditions rouennaises, Besson introduit subrepticement de nouveaux éléments. Il revient à Robert Benazra d’avoir signalé- certaines particularités de cette édition : « Lettre modifiée et tronquée » pour la préface à César et « Lettre considérablement réduite » pour l’épître à Henri II (p. 266)
Tout le débat est là : les nostradamologues des trente dernières années n’ont –ils pas quelque peu abusé de cette thèse selon laquelle les éditions non conformes au canon seraient ipso facto étiquetées comme « tronquées », « lacunaires », avec des quatrains « manquants » ? Chez Benazra, c’est devenu comme un leit motiv, notamment en ce qui concerne les éditions des années 1588-1590 qui ont le grand tort de ne pas correspondre à l’édition Benoist Rigaud de référence. C’est ainsi que Benazra juge que dans l’édition de Rouen 1588, certains quatrains de la Ive centurie auraient en quelque sorte « sauté » puisque l’on n’arrive pas à 53 quatrains. De même pour l’édition d’Anvers dont la centurie VII ne « fait » pas ses 40 quatrains réglementaires (RCN, pp. 122-127). Au lieu de voir se construire, progressivement un corpus, d’aucuns ne veulent parler que d’une détérioration, ce qui s’explique par le fait, selon nous, que les éditions les plus achevées auront servi de modèle pour les éditions antidatées. Une seule exception, toutefois, celui des éditions centuriques antidatées, se présentant comme parues en 1560/1561 (type Veuve N. Buffet, exemplaire actuellement conservé à la librairie Thomas Scheler), qui sont conformes aux éditions ligueuses parisiennes.(cf. RCN, pp. 51 et seq).. R Benazra écrit à ce sujet : « si cette édition a réellement vu le jour, il apparait que l’éditeur parisien (c’est une femme, Barbe Regnault) n’a point connu l’édition lyonnaise d’Antoine du Rosne(1557) puisque les copies de 1588 et 1589 ne nous donnent que 74 quatrains à la Vie centurie. De là à penser qu’il n’a point connu l’édition lyonnaise de 1558 avec la préface à Henri II – que les copies (sic) de 1588 et & 1589 ne reproduisent pas –il n’y a qu’un pas que nous sommes tenus de franchir ». Benazra s’explique par ailleurs (cf RCN, pp. 35 et seq).sur l’existence de la dite Préface dont les éditions ligueuses n’auraient pas tenu compte : « Il n’aurait servi à rien que Nostradamus écrivît une préface adressée à un certain « Henri Second », s’il ne la faisait pas publier avant la mort en juillet 1559 du souverain (…) Et il n’est guère probable qu’un imprimeur aurait osé éditer après le décès du roi (..) un livre qui s’ouvre sur une longue dédicace adressée au Roi » .
Nous observons donc que d’une part, nous trouvons des épîtres qui visiblement sont lacunaires ainsi que quelques quatrains qui ont perdu quelque mot en cours de route –ce qui ne semble pas préoccuper outre mesure les nostradamistes – et de l’autre, on nous parle d’éditions dramatiquement lacunaires, qui auraient été délestées de nombre de quatrains voire de centuries entières.
Si les nostradamologues sont disposés à admettre que des quatrains voire des centuries ont pu être ajoutées, ce qui ressort notamment de la chronologie ordinaire et consensuelle à trois étages : 4 centuries en 1555, 7 centuries en 1557, 10 centuries en 1568, fondée, articulée sur les éditions conservées,- en revanche, il semble que l’idée d’épîtres augmentées, interpolées, leur apparaisse comme une incongruité. En revanche, ils sont toujours prêts à admettre que pour quelque raison, on aurait pu tronquer des textes, supprimer des quatrains. Ce n’est en effet pas, on s’en doute, la même démarche.
Ce qui vient évidemment compliquer les choses et les perspectives, c’est le fait que ce que l’on peut appeler le « systéme centurique » a mis en place toute une série de défenses qui conduisent à un certain renversement de la chronologie, ce qui est à la fin d’un processsus étant alors censé se placer en son début. Si d’une part, ce systéme peut être perturbé par la multiplicité des documents exhumés, à différents moments, il a su, d’autre part, fabriquer ses propres documents antidatés. D’où un accueil qui diffère selon que l’on découvre un des dits documents antidatés, comme les exemplaires Macé Bonhomme, Antoine du Rosne, mais aussi les Prophéties de Couillard, les Significations de l’éclipse de 1559, l’Androgyn de 1570, le Recueil des présages prosaïquesvoire des Prophéties d’Antoine Crespin, truffées d’extraits de quatrains,qui sont autant de « garants » des Centuries, ou, a contrario, que l’on signale des éditions comme celle d’Antoine Besson ou les particularités de la traduction anglaise de 1672 voire les éditions ligueuses (Paris, Rouen, Anvers) qui, somme toute, sont bien embarrassantes et dont on cherche souvent à minimiser l’importance. Quant à la recherche des sources, il n’est pas certain que les liens entre les quatrains et la Guide des Chemins de France aient été si bien accueillies que cela pas plus d’ailleurs que la mise en évidence d’emprunts à Roussat et à son Livre de l’Estat et Mutation du Ciel, tant pour telle épître que pour tel quatrain.
Pour employer une image appartenant au langage de la finance, le systéme centurique a mis en place un processus de cavalerie en ce sens que les garants qu’il signale pour valider les éditions antidatées ont été générés par le dit systéme et qu’inversement les garants eux –mêmes sont « couverts » par les dites éditions. Robert Benazra a rédigé un texte intitulé : « Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus etc » (site ramkat.free.fr). Il écrit ; « Il y a, en effet, une toute petite phrase dans les Prophéties de Couillard que personne n’avait relevé jusqu’à présent et qui va apporter une éclatante confirmation de ce que nous avons toujours pensé. Lorsque le Seigneur du Pavillon lez Lorriz écrit à propos de l’auteur dont il paraphrase le texte (celui de César), qu’il a « avec labeur merveilleuz faict trois ou quatre cens carmes de diverses ténébrositez » (fol. E2v), il ne fait nul doute que nous avons là une allusion très claire aux quatrains qui suivent la Préface à César, ces « fantasticques compositions » (fol. A4v et D3v), « dictions tenebreuses & … fabuleuses » (fol. E2v) ou encore ces « carmes tenebreux et obscurs » (fol. B1r) , pour employer des expressions du Seigneur du Pavillon. ». Pourquoi pas puisque telle est, précisément, la raison d’être de ces Prophéties du Seigneur du Pavillon que de valider celles de Nostradamus ?
5 La place des textes antinostradamiques dans la fabrication de faux centuriques.
Notre travail de reconstitution et de mise en ordre du corpus nostradamique ne serait pas achevé si nous n’abordions pas, si nous laissions derrière nous, les dernières citadelles construites par les architectes du « centurisme ». Nous n’avons guère jusqu’ici traité de la littérature anti-nostradamienne censée parue dans les années 1556-1560, période singulièrement riche, sur le plan polémique, par rapport aux années qui suivront, jusqu’à la mort de Nostradamus en 1566 et au-delà. Certes, à partir de 1560, avec l’édit d’Orléans sur les almanachs, des contraintes de plus en plus lourdes vont peser sur la production de ces prédictions annuelles mais cela n’empêchera pas la production nostradamienne et pseudo-nostradamienne de continuer sur sa lancée, avec notamment les faux almanachs produits à Paris par la veuve Barbe Regnault et par la veuve Nicolas Buffet, et dont le premier numéro concerne l’année 1561.33 Dans sa « Biblio-iconographie du corpus Nostradamus »,Patrice Guinard reproduit les pages de titre de deux almanachs de ce type pour cette année, auxquels il convient d’ajouter toute une série pour 1562 (Prognostication, Bib. Munich) et 1563 (Almanach, Bib. Municipale Lille) notamment, marquée par l’usage de vignettes particulières que l’on retrouvera sur les fausses éditions 1555 Macé Bonhomme et 1557 Antoine du Rosne (y compris pour la Paraphrase de Galien) alors même que les vignettes des vrais almanachs sont d’un autre type et portent le nom de M.de Nostredame) Or, tout se passe comme si les attaques avaient cessé après 1560 et les Contreditz du Seigneur du Pavillon Les Lorriz à savoir ’Antoine Couillard (Paris, L’Angelier)
Etrangement donc, comme un fait exprès, l’environnement des fausses éditions centuriques des années 1550 est encombré par toutes sortes d’attaques contre Nostradamus visant d’ailleurs essentiellement ses publications annuelles mais peut être surtout les épîtres qui figurent en tête des dites éditions centuriques, les Prophéties du Seigneur du Pavillon pour la préface à César, parue (janvier 1555, c’est-à-dire 1556) juste après l’épître à César (1555) en tête du premier volet et le Monstre d’abus de La Daguenière pour l’Epitre à Henri II, daté de l’année même de la dite Epitre..
Non pas certes que Nostradamus n’ait été en butte à certaines critiques par lesquelles nous commencerons mais il semble bien que cette production critique authentique, qui tourne surtout autour de Laurent Videl, ait été instrumentalisée pour les besoins du centurisme.
I Les attaques de Laurent Videl
On dresse généralement un profil selon nous assez peu correct de Videl, l’auteur de la Déclaration34 mais aussi probablement de la Première Invective, signée, in fine, des initiales L.V. C.M., où nous voulons voir les initiales de Laurent Videl35.
Dans un des pamphlets le nom de Nostradamus est donné en clair, dans le second, il se change en Monstradamus mais cela ne suffit pas à conclure qu’il s’agit de deux auteurs distincts. Ces documents paraissent en 1557-1558, si l’on admet que la Première Invective commence à paraitre en 1557 suivie de plusieurs autres éditions.
Videl était-il astrologue comme on le lit fréquemment, était-il un avocat de l’Astrologie Judiciaire comme le dit Olivier Millet (« Feux croisés sur Nostradamus », 1986/198736) ? A partir d’une telle représentation que nous pensons erronée, les nostradamologues se sont demandés ce que Videl pouvait donc reprocher à son confrère Michel de Nostredame. On y a vu la manifestation d’une querelle, d’une jalousie. Tout cela parce que l’on n’a pas compris que pour Videl, le mot Astrologie n’impliquait pas – et c’est précisément ce sur quoi il s’insurge- une pratique « judiciaire ». Videl restreint le champ de l’astrologie qu’il juge légitime à la portion congrue, et lui destine notamment la météorologie, ce qui relève de ce qu’on appelle alors l’Astrologie Naturelle et le mot abus est récurrent, c’est-à-dire le fait d’outrepasser les limites autorisées, permises. On est très loin de ce que proposent les traités astrologiques des années 1550 comme celui du toulousain Auger Ferrier. Videl s’en prend à Nostradamus mais c’est en réalité à l’ensemble de la production astrologique qu’il en a. De Nostradamus, il veut faire un exemple pour recommander- et il sera bientôt suivi dans ce sens, du moins au niveau des textes officiels, une surveillance par l’Eglise de ces livres suspects qui polluent le peuple, Videl le fait au nom du « bien public », on dirait pour des raisons d’hygiène. Que l’astrologie, qui est ici en fait synonyme d’astronomie – le traité de Ferrier s’intitule Jugements astronomiques sur les nativités (Lyon, Jean de Tournes, 1550), maintes fois réédité jusqu’au début du XVIIe siècle et traduit en anglais- se contente d’observer les astres et d’en étudier les effets non sur les hommes mais sur les températures. C’est bel et bien ce mot de « jugement » qui désigne la déviance de l’Astrologie judiciaire et le traité contemporain d’astrologie horaire de Claude Dariot, Introduction au jugement des astres, va dans le même sens.
« Je prie Messieurs les prélats, pasteurs & autres qui ont charge en l’Eglise y vouloir adviser en donnant ordre que telles resveries qui ne peuvent que troubler les pauvres consciences debiles ne se viennent ainsi publier car à eux appartient de chasser toutes folles curiositez qui se veulent pas trop enquérir des mystères que Dieu seul s’est réservés »
Les conseils qu’il donne à Nostradamus confirment tout à fait notre description.
« Suffise toy que l’on admette tes almanachz & pronostiques pour le changement de saison, la variété du temps, le mouvement des planètes selon leur cours naturel « ou encore :
« Ainsi par ceste science jugerons que la conjonction de Mars à Saturne au signe du lyon nous vient causer chaleur & siccité & Jupiter conjoinct à la Lune au signe du cancer nous vient faire croistre & augmenter les humeurs et ainsi de semblables en nous gardant. »
On trouve une phrase construite étrangement mais qui signifie que c’est à tort que l’on méprise l’astrologie : « Plusieurs tiennent cette science superstitieuse & reprouvée laquelle est louable ». Il faut comprendre, d’après le contexte, « cette science est tenue pour superstitieuse et réprouvée alors qu’elle est louable », ce qui n’est pas pour autant une défense de l’astrologie judiciaire car c’est justement l’enseignement de tels « jugements » qui conduit à ce qu’on la réprouve.
En bref, Nostradamus n’était pas en butte à des attaques de la part d’astrologues, au sens « moderne » du terme mais surtout d’anti-astrologues comme Videl, et, sur le marché astrologique, d’imitateurs, ce qui est une toute autre affaire. Il est clair que l’édit de 1560 ne visait pas le seul Nostradamus même si un Couillard, dans ses Contreditz (1560) met son nom en avant, au point que le titre interne porte simplement « Contreditz à Nostradamus ».
En ce qui concerne l’attribution des deux pamphlets au même auteur, notons que le nom même de « première invective » annonce une suite qui est probablement constituée par la Déclaration, surtout s’il est confirmé que le premier texte aurait connu une première publication en 1557. On notera en tout cas cette même épithète employée dans l’un et l’autre texte pour désigner Nostradamus : « fanatique », écrit diversement. Le premier texte parait anonymement avec les seules initiales, le second comporte le nom complet ainsi d’ailleurs que celui de Nostradamus.
Première Invective du Seigneur Hercules le François contre Monstradamus, Paris et Lyon
Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus, Avignon, Pierre Roux et Jean Tramblay, 1558 (BNF)
On notera que le nom de ce libraire servira en 1590 (Anvers, Sainct Jaure), pour désigner le lieu d’édition des Centuries de 1555. On a là peut être un exemple de l’utilisation par les faussaires des éditions centuriques du corpus anti-nostradamique. D’autres exemples pourraient être signalés comme pour le libraire lyonnais Michel Jove qui publie l’Invective de 1558 mais aussi, l’Androgyn de 1570, qui est selon nous une contrefaçon centurique puisque comportant un quatrain se référant explicitement aux centuries. L’inverse cependant pourrait être observé avec Barbe Regnault, qui met sur le marché de faux almanachs mais qui est aussi créditée du Monstre d’abus de La Daguenière, 1558, qui évoque un tel texte qui est à l’évidence celui qui est daté de 1556 et non de 1558.
D’ailleurs Olivier Millet rapproche (« Feux croisés sur Nostradamus », p. 112) ces deux documents « que par ailleurs tout sépare sur le plan du style » : « dans leur façon de s’adresser à Nostradamus ». Millet remarque « Videl a peut être ainsi puisé l’inspiration de son avis au lecteur dans la Première Invective ». Cela dit, nous ne suivrons pas son analyse quand il écrit à propos de Videl : « Il dénonce en Nostradamus un charlatan qui ne connait rien à l’astrologie ». Encore une fois, l’on ne peut se contenter de restituer le propos de Videl sans le situer : ce que Videl appelle ici Astrologie n’est nullement l’Astrologie Judiciaire qu’au contraire il connait trop bien et ses critiques au niveau des calculs sont typiquement celles d’un astronome. Une autre formule qui prête à confusion si on n’y prête point garde est celle-ci à propos de la Première Invective. Videl, selon Millet, accuse Nostradamus de faire « accroire au monde que ‘astrologie , science de soy mesme estimable » serait condamnable.Mais accroire ici signifie donner crédit, conforter la thèse du caractère condamnable de l’Astrologie, de cette astrologie-astronomique que Videl défend et qui souffre d’une telle promiscuité. Débat qui se poursuivra jusqu’à la création de l’Académie des Sciences par Colbert, et la fondation de l’Observatoire, un siècle plus tard, en 1666, lorsque, enfin, le mot astrologie ne désignera plus que les tenants de l’astrologie judiciaire.
Videl ne s’en prend pas seulement, comme on pourrait le croire en lisant certains passages du texte de Millet, aux pratiques divinatoires que même les astrologues jugent extérieures à leur domaine (comme la géomancie et autres mantiques) mais bel et bien au cœur même du savoir astrologique. Videl n’est certainement pas favorable à la Tétrabible de Ptolémée et les mises en garde de Ptolémée dans son Prologue, -même si Videl s’y réfère probablement, sont décalées – et bien modestes – par rapport aux siennes propres, bien plus draconiennes et qui veulent ramener l’Astrologie-Astronomie à la portion congrue.-
Cela dit, comme le note à juste titre Benazra (« Les garants « ), Videl cite bel et bien des passages que l’on retrouve dans l’Epitre à César sous ses formes interpolées mais il ne fait aucune allusion à César, à la différence de Couillard, ce qui montre que les deux textes ne se recoupent pas sur ce point essentiel, à savoir l’existence d’une épître à César, peu après la naissance de ce dernier. D’ailleurs, il ne nous semble pas, sauf erreur de notre part, que Nostradamus se référe à son fils dans ses différents écrits, imprimés ou manuscrits. Videl réagit à un texte de Nostradamus mais duquel s’agit-il, peut être d’un texte qui n’a pas été conservé, notamment ce qui a pu paraitre sous le nom de Perpétuelles vaticinations, qui parurent probablement sous le nom de Prophéties et dont la trace a été retrouvée par Gérard Morisse, sans que l’on sache précisément quel était leur contenu.. On n’exclura nullement la possibilité que l’on se soit servi de Videl, comme on l’a fait pour le Monstre d’Abus, pour reconstituer des textes de Nostradamus, en l’occurrence sous la forme d’une épître à César (cf infra):
Videl, donc, selon nous, nous fournirait bel et bien des extraits d’une œuvre autrement perdue de Nostradamus. Il fait, notamment, état d’un intérêt de Nostradamus pour Roussat et son Livre de l’Estat et Mutation des Temps, paru à Lyon en 1550 :
“Encores tu te demonstre plus asne quant tu veux parler des sciences (…), quant tu dis que combien que Mars paracheve son siecle, a la fin de son dernier periode, si le reprendra il : il y ha ja trante deux ans passez que mars a parachevé, & alors la lune print le gouvernement”
Or, ce passage se retrouve bel et bien dans la Préface à César sous sa forme interpolée et augmentée, alors que ce matériau astrologique est absent dans la version Besson :
Préface à César :
Car encores que la planette de Mars paracheve son siecle, & à la fin de son dernier periode, si le reprendra il” (fol. B3r)
Cela laisserait entendre que les ajouts à la Préface auraient pu venir du texte perdu de Nostradamus ainsi commenté par Videl ou du texte même de Videl. On retrouve d’ailleurs chez Couillard un passage relatif à une « anaragonique révolution », ce qui reléve de la même source Roussat. Comme on ne saurait concevoir que Videl prête à Nostradamus des développements qui n’auraient pas existé, force est de constater que les ajouts concernant Roussat dans la Préface à César ont leur justification au regard de la production de Nostradamus et par voie de conséquence les quatrains qui dérivent de la prose du Livre du dit Richard Roussat, chanoine de Langres.
II Les épîtres centuriques « authentifiées » par la critique.
Nous montrerons que si l’épitre au Roi de 1556 est authentique et authentifiée par l’almanach pour 1556, la version 1558 ne l’est que par Antoine Crespin, dans les années 1570 qui s’y référe. Quant à la préface à César, nous pensons qu’elle n’a jamais existé avant les années 1580.
A à César
Pour ce qui est de la Préface à César, l’on sait qu’un adversaire de Nostradamus sert de « garant » – pour employer l’expression de Robert Benazra), il s’agit d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon Les Lorriz, auteur de Prophéties, parues, selon le titre, en 1556, en fait moins d’un an après la dite Préface ouvrant le premier volet des Centuries. On nous présente ce texte comme une sorte de pastiche ou de satire de l’Epitre de Michel de Nostredame à son très jeune fils, César et de fait Couillard mentionne le nom de César dans son texte. D’aucuns ont cru que cela suffisait à prouver carrément que les Centuries étaient parues à cette date puisqu’elles étaient introduites par la dite Préface.
Arrêtons-nous sur le privilège accordé au libraire, figurant en tête du texte de Couillard de 1556 :
A monsieur le Prevost de Paris ou son Lieutenant Civil
Recouvert certaine copie cy attachée intitulée Les Prophéties du Seigneur du Pavillon les Lorriz
4 mai 1556
Et comparons –le à celui figurant en tête du volume qu’il est censé commenter :
« recouvert certain livre intitulé Les Propheties de Michel Nostradamus
30 avril 1555
Nous trouvons là, on nous l’accordera quelque similitude entre ces deux documents dont on peut douter de l’authenticité, d’autant que tous deux comportent, en bas de la page de titre ‘Avec privilége ». Signalons que la présence de privilèges dans la production centurique est rarissime. On trouve souvent « avec permission » mais cela ne correspond à rien, comme dans le cas des éditions Benoist Rigaud 1568. Pour les éditions Antoine du Rosne 1557, on ne prend même pas la peine de l’annoncer..
Autre parallèle ; le jour et le mois du privilège Couillard , 4 mai 1556 correspondent à l’achevé d’imprimer Macé Bonhomme, au 4 mai 1555..
Cette formule utilisée dans les privilèges nous semble assez insolite et encore plus si l’on rapproche les deux passages. Le parallèle est en tout cas saisissant comme si les deux formules avaient été comme réalisées conjointement, en quelque sorte comme les deux volets d’un seul et même diptyque.
Rappelons que Couillard est, par ailleurs, l’auteur de « Contreditz à Nostradamus » (Paris, 1560) dont les Prophéties se présentent comme une sorte de prologue. Est-ce que cela n’aura pas contribué à choisir le dit Couillard pour servir de garant pour la Préface à César ? Il suffisait pour cela d’imaginer qu’il réagissait, avec plus ou moins de virulence, à quelque publication de Nostradamus, ce qui avait été avéré. Le critique n’est-il pas le témoin idéal ?
On notera d’ailleurs la similitude des constructions au titre
- Les Contreditz du Seigneur du Pavillon lez Lorriz en Gastinois aux faulses & abusives prophéties de Nostradamus & autres astrologues, Paris, Charles L’Angelier (BNF)
1556 : Les Prophéties du Seigneur du Pavillon Lez Lorriz , Paris, (BNF).
Le nom du Sgr du Pavillon est donc tronqué puisque la formue « en Gastinois » manque.
On notera que le nom d’Antoine Couillard ne figure pas au titre. Mais dans les Contreditz, le nom de Couillard figure dans une épître. Il ne figure nulle part dans les Prophétie37s, ce qui explique qu’elles ne furent pas associées au nom de Couillard dans le catalogue de la BNF et de ce fait non signalées par Michel Chomarat dans sa Bibliographie Nostradamus/
Si l’on étudie le contenu des Prophéties du Sgr du Pavillon Lez Lorriz (sic), à la lumière de nos travaux sur les versions successives de la Préface à César, que le dit Couillard appelle Epitre, nous observons que Couillard mentionne un passage emprunté à Roussat à propos de l’anaragonique révolution. Or, ce passage appartient à la partie interpolée de l’épître, celle qui ne figure pas dans la version Besson. De la même façon, la référence à « Martial », censée faire écho, par transposition, aux « mois martiaulx » ne figure même pas dans la traduction anglaise de 1672 qui correspond à un premier état interpolé. Nous en déduisons que la version que Couillard accrédite n’a pas été heureusement choisie et enlève beaucoup de vraisemblance à l’opération de montage.
Benazra (in « Les garants ») fait d’ailleurs une remarque assez édifiante à propos de la formule «« par amphibologies obstrusement, profondement & par figure nubileuse perplexes sentences », en observant une même formulation dans la Lettre à Henry Second. Nous y voyons plutôt l’indication de ce que la rédaction de cette contrefaçon s’effectua à une époque, où l’on connaissait la dite Epitre au Roi, c’est-à-dire dans les années 1590..
Nous avons déjà mentionné, en suivant les propos de R. Benazra, l’importance des informations figurant dans la Déclaration des abus , ignorances et séditions de Michel Nostradamus, Avignon, chez Pierre Roux, de Laurent Videl pour les fabrication de la Préface à César et dans la foulée pour celle des Prophéties de Couillard qui sont censées en être une sorte de commentaire. Videl nous donne des extraits d’un ouvrage de Nostradamus mais il ne s’agit pas de la Préface à César comme on voudrait nous le faire accroire et d’ailleurs Videl ne cite même pas le nom de César. Il aura semblé aux faussaires, de construire la Préface à partir de la Déclaration de Videl s’en prenant à un texte qui semble bien consister en des Prophéties Perpétuelles. Grâce aux extraits de Videl, l’on pourrait reconstituer du moins en partie ces Prophéties de Nostradamus qui n’ont rien à voir avec la forme des Centuries. Mais les dits extraits se retrouvent en revanche dans la Préface, même celle, si bréve, parue chez le libraire Antoine Besson.
Nous proposons donc le scénario suivant. A partir du texte de Videl, se réalise une première mouture de l’Epitre centurique à César :
Déclaration de Videl : « Tu donc Michel as composé (comme tu dis) livres de prophéties & les as rabotez obscurement, & sont perpetuelles vaticinations (…) O grand abuseur de peuple, tu dis que tu as faict de perpetuelles vaticinations, & apres tu dis qu’elles sont pour d’icy a l’an 3797. Qui t’a assuré que le monde doyve tant durer ? N’est tu pas un assuré menteur ? Car les anges mesmes n’en scavent rien » (fol. D4v – E1r).
Cela devient dans la version bréve de la Préface à César, recueillie par Besson. On passe du « tu » au « je » :
« J’ay composé Livres de prophéties , lesquels j’ay voulu labourer (sic) un peu obscurément contenant chacun cent quatrains astronomiques qui enveloppent (sic) perpétuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 (sic, pour 3797) »
Que l’on comparera à la version longue de l’Epitre à César telle qu’elle figure dans les diverses éditions des centuries :
« J’ay composé Livres de Prophéties contenant chacun cent quatrains astronomiques de prophéties ,lesquelles j’ay un peu voulu raboter obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’année 3797 »
On notera que la version Besson comporte des variantes plus importantes que la version « canonique » par rapport à la source Videl, outre le changement d’année. Sur des points de détail, la version Besson comporte en effet certaines variantes- y compris dans la construction de la phrase – qui lui sont propres. C’est sans importance par rapport à notre propos ici. Ce qui est frappant c’est le passage de « Tu donc Michel as composé livres de prophéties » à « J’ay composé Livres de prophéties », de « les as rabotez obsvurément » à « J’ay voulu un peu raboter obscurément » etc. La transposition est assez flagrante. Et l’interpolation également ;
« Livres de prophéties contenant chacun cent quatrains astronomiques de prophéties » – le terme centurique n’est pas employé. En effet, Videl n’évoque pas le contenu des dits « livres de prophéties » et cela est bien fâcheux pour ceux qui voudraient que Videl ait eu sous les yeux l’Epitre à César, dont d’ailleurs, il ne prononce pas le nom.
Ensuite, l’on créer le texte de Couillard qui est censé dérivé de l’Epitre à César :
- Prophéties de Couillard : « Non pas que j’entende & veuille parler de perpetuelles vaticinations pour d’ici à l’an 3797 » (fol. D4v)
.Mais Couillard est en quelque sorte mieux informé – et pour cause- de la Préface à César et il en donne cet extrait
- Prophéties de Couillard : « puisque noz nouveaux prophetes nous menassent que le monde s’aproche d’une anaragonicque revolution, & qu’il perira si tost » (fol. D4v)
- – Lettre canonique à César : « Car selon les signes celestes le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s’approche, d’une anaragonique revolution » (fol. B3v)
Or ce passage, fait partie de ce qui sera interpolé – pris de Roussat- dans la dite Epitre et ne figure pas dans la version Besson.
Il en est de même de la forme « mois martiaulx » qui est répercutée, nous dit-on, chez Couillard par « mon fils Martial »- ce qui est au demeurant assez incongru- laquelle forme est tardive, puisque non attestée par la version anglaise Garencières – mais ce point n’est pas déterminant car la version anglaise peut être lacunaire sur ce point – qui s’appuie sur un état plus ancien et moins corrompu de la version longue de la Préface. Là encore Videl ne fournit pas cette donnée sur les « mois martiaulx » et ne fait pas la moindre allusion à l’enfant confronté à un savoir qui ne peut que le dépasser.
Besson : « Et que tes ans jouvenceaux incapables à recevoir »
Version canonique : « mais tes mois Martiaux incapables à recevoir »
Version Garencières : But thy months are incapable to receive »
Autrement dit, le pseudo Sgr du Pavillon prend la place de Videl, qui lui sert de modèle, dans la mise en place des faussaires, il se substitue à lui, par un tour de passe passe. Alors que Videl réagit à un texte de Nostradamus que l’on n’a pas conservé, on campe un Couillard qui reprend les propos de Videl mais les situe par rapport à la Préface à César. Et le tour est joué. On voit donc l’usage qui aura été fait –et d’ailleurs au départ à juste titre- des attaques contre Nostradamus, lesquelles restituent par ailleurs en partie les Présages Merveilleux pour 1557, au sein du Recueil des Présages Prosaïques, grâce au Monstre d’abus de La Daguenière. L’interpolation dans le texte de Videl de la référence à César est assez manifeste et ressort du travail comparatif de R. Benazra :
Videl -:
« Tu dis que prophete veut dire prevoyant pource qu’en Samuel est escrit celuy qui s’apelle aujourdhuy prophete s’apelloit jadis voyant : mais il est certain qu’ilz voyaient ce que Dieu leur revelloit par son esprit” (fol. D3v – D4r)
Préface à César avec passage à nouveau du « tu » au « je » et la mention « mon fils » répétée dans une seule et même phrase :
« Encores mon filz que j’ay inséré le nom de prophete, je ne me veux atribuer tiltre de si haulte sublimité pour le temps present : car qui propheta dicitur hodie, olim vocabatur videns : car prophete proprement mon filz est celuy qui voit choses loingtaines de la cognoissance naturelle «
On pourrait compter le nombre de fois où l’on aura placé « mon fils » dans la Préface :
-
Ton tard advenement César Nostradamus mon fils
-
Mais mon fils je te parle icy un peu trop obstrusément (sic pour abstrusément)
-
Je ne dis pas mon fils afin que bien l’entendes
-
entendant universellement par toute la terre mon fils
-
Mais à celle fin mon fils que je ne vague
-
Viens à ceste heure entendre, mon fils
-
Faisant fin, mon fils, prends donc ce don
On a du mal à croire que seul Couillard, parmi tous les contemporains de Nostradamus- ait relevé – et encore n’y revient-il pas dans ses Contreditz- que Nostradamus s’adressait à son fils dans la Préface à ses Centuries. Robert Benazra par son enquéte même sur les « garants » conduit bel et bien à de telles réflexions qui vont à l’encontre de sa démonstration.
B Au roi Henri II
Dans le Recueil des Présages Prosaïques, Chavigny reconnait s’être servi du pamphlet de La Daguenière pour reconstituer partiellement un texte qui aurait disparu de sa collection. L’affaire est assez obscure, quand on y réfléchit. :
1557 :; « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy Tres Chrestien. Passages sugillez et calomniez par un des haineux de l’auteur pour ne les avoir entendus, et retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558. (B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op cit. p. 283)
Autrement dit, il s’agirait d’un ouvrage dont on n’aurait eu connaissance que par la lecture du Monstre d’abus de La Daguenière, Paris, Barbe Regnault, 1558. Ce qui témoigne, en tout état de cause, d’un examen fort attentif par Chavigny et probablement par d’autres de la production tournant, de près ou de loin , autour de Nostradamus, et ce qui signifie que l’accès à la dite production pouvait se faire, ce qui implique l’existence, déjà à l’époque, de bibliothèques spécialisées dans les nostradamica..
Ce texte est important puisqu’il concerne une Epitre à Henri II, qui ne nous est pas restituée du fait qu’elle ne figure pas dans le Monstre d’abus, mais il s’y réfère cependant pour se gausser d’une telle impertinence. Si cela n’avait pas été le cas, Chavigny ne mentionnerait pas ce point. .Mais le lecteur du second volet des Centuries sait que celui-ci est introduit par une telle épître, datée de juin 1558. mais qui renvoie à 1557 : « accomençant par le temps présent qui est le 14 de mars 1557 ». Rappelons qu’à cette époque, le changement d’année s’opérait autour du mois de mars et d’ailleurs la Préface à César est datée du Ier Mars 1555. Mais si elle avait été datée de février 1555, elle aurait été, pour notre calendrier actuel, de 1556, comme dans le cas des Prophéties de Couillard (cf infra) dont les épîtres sont datées de janvier 1555, qu’il faut évidemment lire 1556, comme le note d’ailleurs Olivier Millet.. En ce qui concerne les épîtres de l’almanach et de la pronostication pour 1557, la mention « janvier 1556 » doit être comprise « 1557 », donc peu avant le 14 mars 1557 qui est le point de départ annoncé de l’Epitre au Roi. Mais il n’est pas dit ici, dans le Recueil, que la dite Epitre au Roi introduisait des Centuries et les extraits qui sont donnés ne recoupent nullement les quatrains du second volet ni d’ailleurs du premier. Tel n’était probablement pas le propos car le phénomène centurique, à partir des années 1590 est compilatoire, il ne prétend nullement restituer un ensemble qui aurait été pensé comme d’un seul tenant dès le départ. Il s’agit de recueillir les pièces les plus diverses. Certes, par la suite, probablement du fait de retouches, l’on aura introduit ponctuellement, dans l’Epitre centurique à Henri II une référence aux centuries, mais cela se sera fait après coup lorsque l’on sera passé, comme cela s’observe de façon cyclique, par une phase de toilettage qui alterne avec une phase de récupération et d’addition, alternance qui peut parfois déconcerter et égarer mais qui s’observe dans bien des domaines, hors du champ centurique..
En tout état de cause, la thèse selon laquelle il aurait existé deux moutures successives de l’Epitre à Henri II, diversement datées semble difficile à tenir du moins dans l’esprit des agents concernés, d’autant que la seconde ne renvoie pas à la première alors qu’elle renvoie à la Préface à César de 1555. Il semble bien que l’on cherche ici à accréditer la thèse d’une Epître au Roi qui aurait bel et bien été écrite par Nostradamus de son vivant et bien entendu avant la mort tragique du souverain en 1559.
Un autre lien entre le Monstre d’Abus et le second volet des éditions centuriques tient au fait- signalé par Pierre Brind’amour (Nostradamus astrophile) que le titre complet, à commencer par La Daguenière, qui est un nom de lieu, emprunte assez massivement à la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, qui est, comme on le sait, une des sources connues et reconnues de quatrains appartenant au dit volet, introduit par la dite Epître.
Que conclure de ces remarques ? A comparer l’Epistre au Roi des Présages à celle des Centuries, on reconnait un schéma introductif semblable
« vous consacrer les présages de l’an mil cinq cens cinquante et sept »
Je voudrais consacrer ces miennes premières (sic) prophéties et divinations parachevant la miliade
Mais même si l’on compare avec le texte le plus dépouillé, celui de l’édition Besson, force est de constater que le texte a été largement réécrit.
C’est en tout cas le seul exemple sur l’ensemble des pièces nostradamiques du XVIe siècle où mention est faite au titre d’une dédicace au Roi. Elle ne figure en aucune façon sur l’une ou l’autre des pages de titre des éditions à dix centuries. Un des rares exemples au XVIIe siècle est en 1603 , à Paris, chez Sylvestre Moreau, celui de la Nouvelle Prophétie de M. Michel Nostradamus (…)Dédié au Roy, sans autre précision. Etrangement, si Benazra ou Chomarat mentionnent dans leurs bibliographies, pour l’année 1557, les Présages Merveilleux pour 1557, il ne semble pas qu’ils aient eu conscience que cela comportât une épître au Roi à confronter avec celle des Centuries.(voir Benazra, RCN, pp. 35 et seq). Pourtant le début de l’épître est reproduit, en fac simile, dans le Testament de Nostradamus de D. Ruzo. Le débat n’est pas tant, à ce stade, en quelle année réellement fut publiée une édition comportant cette épître mais de quelle année elle était datée, au départ. Car s’il peut exister plusieurs éditions d’un même texte, il est moins commun qu’un texte porte deux dates distantes de plus d’un an.
Pourquoi aura-t-on éprouvé lé besoin non seulement d’amplifier, de remanier le texte, de le faire introduire des centuries – ce qui se conçoit selon une certaine logique – mais de changer la date de l’Epitre, de la décaler de plus d’un an. ? Nous pensons que cela pourrait tenir à la Vie de Nostradamus qui situe par erreur le voyage de Nostradamus en 1556 et non en 1555. Dès lors, l’épitre de janvier 1556 pouvait sembler suspecte pour des faussaires ignorant que janvier 1556 doit se lire janvier 1557. Mais à la fin du siècle, ce genre de subtilité était déjà de l’histoire ancienne, le changement de pratique datant de 1564. En fait, l’épitre au roi aurait bel et bien pu rester datée de « janvier 1556 », sans cet excés de zéle ou de scrupule qui dénote en tout cas une certaine conscience professionnelle.
. Ce serait en tout cas une erreur de considérer l’entreprise nostradamique comme n’obéissant qu’à une seule et même logique. Plusieurs initiatives auront ainsi cohabité et se seront croisées et à un certain stade, comme lorsque se constitue un canon –comme le canon biblique- des choix sont faits de ce que l’on garde ou ne garde pas, des arbitrages rendus quand il y a des doubles emplois trop évidents. Nous avons évoqué la possibilité selon laquelle l’Epitre à Henri II n’avait peut être même pas été la seule option, qu’une autre épître avait pu être en lice, celle qui nous est connue sous le nom de Significations de l’Eclipse pour 1559.
Quant à l’ouvrage cité dans le Recuei (cf B. Chevignard, Présages, p. 283), du Monstre d’abus de La Daguenière, pour ses passages repris des Présages Merveilleux, il a été noté par P. Brind’amour qu’il avait puisé à la même source que divers quatrains du second volet (centuries VIII, IX, X). On a, quand même, du mal à croire que dès lors les deux entreprises ne seraient pas liées, quelque part. Est-ce à dire que le Monstre d’abus dénoncerait ainsi le stratagéme consistant à piller les ouvrages de Charles Estienne pour composer des quatrains ? Après tout, ces quatrains ont fort bien pu être produits par Nostradamus dans un autre cadre que celui des Centuries, puis récupérés dans le cadre centurique, quitte, comme on l’a vu (IX, 86, Chastres devenant Chartres), à être retouchés car on ne peut exclure que certains quatrains dus à Nostradamus ou à ses collaborateurs aient été repris lors du « revival » des années 1580. Le fait que l’on n’ait pas retrouvé les dits quatrains si ce n’est évidemment dans les éditions antidatées (encore que dans l’état actuel des recherches, nous n’ayons pas d’édition disponible antérieure à 1568 pour les dites Centuries « estienniennes » est compensé précisément par le titre même du Monstre d’abus. On peut aussi supposer qu’au vu du Monstre d’abus, l’idée soit venue de recourir à la même source. Précisons que si l’ouvrage est d’abord paru en 1552, on le trouve, par exemple, en 1600, ce qui est assez proche de la date qui nous semble probable, en version augmentée, à Rouen, chez T. Daré sous le titre : La grand Guide des chemins pour aller et venir par tout le royaume de France, avec les noms des fleuves et rivières qui courent parmy lesdicts pays, augmenté du voyage de S. Jaques, de Rome et Venise (BNF Res. L 25-82). Or, nous avons montré38 que les quatrains empruntés à Estienne ne concernaient pas uniquement les itinéraires français mais aussi ceux situés au-delà des frontières du Royaume, tant en Espagne qu’en Italie. La date de 1552 ne saurait donc constituer un quelconque terminus.
En 2002, nous avions signalé 39qu’Antoine Crespin mentionnait, à deux reprises, bel et bien une épitre au Roi datant de 1558 – c’était la première fois que l’on trouvait un « garant », en dehors des éditions centuriques, pour ce texte. « Regarde une prophétie qui est faite le 27 jour de Iuing 1558 à Lion, dédiée au feu Henry grand Roy & Empereur de France, l’autheur de laquelle prophétie est mort & décédé’: Epître envoyée à M. Crespin Nostrasamus (..) par les six philosophes d’Egipte & l’astrologue du grand seigneur de Constantinople, 1573, Vienne, chez Nicolas Martin et Epistre à la Royne Mère du Roy, Lyon, Benoist Rigaud, 1573, donc à la veuve d’Henri II, Catherine de Médicis. C’est l’occasion de rappeler ce que nous avions développé dans notre post-doctorat ( 2007) le rôle que joua le libraire Rigaud dans la diffusion de l’entreprise crespinienne sinon dans celle de Michel de Nostredame. C’est en fait, probablement, cet engagement dans le processus néo et pseudo nostradamique qui aura abouti à conférer au dit Rigaud la place qu’on lui connait. Cela dit, nous pensons que cette production est plus tardive que nous l’indiquent les pages de titre. Elle place Rigaud au service non pas de la Ligue mais du parti d’Henri de Bourbon, dont on sait que l’épitre à Henri II 1558 ouvre des centuries qui clament haut et fort la victoire du dit prince. Soulignons aussi le fait que le même Crespin truffe ses publications d’éléments que l’on retrouvera dans les centuries. C’est manifestement le cas des Prophéties dédiées à la puissance divine & à la nation française, Lyon, chez François Arnoullet., 1572.Nous avions d’ailleurs en 2002 émis l’hypothèse selon laquelle certains textes de Crespin auraient été récupérés pour contribuer à la réalisation de certaines centuries. Mais la présence dans les dites Prophéties de quatrains appartenant aux dix centuries place une telle production dans les années 1594, date à laquelle des ensembles rassemblant toutes les centuries paraissent et sont comentées par un Jean Aimé de Chavigny, dans le Janus Gallicus. En 2005, dans une communication à Jérusalem, au Congrès Mondial des études juives, nous avions traité de Crespin en rapport avec la question de la papauté, notamment autour du verset « Roy de Bloys en Avignon régner », qui semble bel et biien relever d’une sensibilité réformée.
III La composition des Significations
Nous compléterons le tableau concernant l’instrumentalisation possible d’un antinostradamisme des années 1550 par l’étude de l’Epître à Jacques-Maria Sala, parue sous le titre de Significations de l’Eclipse de 1559 et datée du mois d’août 1558. Nous avons montré qu’outre une interpolation, résultat d’un emprunt à l’Eclipsium de Leovitius, pouvant être considéré comme ayant annoncé la menace par une blessure à l’œil de quelque prince, du fait des effets de l’étoile fixe Antarès, l’on y avait placé un texte anti-nostradamique que nous n’avons pu retrouver ailleurs, lequel texte s’en prend précisément aux Présages Merveilleux de 1557. Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle cette Epître aurait pu servir à introduire certaines centuries du second volet avant d’être remplacée par l’Epitre à Henri II, les deux textes étant datés de 1558, à quelques semaines d’intervalle.
Le procédé est assez étonnant vu qu’on attribue dans les Significations cette diatribe à Nostradamus, qui en était en fait la cible. Dès le titre, on annonce que Nostradamus va répondre à ses détracteurs et pour ce faire on n’aura rien trouvé de mieux que de recycler une attaque dont il avait été l’objet. En fait, à la lecture de ce passage, on s’aperçoit assez vite de la supercherie à moins d’imaginer qu’il s’en prenne à d’autres astrologues, ce qui va accréditer la thèse selon laquelle certains textes dirigés contre lui seraient le fait de confrères.
Or, le passage en question pourrait correspondre en effet à une véritable attaque contre Nostradamus et ses Présages Merveilleux dont aurait pu s’inspirer le rédacteur du Monstre d’abus signé Jean de La Daguenière. Ce qui est clair, en tout cas, c’est que les faussaires avaient une pratique de cette littérature de « haineux » de Nostradamus. Mais ne serait-ce pas plutôt une allusion aux Grandes et Merveilleuses Prédictions, titre qui sera utilisé à Rouen et à Anvers, entre 1588 et 1590, pour désigner les quatrains centuriques ? Le titre Présages Merveilleux associé à une épître à Henri II n’est pas sans évoquer le second volet introduit par la dite Epitre. Ne pourrait-on considérer que cet intitulé était utilisé par le camp d’Henri IV alors que Prophéties l’était par le camp ligueur mais qu’à un certain stade, le titre aurait été repris, pour créer quelque confusion, à Rouen et à Anvers, avec un contenu tout autre ?
Mais quelle est la place de la polémique dans la production du dit Nostradamus ? Dans les Significations, justement, figure au sous titre la mention : Avec une sommaire responce à ses détracteurs. Or cette réponse consiste en grande partie dans ce texte emprunté à l’un d’entre eux:
« O la grosse bestiasse , tu ne saurais contredire que tu ne le sois & bien gros pour avoir inséré en tes ignares & sans savoir avoir advertissement que tu as pris de Boccace dans la généalogie des dieux ou il parle des poétiques narrations (…) Tu veux aussi estre cornu au principe, comme tu es à la fin du sac mais scais tu que tu seras philosophe avec tes pronostiques que tu dis estre merveilleux ( …) comme tu es loing de bon sens & de foi chrestienne (…) » C’est ensuite Nostradamus qui poursuit, apparemment, visant l’Hercule François ; « Or je suis prédestiné en cet estre que tous ceux qui à l’encontre de moy escrivent sont totalement «bestes brutes, asnes hebetés & déceuz grandement de toute leur voye (…) comme il a esté si outrecuidé desoy attribuer le surnom d’un si vaillant personnage comme Hercules Galleus » 40» . Il s’en prendrait donc ici à Videl.
Mais dans la Grande Pronostication Nouvelle pour 1557, l’on trouve au titre « Contre toux ceux qui tant de fois m’ont fait mort. »
Cette pièce reprend le motif des Pronostications de Nostradamus telles qu’elles nous sont connues pour les années 1555,(collection Ruzo, page de titre in Testament de Nostradamus) 1557(Musée Arbaud, Aix en Provence), 1558 (Bib. La Haye) et 1562 (Vente Ruzo, Catalogue Swann n°18), ce qui fait quatre occurrences. En ce qui concerne la pronostication pour 1559, nous ignorons son apparence. Au delà, seuls des almanachs de Nostradamus, donc sans vignette, nous sont connus, si ce n’est les almanachs pirates de Barbe Regnault qui comportent un autre type de vignette.. La formule de la Pronostication paraissant parallèlement à l’almanach est abandonnée, l’une étant organisée selon les saisons, du printemps jusqu’à l’hiver et l’autre de janvier à décembre.
Pourquoi, dans ce cas, les Significations comporteraient-elles la vignette réservée aux Pronostications ? Il nous semble en effet qu’il ait existé un cloisonnement assez strict. Pour le public, les Pronostications constituaient probablement le fer de lance de la production nostradamique et d’ailleurs la partie la plus susceptible d’attaques de la part des gardiens du « bien public », comme Videl alors que l’almanach avait pour lui la tradition du calendrier et du cycle soli-lunaire, même si les quatrains lui étaient réservés, les pronostications en étant totalement dépourvues.
Comme pour les Présages Merveilleux qui s’alignent sur la production du libraire parisien Jacques Kerver, les Significations s’en tiennent à la présentation propre à Guillaume Le Noir, et la Pronostication nouvelle pour l’an 1558, parue chez ce même libraire, pourrait bien avoir servi de modèle, vu que nous ne disposons pas de la Pronostication pour 1559. La partie inférieure de la page de titre est inchangée mais l’une a un privilège comme indiqué en bas de la page de titre alors que l’autre n’en a pas, et ce en dépit de la même annonce. Cela dit, en raison de la lourdeur du titre complet des Significations, les caractères en sont sensiblement plus petits.
On nous objectera que le public n’avait que faire d’un texte concernant les années 1559 et 1560. L’on pourrait aussi dire qu’il n’avait que faire d’épîtres datées de 1555 ou de 1558. Et c’est pourquoi certains ont prétendu que de tels textes avaient du, pour le moins, commencé à paraitre au moment de leur rédaction. Or, toute l’entreprise centurique est fondée sur un tel anachronisme, et cela vaut plus généralement pour le prophétisme qui tend à s’articuler sur des textes aussi anciens que possible.
Selon nous, la seule justification des Significations fut qu’à un certain stade, l’on pensait les intégrer au sein du canon centurique. Or, pour quelque raison, tel ne fut pas le cas. Ce texte fut basculé du côté des Pronostications et almanachs en prose et seules deux épîtres – centuriques – échappèrent à une telle relégation. Le cas des Significations est d’ailleurs très particulier puisqu’elles ne s’apparentent pas à la catégorie des publications annuelles. Alors que les Présages Merveilleux ont au moins le mérite de comporter une Epitre au Roi, en dépit de leur caractère également atypique, les Significations consistent en une épître au vice-légat d’Avignon ? Jacques Maria Sala. En fait, les Significations ont le même statut additionnel parmi les productions pour l’an 1559 que les Présages Merveilleux pour l’an 155741.
. Il reste que, pour quelque raison, ces contrefaçons ne mentionnent pas de quatrains centuriques alors que cela aurait pu être le cas. Elles semblent ne viser que les épîtres, ce qui, selon nous, plaide en faveur de l’importance, du moins à un certain stade du processus canonique, des dites épîtres. Le seul exemple que nous connaissions d’une contrefaçon se référant explicitement à un quatrain dument cité intégralement avec mention de son positionnement, est celui de l’Androgyn, censé paru chez Michel Jove, à Lyon, en 1570, un des éditeurs par ailleurs de la Première Invective.
. Même les épîtres centuriques ne citent pas explicitement de quatrains mais comme nous l’avons montré ailleurs, nombre de quatrains dérivent des dites épîtres, dont elles sont les matrices.
Certains historiens ont quand même été surpris par ce silence des adversaires de Nostradamus concernant les centuries. C’est ainsi qu’Olivier Millet écrit : « Videl s’en prend non pas aux Prophéties déjà anciennes de 1555 ni à celles de 1558, pas encore publiées mais aux almanachs et pronostications des dernières années »(« Feux Croisés », p. 107). En fait, Videl, un des rares adversaires de Nostradamus dont nous ne discutons pas l’authenticité de certaines œuvres en rapport avec Nostradamus, ne se référe pas, en 1558, aux « Prophéties », tout simplement parce que celles-ci ne sont pas encore parues.
6 Les centuries ou le passage de l’astrologie à l’onomancie
Il est un point sur lequel buttent nos recherches et nos réflexions, c’est la question de l’usage que l’on était censé faire des quatrains prophétiques. Est-ce que les épîtres placées en tête des quatrains nous expliquent le mode d’interprétation proposé ? Mais qu’en était-il déjà pour les almanachs et les pronostications que Nostradamus fit paraitre de son vivant, pourquoi se les procurait-on ? Plus largement, qu’attendaient les clients de Nostradamus avec lesquels il correspondait, puisque un volume fut constitué de ses lettres (édité par Jean Dupébe, Lettres inédites, Droz, Genève, 1983) Mais comment donc, dans les années 1580 lisait-on les Centuries, comment choisissait-on les quatrains signifiants parmi tant de possibilités? Serait-on passé d’une lecture prospective à une lecture rétrospective ?
Nous partirons d’une expérience personnelle : deux moments clef de notre recherche pour déterminer la date de certains quatrains et donc, indirectement, fixer un terminus à certaines éditions comportant les dits quatrains, ont concerné deux quatrains comportant un nom de ville, Tours pour IV, 46 et Chartres pour IX. 85. Si ces noms n’avaient pas figuré, nous n’aurions pas jugé que notre analyse aurait été convaincante. Or, il est probable qu’il dut en être ainsi pour les premières lecteurs des Centuries avant que ne se mette en place un lourd appareil exégétique, une littérature spécifique dont le Janus Gallicus est la première manifestation, suivi en 1656 par le Dominicain Giffré de Réchac, avec l’Eclaircissement des véritables quatrains, paru anonymement et qui plus est très partiellement. La comparaison entre la production centurique sous la Ligue et celle sous la Fronde est frappante. Dans le premier cas, pas de commentaire, dans le second, des pamphlets se servant de quelques quatrains triés sur le volet et ne laissant plus au public une quelconque liberté de se promener à travers les rangées de quatrains, jusqu’à ce que l’œil soit attiré par quelque bosquet de mots…
Selon nous, une loi non écrite, accordait la plus grande importance aux noms propres et cela s’exprimera de façon exacerbée et caricaturale avec ces quatrains tirés de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, ce qu’a relevé heureusement Chantal Liaroutzos42, sans en tirer cependant toutes les implications. C’est ainsi d’ailleurs que le nom de Varennes a connu la fortune que l’on sait, par sa présence au quatrain IX 20. Pour s’intéresser à un quatrain porteur d’un nom de lieu ou de personne, il importe d’avoir quelques rudiments d’histoire ou de se situer dans une actualité immédiate. Dans les deux cas que nous avons évoqués, le quatrain Tours et le quatrain Chartres, il est clair que cela ne fait plus guère sens de nos jours, si l’on ignore ce que ces deux villes ont pu signifier dans les années 1589-1594 mais rien n’interdit de penser qu’ils pourraient à nouveau frapper les esprits s’il se passait quelque chose, un beau jour, dans ces villes.
On nous objectera qu’il est des quatrains célèbres qui ne comportent pas de nom propre. On pense à celui relatif à la mort d’Henri II dont tant de biographes nous disent qu’il défraya la chronique, au lendemain de ce tragique événement :
I 35
Le lyon jeune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle
Dans caige d’or les yeux luy crevera
Deux classes une puis mourir mort cruelle.
Rien en apparence ne contraint le lecteur à associer ce quatrain, avec quelque conviction, à un tel quatrain, de toute façon composé post eventum –dès lors que l’on rejette la thèse d’une parution des Centuries du temps de Nostradamus. Mais si l’on connait le nom du malheureux adversaire, Gabriel de Lorges, comte de Montgomery, on remarque alors l’anagramme assez transparent, caige d’or, pour Orge. Le jeu de mots est assez transparent bien qu’à notre connaissance, personne ne l’ait à ce jour signalé. D’autres quatrains avec le mot « grain »- parfois changé en « grand » 43- peuvent aussi se référer à l’orge et dans ce cas, un nom commun, voire un adjectif, peut devenir un nom propre…
Citons le cas du quatrain 100 de la Vie centurie, absent de toutes les éditions antidatées (1557, 1568)
Fille de l’Aure, asyle du mal sain
Où jusqu’au ciel se void l’amphithéâtre
Prodige veu, ton mal est fort prochain
Sera captive & deux fois plus de quatre
Nous y voyons une allusion à Catherine de Médicis, fille de Laurent, d’où le jeu de mots : fille de l’Aure, la reine mère du roi Henri III meurt en janvier 1589..
Nous avions également signalé le cas de VI, 85, donc parmi les apports les plus tardifs au premier volet puisque se situant au-delà du 83 e quatrain, qui clôturait la centurie VI des éditions parisiennes :
Premier d’esté le jour de sacre Urban.
Allusion au règne très bref d’Urbain VII, au cours du mois de septembre 1590- débutant en Eté – mais peut être paru avant sa mort de malaria. Dans ce cas, l’on aurait là une date assez nette, celle de son élection, le sacre n’ayant pu avoir lieu à temps.
La question des anagrammes est bien connue dans le second volet : Mendosus pour Vendôme et Norlaris pour Lorraine, si bien que tel mot incompréhensible peut se révéler renvoyer à un nom propre. Mais ces noms figurent également en clair, au sein du même second volet, à l’intention probablement des lecteurs les moins perspicaces pour lesquels il faut mettre les points sur les i.. N’oublions pas Chyren, anagramme récurrent d’Henri. A VIII, 67, c’est Nersaf pour France, qui renvoie au cardinal de France. PAR. CAR NERSAF à ruine grand discorde. Mais en VIII, 4, le quatrain est en clair : « Le Cardinal de France apparaitra. »44
On pourrait aussi citer le quatrain évoquant le Marquis de Pont à Mousson, fils du duc de Lorraine et prétendant au trône de France, lors des événements qui suivirent l’assassinat d’Henri III.
VII, 24
Grand de Lorraine par le Marquis du Pont
Cette centurie VII qui est la plus tardive du premier volet et qui est une pièce rapportée, au-delà de la centurie VI se terminant par un avertissement conclusif latin Ce quatrain figure dans l’édition d’Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII..
On n’a pas de mal évidemment à s’intéresser aux quatrains comportant le nom de Guise : toujours dans cette centurie VII additionnelle (annoncée dans les éditions parisiennes 1588, par ses « 39 articles ») :
VII 29 le Grand de Guise se viendra debeller
Nous signalions plus haut le recours à des mines de noms de lieux, puisés dans les itinéraires élaborés par Charles Estienne. Mais ces noms peuvent être modifiés pour la circonstance. C’est ainsi que l’un de ces quatrains, IX, 86, comportant le nom de Chastres aura été retouché pour faire apparaitre celui de Chartres, cathédrale du couronnement d’Henri IV, en janvier 1594/ Mais nous sommes là au sein du second volet, lequel d’ailleurs est le seul à emprunter à Estienne, ce qui est, selon nous, révélateur de l’existence d’une certaine tradition de recours aux noms propres.
Il y a ainsi tout un codage de noms propres, comme ce verset répété ;
IX 41 Le Grand Chyren se saisir d’Avignon
Ou encore Roy de Bloys en Avignon régner.(VIII, 38 et VIII, 52)
Le cas des sixains confirme toute l’importance des noms propres : on y trouve des allusions assez transparentes à Concini, Marquis d’Ancre (sixain n°1), mais celui –ci ne devint Marquis qu’en 1613, l’anagramme de Biron en Robin (sixain 6), lequel fut exécuté en 1602, mais il apparait que ce texte comportait des clefs qui figurait in fine mais qui n’ont pas été reprises dans les éditions centuriques45, ôtant une partie de son intérêt au texte mais lui ouvrant de nouvelles perspectives tout au long de sa longue carrière dans le XVIIe siècle, notamment dans les interprétations du chevalier de Jant, dans les années 1670. Un cas extrême est celui du 52e sixain : « Encor un coup la sainct Berthelemy » Quant au « suc d’orange »(sixain 5), il renvoie à Guillaume d’Orange.
L’on voit ainsi que le lecteur avait quand même sur quoi accrocher son regard. Cela présente un grand intérêt pour celui qui veut dater les éditions car ces noms propres peuvent, dans nombre de cas, difficilement être mis sur le compte du hasard ou de quelque inspiration prophétique. Ces quatrains ou sixains portent en eux-mêmes leur terminus. Le cas de Concini est assez remarquable car il ne devient Marquis qu’en 1613 et il n’émerge aux côtés de Marie de Médicis, sa compatriote italienne, qu’à la mort d’Henri IV en 1610. Comment pourrait-on dès lors dater de 1605 des éditions des Centuries comportant des allusions à Concini ? C’est pour cette raison, probablement, que l’on a supprimé les clefs y faisant référence et qui accompagnaient l’édition Morgard (cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, op. cit.). Le fait que les sixains soient précédés d’une Epitre à Henri IV datée de 1605 aura induit en erreur nombre de bibliographes. Il convient probablement de situer une telle production sous la régence de Marie de Médicis et autour de 1614, période marquée par de nombreux pamphlets anti-Conchine. Concini, comte de la Penna, est d’ailleurs probablement aussi brocardé quand il s’agit de plume (penne) Sixain VI, la plume au vent.
On nous objectera que dans nombre de cas, un nom peut valoir pour divers événements. Un prénom vaut pour plusieurs rois (Henri) ou papes (Urbain), telle ville a été au cours de son histoire le théâtre de diverses actions surtout si l’on prend en considération l’histoire antérieure à Nostradamus, sous prétexte que les centuries recyclent des chroniques des siècles passés (cf les travaux de Peter Lemesurier et l’ »effet Janus » qui associe passé et futur). Mais pour en revenir aux six exemples de lecture des quatrains que nous avons revendiqués personnellement I, 35, IV 46, VI, 100, VI, 85, VII 24, IX 86 (cf supra), nous dirons que ce que nous retenons c’est la coïncidence entre la date de publication et l’événement concerné, ce qui implique évidemment de déterminer cette date. C’est évidemment hors de question pour celui qui utilise des éditions d’un seul tenant, où l’on a fait disparaitre toute indication d’addition, ce qui est le cas des éditions Antoine du Rosne 1557, qui n’offrent aucune prise et qui de ce fait sont plus « modernes », plus achevées que les éditions que d’aucuns voudraient nous convaincre qu’elles les précédent. Il n’est évidemment pas question d’associer ici des quatrains à des événements se situant avant 1559(mort d’Henri II) ou après 1617 (assassinat de Concini)
Mais quand on nous explique qu’en 1588, le quatrain IV 46 « manque » et qu’on le retrouve dans les autres éditions, on a quand même le droit de penser que l’addition de ce quatrain- sans on entre dans une logique de quatrains qui s’ajoutent progressivement- coïncide étrangement avec le statut de Tours, comme rivalisant avec Paris contrôle par les Ligueurs. Quand on sait que la centurie VII se situe en fin de processus, en tant qu’addition à la centurie VI, on peut légitimement noter que le Marquis du Pont -associé dans le même verset à Lorraine- est en piste, du fait de son ascendance carolingienne prétendue- dans la course dynastique qui se joue à la fin des années 1580. Quant à l’éphémère règne d’Urbain VII, qui ne dura que quelques jours du mois de septembre 1590, il apparait dans un quatrain des ultimes ajouts complétant la centurie VI et il permet donc une très grande précision dans la datation des quatrains 84 à 100 de la dite centurie, tout comme d’ailleurs IX, 86, à propos du couronnement de Chartres, figurant dans une centurie hostile à la Ligue. Il fait d’ailleurs pendant à IV, 86, quatrain qui appartient à la partie additionnelle aux 53 quatrains qui constituèrent un temps la dite centurie et qui annonce un sacre à Reims et à Aix la Chapelle, ce qui renvoie aux prétentions lorraines, réveillées à la mort du duc d’Alençon, en 1584, ouvrant une crise dynastique, du fait de l’absence d’héritiers directs de la maison de Valois…
Avecq Sol, le Roy fort & puissant
A Reims & Aix sera receu & oingt. :
En ce qui concerne les emprunts à la Guide des Chemins de France, Pierre Brind’amour avait fait remarquer que les attaques d’un dénommé La Daguenière en étaient inspirées. Le nom même de La Daguenière jouxte même celui de Varennes46.
Ces arguments, on l’aura compris, viennent compléter notre dossier fondé par ailleurs sur divers critères parfois plus complexes à intégrer. Mais précisément, on se sert ainsi de ce qui a certainement fait le succès des dites Centuries.
Tout se passe ainsi, comme si l’on était passé des almanachs qui s’articulent sur des dates, des semaines, des mois, des années vers des centuries qui s’appuient sur des noms propres ou du moins qui doivent être lus dans ce sens, quitte à trouver des allusions au travers d’une expression apparemment insignifiante. Le nom remplace la date comme donnée prophétique majeure et l’on pourrait parler d’onomancie se substituant à l’astrologie, c’est-à-dire, ici, une divination capable d’annoncer des noms, ce qui doit être distingué de ce que l’on entendra au XIXe siècle, à savoir une façon à partir du nom de connaitre l’avenir de quelqu’un, voire de dresser son thème.47. Cette rivalité entre astrologie et onomancie est toujours d’actualité, avec l’émergence d’une numérologie. Mais, comme on l’a dit, les Centuries relèvent d’un autre type d’onomancie qui ne se maintient plus de nos jours que dans les cabinets de voyance. Un voyant est souvent admiré parce qu’il a su donner un nom propre. C’est cela qui lui confère du crédit. L’astrologue, quant à lui, ne saurait prétendre à une telle performance, du moins avec les outils dont il dispose. Au départ, il n’était peut être question que d’allusions à mots couverts à l’encontre ou en faveur de certains personnages, mais il devint commode de passer par le mode prophétique pour ce faire. Le fonds de commerce du centrisme est assurément son capital de noms propres et de tout ce qui peut être assimilé à un nom propre.
On notera qu’en astrologie, l’on demande la date et le lieu de naissance pour dresser le thème natal, donc des chiffres et un nom (de lieu). Les tentatives de la part des astrologues pour localiser une prévision, c’est-à-dire pour déterminer qui sera « touché » ou quelle région, quelle ville seront impliquées sont généralement vouées à l’échec, en dépit de certains systémes de correspondance entre signes zodiacaux et géographie. Le passage de l’astrologie vers le prophétique tend, quelque part, vers cet idéal d’accomplissement spatio-temporel, permettant à la fois de fixer une date, une période mais aussi, par l’entremise du prophétique, de cerner le point d’impact..
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7 Le revival nostradamique dans les années 1580
En 1653, paraissait un Dariotus Redivivus, traduction anglaise d’un traité d’astrologie paru en français et en latin, à Lyon dans les années 1550.48 On pourrait parler dans les années 1580, d’un Nostradamus redivivus. Cette notion de « revival » ne doit pas être confondue avec l’idée d’édition posthume et encore moins, on s’en doute, avec celle d’édition »du vivant » de l’auteur. Ce sont trois cas de figure bien distincts mais que l’on tend, chez la plupart des nostradamologues, à confondre. Une édition posthume est réalisée généralement au lendemain de la mort d’un auteur, elle n’implique pas que cet auteur ait été peu ou prou oublié. Mais toute édition, a priori, comporte des textes d’un auteur donné et donc rédigés sinon parus, par la force des choses, de son vivant. Une édition postérieure à la mort d’un auteur comportera donc des textes datés du temps où cet auteur était encore en vie. Ces prolégomènes peuvent sembler superfétatoires mais, dans le domaine qui nous occupe, il est toujours bon de préciser les choses.
Selon nous, au milieu des années 1580 fut orchestré un « retour » de Nostradamus, personnage qui avait été quelque peu oublié et qui avait connu un certain prestige dans les années 1550, sous Henri II. Rien n’était paru sous son nom depuis une vingtaine d’années, mais divers astrologues se revendiquaient de sa filiation, réelle ou intellectuelle. Mais un auteur qui a vécu il y a plusieurs décennies a une aura particulière, dans le champ prophétique. Une épître datée de 1555, adressée par Nostradamus à son fils César permettait de créer cet effet de perspective en ces années 1580. Mais allait-on ressortir des textes parus de son vivant ou à sa mort survenue en 1566 ? La plupart de tels textes étaient révolus, dédiés à des périodes qui n’étaient plus en prise sur l’époque. Il fallait donc à la fois faire revivre un auteur ancien tout en lui faisant tenir un discours qui ne « date » pas trop ou mieux qui soit intemporel. Le fait que l’intervalle de temps restait relativement modéré présentait un certain avantage : d’une part, on pouvait encore assez bien situer son temps et d’autre part, l’on était en mesure de produire des contrefaçons passables, en recyclant des matériaux encore disponibles notamment toutes sortes d’ouvrages parus dans les années 1550, permettant de recréer un contexte crédible, une reconstitution vraisemblable, en raison de tel ou tel détail apportant un semblant d’authenticité.
Le revival aurait certes pu en rester à la mise en circulation de textes posthumes mais jamais parus, retrouvés dans quelque bibliothèque- scénario classique que l’on retrouvera en plein milieu du XIXe siècle avec la Prophétie d’Orval.49 Mais nous verrons que le zèle de certains conduisit à exhumer de prétendues éditions d’époque qui n’étaient que des duplications, quelque peu patinées, de la production propre au dit revival. D’où cette confusion que nous évoquions plus haut entre les trois types de situations éditoriales.
Mais si l’on se situe au milieu des années 1580, à la mort du duc d’Alençon pour situer une date clef par rapport au déclenchement de la crise et de la guerre dynastiques, ce qui paraissait alors sous le nom de ce Nostradamus était totalement inédit sinon inouï.
En vérité, nous n’avons pas conservé les premières éditions concernées par ce grand retour de Nostradamus. Si l’on laisse de côté les éditions antidatées, censées parues du vivant de Nostradamus ou peu après sa mort (entre 1555 et 1568), nous trouvons les premières éditions de ses « centuries » -puisque ce sont elles qui sont au cœur du revival nostradamique- portant la date de 1588. Mais plusieurs éléments nous conduisent à situer l’émergence du phénomène centurique – ou pré-centurique (cf infra) quelques années plus tôt. D’une part, le contenu des dites éditions 1588 et de l’autre l’émergence,certes tardive, dans la seconde partie du XVIIe siècle, tant en France qu’en Angleterre, d’éditions comportant des pièces qui pourraient bien correspondre à un état antérieur aux pièces figurant dans les éditions datées de 1588.
I Le contenu des éditions datées de 1588
Nous avons de cette année 1588, du moins si l’on s’en tient aux pages de titre- deux éditions très différentes, par leur titre d’une part, par leur contenu de l’autre.
Par leur titre d’abord puisque l’une, parue à Rouen, chez Raphaël du PetitVal, se présente comme divisée en 4 centuries et s’intitule Grandes et Merveilleuses Prédictions tandis que l’autre parue à Paris, chez la Veuve Nicolas Roffet s’intitule Prophéties et signale une addition de 39 articles (ou quatrains), correspondant à la centurie VII, additionnelle, à une précédente édition de 1557, qui serait donc à six centuries, effectuée en 1561.50 Toutes deux, cependant, sont introduites par la même Préface adressée par Nostradamus à son fils. Donc dès 1588, il aurait été question, à Paris, ville marquée par la Ligue, d’une édition effectuée du vivant de Nostradamus et dont la dite édition parisienne serait une réédition. Mais cela ne signifie pas que le contenu de ces éditions n’était point, quant à lui, à caractère posthume ou plutôt pseudo-posthume.
Le problème, c’est que le contenu de cette édition parisienne de 1588 ne correspond pas à son titre. On n’y trouve pas une annexe de 39 quatrains. Quant à la centurie VI, elle n’atteint que 83 quatrains, ce qu’on appelle dans cette édition centurie VII n’étant que la suite de la centurie VI, qui n’allait pas au-delà du 71e quatrain. De deux choses, l’une : ou bien le contenu de cette édition est antérieur à toutes les éditions comportant six centuries pleines et d’un seul tenant, outre qu’elle comporte une marque additionnelle après le 53e quatrain de la IV ou bien, comme le soutiennent encore une grande partie des nostradamologues, des quatrains se seront perdus en route. Pour notre part, nous nous en tenons à la première position.
Quant à l’édition rouennaise de 1588, elle a beau se présenter en son titre comme étant divisée en 4 centuries, Ruzo précise – point négligé par la plupart des bibliographes, y compris Patrice Guinard, qu’elle n’est pas encore divisée en centuries et qu’elle ne comporte pas 353 quatrains mais seulement 349.
Nous avons donc quatre états successifs pour le prix de deux éditions datées de 1588:
1 une édition à 349 quatrains sans répartition centurique
2 une édition à 4 centuries
3 une édition augmentée, complétant la centurie IV (entre temps passée à 53 quatrains) et comportant une centurie V suivie d’une addition de 71 quatrains à la VI, suivie encore d’une addition de 12 quatrains supplémentaires qui prend même le nom de centurie VII, par inadvertance.
4 Une édition à sept centuries, dont la VIIe est à 39 quatrains.
Il est clair que ces différents états ne se situent pas en la même année 1588 et nous invitent à les échelonner sur les années précédentes, et au moins pour 1587.
II Le contenu des épîtres des résurgences du XVIIe siècle
Mais d’autres données viennent confirmer la nécessité de repousser encore plus en amont l’apparition du phénomène centurique ou pré-centurique (dans le cas d’éditions dont les quatrains ne sont pas encore divisés en centuries. En effet, les éditions 1588 comportent une préface à César qui est grosso modo du même type que celles qui figurent en tête de toutes les éditions connues des Centuries. Le seul cas qui n’est pas résolu, dans le dit corpus 1588 est celui de Rouen 1588, qui reste inacessible bien que décrit trop rapidement par Ruzo. Mais l’on connait la Préface de l’édition du même libraire rouennais, pour l’année suivante 1589 et qui est « conforme » encore qu’elle comporte sept centuries mais avec une centurie VII dont on ignore le nombre de quatrains, vu que la fin en est tronquée et que l’on n’a qu’un seul exemplaire (dont nous avons copie à la Bibliotheca Astrologica), si ce n’est que l’édition d’Anvers de l’année suivante, qui semble en être le prolongement, n’a que 35 quatrains à la VII, ce qui la placerait avant l’édition à 39 quatrains(cf supra) Il convient donc de manier les données chronologiques avec la plus extrême prudence, en tenant compte notamment des rééditions et des postdatations qui en découlent.
Que nous apportent ces éditions de la seconde moitié du XVIIe siècle ? La conviction que l’état des deux épîtres centuriques, à César et à Henri II, sous sa forme « canonique » est marqué par deux problèmes : la corruption du texte et les interpolations. Or, si déjà nous avons opté pour l’année 1587 pour avoir assez d’espace pour déployer toute une série d’états successifs, il va nous falloir ménager encore un peu plus de place pour accueillit des éditions comportant des épîtres non corrompues et non interpolées.
La traduction anglaise de 1672, due à Théophile de Garencières, dont on ignore d’ailleurs l’original français correspondant, est interpolée (cf infra) mais bien moins abimée que les autres versions des Epitres centuriques, toutes années et générations confondues. Nous ne reviendrons pas ici sur les avantages du dit texte anglais mais ils sont suffisamment patents pour ne laisser guère de doute et nous rendre exigeants quant à la cohérence rédactionnelle propre, a priori, à la prose sinon aux vers. On ne tiendra pas compte ici des centuries qui suivent la dite épître car visiblement, il s’agit d’un recueil de pièces dépareillées et hétérogènes. Il nous semble assez évident que l’on dispose avec le texte londonien de 1672 d’un état antérieur à celui des éditions abordées plus haut.
Mais c’est aussi-et bien plus nettement encore – le cas de l’édition lyonnaise Antoine Besson- dont le titre reprend celui des éditions de Rouen 1689 et 1691 mais avec un contenu sensiblement différent quant aux épîtres mais aussi quant à certains quatrains- – que l’on doit dater des années 1690, sur la base de certains événements qu’il mentionne dans son commentaire, in fine- qui ne correspond pas à l’original français ayant servi à la traduction anglaise si ce n’est qu’il offre la même cohérence d’écriture que le texte anglais, pour les parties qui leur sont communes. En effet, ce qui caractérise la dite édition Besson, c’est qu’elle ne comporte pas les emprunts à Savonarole et à Roussat observés par différents chercheurs au sein de la Préface à César, lesquels nous considérons comme des interpolations forcément postérieures aux éditions sans les dites interpolations. Pour l’épître à Henri II, il en est de même, de longs développements centraux sont absents du corpus centurique Besson, à savoir les chronologies bibliques, mais aussi des emprunts à d’autres chapitres du Livre de l’Estat et Mutation de l’Univers, notamment le passage sur 1792 qui ne s’y trouve point. On peut évidemment tenir un discours affirmant que Besson a passé par-dessus bord toute une partie des deux épîtres centuriques mais nous préférerons, à tort ou à raison, l’autre analyse à savoir que nous sommes, en quelque sorte de façon inespérée pour l’historien des textes, en présence des états premiers du revival nostradamique et qu’il fat bien remonter encore un peu plus haut dans le temps, autour de 1586 du moins pour le premier volet. Car notre travail ici concerne surtout la genèse des sept premières centuries. Celle des centuries VIII à X exige une autre approche du fait qu’aucune édition de ces centuries ne nous est parvenue, isolément avant 1603.(chez Sylvestre Moreau) et que les éditions à 10 centuries sont selon nous à dater autour de 1600, au lendemain de l’édit de Nantes (1598), qui instaure un certain mode de coexistence entre les camps religieux. Or, les centuries vIII à X sont l’œuvre du camp réformé. Elles apparaissent vraisemblablement après les centuries I- VII mais probablement sans référence à celles-ci. En 1594, le quatrain IX, 86 a certainement été porté par une édition VIII-X, pour conforter le sacre d’Henri IV mais cela ne signifie nullement qu’il était ainsi numéroté et encore moins qu’il existait déjà une édition à 10 centurie, même lors de la parution du Janus Gallicus, en cette même année 1594, qui marque en tout cas l’émergence de ce groupe de centuries alors que l’autre groupe est déjà constitué à 7 centuries, dont 42 à la VII.(cf Ed. Cahors, J. Rousseau, 1590, RCN, pp. 126 et seq, Bib de la Société des Lettres de Rodez), nombre que l’on retrouve dans l’édition Antoine du Rosne 1557 ( Bib. Utrecht). On aura remarqué que nous ne tenons absolument pas compte des éditions datées des années 1555 à 1568 qui ne sont que la réplique- et non l’inverse- des éditions des années 1580 et suivantes.
On pourrait donc proposer la chronologie suivante qui ne saurait selon nous débuter avant 1584, quand La Croix Du Maine consacre une notice à Nostradamus sans mentionner un quelconque revival s’étant récemment produit. Du Verdier, pas davantage, dans sa Bibliothèque, en 1585, ne semble avoir été le témoin d’une quelconque résurgence et ses références s’entendent du temps de Nostradamus et doivent être situées dans ce seul contexte. Notre terminus sera donc 1586, ce qui nous laisse une marge de temps raisonnable pour échelonner une série d’éditions avant la date de 1588 qui, comme on a pu s’en rendre compte, n’a nullement le profil d’un point de départ du processus.
Récapitulons en conclusion quelle pourrait avoir été le premier temps du revival.
1 Une édition comportant une préface à César (type Besson, Lyon) sans les quatrains « Roussat »
Le texte n’évoque pas des centuries : il se termine ainsi « espérant à toy déclarer une chacune des Prophéties & quatrains cy mis ». Il ne s’agit nullement, on s’en doute, de laisser entendre que cette préface est authentique du moins en ce qui concerne son utilisation pour introduire un tel corpus. Les quatrains en question n’étaient pas issus des textes de Roussat, absents de cette version de la préface, ce qui nous conduit à éliminer les quatrains correspondants. On ignore combien il y a avait de quatrains, probablement 300 si l’on s’en tient à une certaine norme qui va prévaloir tout au long du processus centurique.
- Une édition comportant une préface augmentée mais non corrompue (type Garencières 1672) et les quatrains ‘Roussat » avec un ensemble de quatrains non encore répartis en centuries et augmenté tout au plus jusqu’à 349 (comme dans Rouen 1588, au contenu)
- Une édition à 4 centuries dont la IV à 49 quatrains (comme Rouen 1588, au titre)
- Une édition à 4 centuries dont la IV à 53 quatrains (comme Macé Bonhomme 1555, on la connait par les marques d’addition Paris 1588)
- Une édition augmentée à 5 centuries pleines.(on ne la connait que par les indications du n°5)
- Une édition à 5 centuries augmentée d’une sixième à 71 quatrains (cf le contenu des éditions parisiennes 1588-1589)
- Une édition augmentée d’un supplément à la VI à 71 quatrains constitué d’une « suite » à 12 quatrains (reprise des quatrains de l’almanach pour 1561)
- Une édition à 6 centuries pleines (ne prenant pas en compte certaines additions à la VI, cf n°7). On ne la connait que par les éditions augmentées (n°9) ayant conservé l’avertissement latin
- Une édition à 6 centuries augmentée d’une septième d’un certain nombre d’ articles (entre 30 et 40), avec maintien de l’avertissement latin (cf n°8) (Benoist Rigaud, 1568, Antoine du Rosne,1557 Utrecht)
- Une édition à 6 centuries augmentée d’une septième sans l’avertissement latin entre la VI et la VII. (cf Anvers 1590, Antoine du Rosne 1557 Budapest).
Nous avons donc une suite de dix états successifs entre 1586 et 1590, ce qui permet de resituer la production antidatée à la place restreinte qui est la sienne, ce qui est logique puisque tout emprunt est partiel par rapport à son modèle surtout s’il s’agit d’un processus évolutif :
1 édition avec préface à César interpolée et quatrains «Roussat », à 4 Centuries et 353 quatrains (Macé Bonhomme 1555) Type 4 de la série ci-dessus
2 édition avec préface (état corrompu) à César interpolée à 7 centuries dont 40 à la VII ( type 9 de la série ci-dessus), avec maintien de l’avertissement latin. Antoine du Rosne 1557, Bibl Utrecht (à 42 quatrains à la VII)
.3 édition avec préface (état corrompu) à César interpolée, à 7 centuries, dont 40 à la VII, sans maintien de l’avertissement latin (type 10 de la série ci-dessus) Antoine du Rosne 1557 Bibl. Budapest.,
Cet ordre ne préjuge pas de l’ordre de parution des dites éditions antidatées. En fait, la première parue des trois fut Antoine du Rosne, 1557. Bibl. Budapest. Les deux autres sont le fruit d’une entreprise rétrospective et rétroactive du début du XVIIe siècle.
Reste un point aveugle qui est celui de l’interprétation des textes nostradamiques et que nous aborderons plus loin. Que pouvait y trouver le lecteur des années 1580, lorsque les dits textes n’étaient accompagnés d’aucun commentaire, d’aucun mode d’emploi ? Est-ce que la Préface à César suffisait à éclairer l’éventuel interpréte ? Pour notre part, nous avons mis en exergue certains quatrains qui selon nous durent frapper l’imagination du public : IV, 46 dans le premier volet, IX, 85 dans le second. L’un hostile au camp d’Henri de Navarre, l’autre qui lui est favorable. Dans les deux cas, un nom de ville, Tours et Chartres, respectivement. La présence, au sein d’un quatrain, d’un nom propre – soit dans sa formulation claire, soit sous celle d’un anagramme – est plus frappante qu’une suite de noms « communs ». On sait à quel point, sous la Révolution, le nom de Varennes dans un quatrain frappa les esprits, ce qui par la suite interpelllera jusqu’à un Dumézil. Sans cet élément nominal, l’impact d’un texte prophétique est limité. Mais il appartient au commentaire de souligner celui-ci, quitte à modifier certains mots, à l’occasion d’une traduction comme ne se prive pas le faire Jean Aimé de Chavigny lors de sa traduction-interprétation des quatrains nostradamiques. ( Janus Gallicus, 1594). On peut penser que les traductions anglaises des centuries auront généré divers infléchissements du terxte français d’origine.
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8 Matrices de la versification nostradamique
En 2007, dans notre post-doctorat51, nous avons montré que les vers des almanachs de Nostradamus, placé dans le premier volet correspondant au calendrier, étaient constitués d’éléments extraits des développements en prose proprement prédictifs qui constituaient le second volet des dits almanachs, allant même jusqu’à laisser entendre que Nostradamus ne serait pas l’auteur des quatrains de ses almanachs, si ce n’est indirectement du fait des extraits ainsi réalisés. Le passage de la prose aux vers perpétue un certain nombre de mots mais les agence différemment. La prose est la source et c’est en amont que le discours nostradamien fait sens, non pas en aval, par le truchement de sa versification. Or, force est de constater que la prose nostradamienne a fini par passer au second plan, comme il ressort de l’Histoire de l’exégèse des textes qui ne prend en compte que les quatrains. Dans le cas de Jean Aimé de Chavigny, il faut reconnaitre que les Pléiades, parues, une première fois, en 1603, après le Janus Gallicus, commentaire axé sur les seuls quatrains (des almanachs et des centuries, tout ensemble) accordent de l’importance aux « présages prosaïques » (cf RCN, pp. 154 et seq). De nos jours, les deux épîtres centuriques constituent à peu près tout ce que le public connait de la prose de Nostradamus. Une thèse de doctorat a été consacrée, en 2005, en Suéde à La poésie oraculaire de Nostradamus : langue, style et genre des Centuries, par Anna Carlstedt et qui tendent à camper Nostradamus comme l’auteur de centaines de quatrains. Notre position est différente : non seulement, nous pensons que c’était là initialement un exercice assez subalterne mais en outre, nous ne pensons pas que Nostradamus y ait directement contribué si ce n’est en produisant du texte en prose. On ne peut donc parler de la « poésie oraculaire de Nostradamus », y compris pour les quatrains d’almanachs. Par la suite, la source liée à la prose de Nostradamus étant tarie de par la mort de l’auteur, des substituts furent trouvés, qui furent, dans plusieurs cas, interpolés au sein de textes du dit auteur, un tel effort d’interpolation soulignant, nous semble-t-il, que pendant toute une période, c’est bien le texte en prose qui faisait référence, sinon l’on se serait contenté de produire directement des quatrains sans passer par cette phase d’interpolation.
I La production des quatrains des almanachs
Nous nous intéresserons à l’almanach pour 1557 dont nous disposons du texte complet.52 . Mais le Recueil de Présages Prosaïques dans son ensemble permettrait de mener à bien ce travail d’aller-retour entre prose et quatrains. Il ne semble pas que Bernard Chevignard, ait abordé une telle problématique dans son édition- qui en est resté au tome premier et aux années 1550 – de ce manuscrit (Présages de Nostradamus, Paris, Seuil,1999). Le dit Recueil replace en effet le quatrain présage dans son contexte prosaïque d’origine. Mais par la suite, au XVIIe siècle, le dit quatrain se retrouvera isolé de sa source et ce type de quatrains se retrouvera regroupé au sein d’une rubrique spécifique, intitulée « Présages ». Or le titre même du dit Recueil renvoie à la prose. Les quatrains y sont comme une pièce rapportée puisque dans les almanachs, les quatrains ne se placent pas dans le même volet que la partie « prosaïque » et que l’on pouvait ne pas en prendre connaissance et vice versa, selon que l’on parcourait ou non le calendrier lequel ne fournissait que des informations brutes sur le cycle soli-lunaire dont on notera qu’il ne coïncide ni avec le zodiaque, ni avec les mois de l’année.
Exemples de mots passés du texte en prose au quatrain dans les almanachs : il ne faut pas s’attendre à ce que cela fonctionne, mois par mois et que les mots du quatrain de tel mois se limitent aux mots concernant la prédiction du même mois : c’est plutôt au niveau de toute l’année qu’il faut se placer pour considérer la composition des 12 ou 13 quatrains de telle année.
Mars 1557
Fort à craindre est celle expédition
Célèbres morts le fuitif est repris
Ne sera vaine la grande émotion
Point n’entrera qui doubtoit d’estre prix.
Avril 1557
Recueil de Présages Prosaïques, : (n°207-208, B. Chevignard, Présages de Nostradamus, p. 272)
On trouve deux phrases consécutives :
« Expeditions despeschées tant par mer que par terre
Quelques émotions des Orientaux contre l’isle Croisée
Comparons avec le texte original de l’almanach pour 1557 qui est plus complexe :
« LE soleil en Taurus chaud, humide, expéditions despeschées tant par mer que par terre (…)
« Les révolution faisaient quelques émotions des Orientaux contre l’Isle croisée
En fait dans l’almanach, les deux phrases sont nettement séparées (cf iconographie) par plusieurs lignes de textes tandis que dans le Recueil elles se suivent. L’on peut penser que le Recueil ait pu servir carrément à composer les quatrains et correspondait déjà à un certain niveau de traitement.
Pour mener à bien, de bout en bout, une telle entreprise, il faudrait saisir informatiquement la totalité du Recueil des Présages Prosaïques ; comme nous l’avions fait, en son temps, pour Crespin pour ses Prophéties .53, au regard des Centuries (cf. notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, site propheties.it et Ed. du Septentrion)
Comment en est-on arrivé à évacuer la matrice pour ne garder que son dérivé versifié déconnecté ? Nous pensons – et cela vaut surtout pour les quatrains « prophétiques », c’est-à-dire non issus des almanachs mais des épîtres – on pourrait parler de quatrains « épistolaires », que l’on aura voulu évacuer le contexte proprement astronomique, assez laborieux et minutieux, qui constitue comme une sorte de gangue assez indigeste, la chenille devenant papillon.
On peut regretter que Bernard Chevignard, dans son édition du Recueil des Présages Prosaïques (ed. Seuil, 1999, année de la fameuse éclipse) n’ait donné en fac similés que des pronostications (1557et 1558) et des « significations » (pour l’éclipse de 1559), aucun de ces textes ne comportant de quatrains. Il est vrai que l’on n’en trouvait, alors, que très peu d’exemplaires (la collection Ruzo n’étant pas alors accessible) mais il aurait pu, au moins, reproduire, par exemple, l’almanach nouveau pour 1562, signalé à Bruxelles, à la Bibliothèque Royale, par M. Chomarat, Biblographie Nostradamus, op. cit., p. 36, notice 48), celui pour 1561 (Bib. Sainte Geneviève) ayant déjà été reproduit par Catherine Amadou.
Pierre Brind’amour avait déjà commencé (in Nostradamus, astrophile, pp.501-502)) à décrire le manuscrit du dit Recueil (désormais conservé à la Bibliothèque de Lyon-La Part Dieu) mais il l’avait fait imparfaitement : « l’ouvrage est une suite d’extraits nostradamiens en prose portant chacun un numéro d’ordre » écrivait-il. En fait, ces numéros d’ordre servent uniquement, comme dans la Bible, à situer les documents mais ils ne correspondent pas à des extraits distincts qui auraient été juxtaposés, même si –comme on le verra- il est des décalages remarquables entre le Recueil et les almanachs dont nous disposons. Cela ressort de la confrontation avec les almanachs, c’est ce point que nous avions exposé à B. Chevignard lors d’une entrevue avec M. Pierre Guinard, le directeur du département de la Réserve (à ne pas confondre avec Patrice Guinard), à la Bibliothèque La Part Dieu, avant la sortie de son travail, en leur présentant des copies d’almanachs dont nous disposions et en comparant avec le manuscrit. Cela dit, le texte des documents d’origine a été considérablement élagué et parfois déplacé. On observe en fait un phénoméne de sélection assez proche de celui qui a engendré les quatrains des almanachs et l’on peut même se demander si le Recueil n’est pas une interface entre les textes en prose d’origine et les dits quatrains.
C’est ainsi que si l’on prend l’almanach pour 1557 et qu’on le confronte avec le Recueil, le passage consacré à Henri II ne figure pas au même endroit :
Almanach : « La première constitution de ce present moy sera pluvieuse & glaciale des autres adventures par figures dressées à longues revolutions, le tout est plus amplement manifesté en noz présages qu’avons dediez au tres chrestien roy. Toutesfoys le commencement & la fin du présent sera pluvieux etc » »
Recueil : placé tout à la fin du mois de janvier : « Les autres aventures par figures dressées à longues révolutions sont plus amplement manifestées en nos Présages qu’avons défiez au tres chrestien Roy »–(cf B. Chevignard, Présages, op. cit. p. 269)
Or, force est de constater que c’est bien ici l’almanach qui a fait l’objet d’une interpolation fort gauche. Ce qui devait être placé tout en bas de la page (la page suivante débutant pour février) se retrouve tout en haut, en plein milieu de l’exposé. Tout se passe comme si le secrétaire chargé de rajouter certaines données (cf infra) avait mal appliqué les directives et que cette information avait été transmise tardivement.. Il reste que le Recueil ne saurait dès lors être considéré comme une simple copie, peu ou prou élaguée des imprimés.
De même, le début de janvier, le premier mois, est-il dans le Recueil précédé par un texte introductif général qui ne figure pas dans l’almanach pour 1557, ce que ne signale évidemment pas Chevignard qui ne dispose pas du dit almanach :
« Je trouve que d’icy à l’an 1559 les astres font indication de tant & si divers troubles que la charte ne seroit suffisante pour en recevoir les discours qui s’en peuvent faire mais ce sera pour un autre temps & loisir. (160). Outre la presente année ces présages contiennent une partie de ceux qui appartiennent à celle qui suit & encores quelque chose de 1559, qui sera l’année de la paix universelle par la grâce de celuy qui par son éternelle providence fait mouvoir les astres »(161) En fait, la comparaison entre les deux documents nous éclairent sur les méthodes de travail de Michel de Nostredame/. En effet, on ne trouve pas dans le Recueil de développements astronomiques, alors que ceux-ci figurent au début de chaque mois. Notre avis est le suivant : quelqu’un relisait le texte de Nostradamus et lui ajoutait des explications techniques :
En voici un exemple assez caractéristique toujours pris dans l’almanach pour 1557, pour février :
Recueil :
N° 188 : Les maladies feront grand empeschement & plus la mort de plusieurs.
N°189 Je laisse à mettre un cas estrange & jamais veu.
Almanach :
« Les maladies feront grand empeschement & plus la mort de plusieurs. Vénus, Mercure & la queue du dragon au mesme lieu que dessus. Je laisse à mettre un cas étrange etc
On note que le développement astronomique a été rajouté et interpolé et cela peut s’observre de façon assez systématique. Or si l’on sépare le texte du Recueil des données astronomiques, fournies par l’almanach, l’on sort en quelque sorte du champ de l’astrologie pour glisser vers une forme d’entreprise oraculaire. En ce sens, l’almanach de Nostradamus lui-même nous apparait comme une œuvre collective, constituée en au moins deux étapes, au-delà de la matrice initiale fournie par Nostradamus : d’une part une réduction versifiée qui aboutit aux quatrains mensuels, de l’autre une addition fondée sur les données du calendrier et des tables astronomiques..
II La production des quatrains de prophéties.
Il ne semble pas que l’on soit parvenu, jusqu’ici, à déterminer le lien entre les épîtres et les quatrains centuriques. Notre travail consistera précisément à montrer à quel point la Préface à César est une clef pour cerner la genèse des quatrains des premières centuries. De même que quatrains et centuries augmentaient en nombre, il apparait que les épîtres, elles aussi, grossissaient, s’amplifiaient et accueillaient de nouveaux apports en prose voués à nourrir, à leur tour, la composition de nouveaux quatrains. Mais un tel système a fini par laisser la place à une dialectique du quatrain et de son commentaire en prose, non plus interne au corpus mais externe, comme en produira tant le XVIIe siècle, au-delà du travail de pionnier de Jean Aimé de Chavigny : renversement donc du processus : la prose n’est plus à la source mais à l’arrivée. Le terme « commentaire » que Chavigny utilise notamment en 1596 dans ses Commentaires du Sr de Chavigny sur les Centuries et pronostications, qui est une reprise du Janus François-sans la partie latine, couvrant, par son titre dédoublé centurie n’est pas ici synonyme de pronostication( « et » n’est point « ou »)- les deux catégories de quatrains, ceux des Centuries et ceux des almanachs, référés comme « pronostications ».—Mais dans le Janus François, deux ans plus tôt, le terme «commentaire » concernait Nostradamus et non Chavigny : « Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame ». Ici « commentaire » désigne les quatrains des almanachs qui sont en effet une glose versifiée et dérivée de textes en prose, un « commentaire sous forme de quatrains » des prédictions en prose qui constituent le cœur de l’entreprise nostradamienne, à partir des données astronomiques dont elles sont elle-même un commentaire. Trois couches de commentaires se superposent ainsi : commentaire en prose des rapports lune soleil, fournis sur la forme lapidaire de l’astronomie- sur une base hebdomadaire, mois par mois, commentaire versifié réduisant la prose à des quatrains, dont on ré-agence les principaux signifiants, et enfin commentaire des quatrains que l’on va associer à toutes sortes d’événements, en perdant plus ou moins de vue les premières couches. Cela pour le corpus non centurique, issu des almanachs. Mais par la suite, un autre processus se développe, non plus à partir des données astronomiques brutes mais à partir de divers textes récupérés ici et là, notamment le Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat – mais qui se retrouve aussi largement dans le Période de Pierre Turrel.(Bib. Ste Geneviève), ce qui va également donner des quatrains, cette fois en quantité autrement importante, puisque chaque épître va introduire plusieurs centaines de quatrains. Encore convient-il de préciser que ce ne sont pas les épîtres, dans leur état d’origine, qui contribue à ce résultat mais les interpolations qui vont se glisser au milieu des dites épîtres- ce qui ressort de la remarquable édition Antoine Besson (c 1691) et qui ne sont pas, quant à elles, le fait de Michel de Nostredame.
Le décrochage entre épîtres et quatrains tient probablement au fait que l’on ne pouvait augmenter indéfiniment la taille des épîtres tandis qu’il semblait relativement aisé d’accroitre le nombre des centuries.
Mais dans un premier temps, les épîtres ont bel et bien connu des ajouts, comme il ressort de notre comparaison entre l’édition Besson de la Préface à César (c. 1691) et l’édition « canonique », singulièrement plus étoffée. Et cela vaut aussi dans le cas de l’Epitre à Henri II, si ce n’est que les rapprochements entre épître et quatrains dans le second volet restent à investiguer.
Nous ne reviendrons pas sur nos analyses, telles qu’elles figurent dans d’autres textes de la présente livraison mais on peut penser que nombre de lecteurs de la Préface à César doivent avoir songé de temps à autre à tel ou tel quatrain et vice versa, à commencer par « flamme exiguë » que l’on trouve dans les deux documents
Exiguë flamme,(Préface) I, 1 : Flambe exiguë sortant de solitude
Nous avons notamment montré que les interpolations (extraites de Richard Roussat) et qui ne figurent pas dans la Préface à César- Besson, ont alimenté nombre de quatrains parmi les premières centuries. Parfois on trouve d’ailleurs un mélange des parties seconde et tierce du Livre de l’Estat et Mutations du Monde, Lyon, 155054, ce qui constitue un amalgame des plus hétérogènes, étant donné que ces deux parties du dit Livre exposent des techniques prévisionnelles aux fondements et aux formulations des plus différents.
I, 26
Faulx à l’estang ioinct vers le Sagittaire
En son hault auge de l’exaltation
Peste, famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation
Les deux premiers vers sont inspirés de la tierce partie et les deux derniers de la seconde partie et donc des interpolations de la Préface à César. Est-ce assez démontré le caractère tout à fait fantaisiste de la composition des quatrains centuriques ? Vouloir considérer un tel quatrain comme étant d’un seul tenant nous semble bien vain.
Roussat : tierce partie :
« Saturne et Jupiter en Sagittaire (…) Saturne en signe de feu sera en son auge ». Ici l’estang, c’est l’étain, le métal de Jupiter comme l’argent est celui qui représente la Lune. Le second verset ne comporte même pas mention de Saturne. Si le texte en prose est cohérent, nous dirons que les vers peuvent tout au plus y renvoyer mais ne sauraient, a priori, une base de travail, sauf en l’absence – et faute de mieux- de la source en prose. Il nous apparait que dans le champ nostradamique, l’élément versifié n’est jamais – du moins durant toute une période- qu’un sous-produit de l’élément en prose.
Or, si nous considérons ces additions en prose – absentes, répétons-le, de la version de la Préface à César Besson- comme des apports relativement tardifs, il semble exclus de devoir les attribuer à Nostradamus, tant au niveau de la prose que des vers qui en dérivent.
Dans le cas de l’Epitre à Henri II, une des sources des quatrains ne se trouve pas interpolée dans l’Epitre à Henri II, il s’agit de la Guide des Chemins de France et des Saints Voyages, par Charles Estienne. En revanche, nous avons montré que l’Epitre à Henri II Besson correspondait à un état avant interpolation, laquelle, fortement marqué par la littérature apocalyptique, a probablement été exploitée pour forger des quatrains.
Il nous semble que le matériau des quatrains centuriques devrait être cherché sous la forme d’un pillage de certains textes astrologiques ou prophétiques en prose, de Nostradamus, mais pas forcément. Il doit être assez rare qu’un quatrain ait été composé directement sans passer par la prose, ce qui ne correspond pas à la pratique moderne de la prophétie. A noter que Richard Roussat, chanoine de Langres est également auteur de quatrains, au sein de son Livre de l’Estat et Mutation du Monde. Dans la tierce partie (p. 121) : « Toutefoys me semble bon & m’est advis qu’il ne se trouvera de mauvais goût ny fascheux , pour gens qui apperent scavoir , aulsi pour sur ce certiorer messieurs les lecteurs, présentement r’amener & inscrire aulcuns Quatrains sur l’antiquité & fondation de ladicte cité de Langres qui sont tels …. » Suivent 24 quatrains.
Il semble que l’Epitre à Henri II, dans sa partie additionnelle interpolée – ait également emprunté au même ouvrage de Roussat. C’est le fameux passage sur la fin du XVIIIe siècle, absent de l’édition Besson
« & commençant icelle année sera faicte plus grande persecution à l’église chrestienne (…) & durera celle-cy iusques en l’an mil sept cens nonante deux que l’on cuydera este une renovation de siecle. On est là cette fois dans la quatriesme partie du « Livre de l’Estat & mutation du monde » (p. 162) :
« Venons à parler de la grande & merveilleuse conjonction que Messieurs les Astrologues disent estre à venir environ (…) mil sept cens nonante neuf avec dix révolutions saturnales »
Le décalage entre 1789 et 1792 n’empêche aucunement le rapprochement.
Ce qui serait à rapprocher du quatrain I, 54 si, comme le propose Yves Lenoble55, on remplace deux par dix.
Deux revolts faits du malin falcigère (Saturne)
De regne & siecles faict permutation
Rappelons notre étude sur les Significations de l’ Eclipse de 1559, nom donné à l’épître de Nostradamus à J-M Sala et dont nous pensons qu’elle a pu figurer en tête des centuries favorables au parti d’Henri de Navarre avant de laisser la place à l’Epître remaniée à Henri II. Nous avons déjà montré en quoi ces deux Epitres étaient en concurrence quant au statut d’épître centurique. Signalons ce passage, marqué par une corruption : « Et en résultera grande jacture pour l’Eclipse Chrestienne », lire Eglise Chrétienne. (fac simile, in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, p 449). Cela fait écho à ce passage de l’Epitre à Henri II relative à l’an 1792, la formule pouvant concerner éventuellement les Protestants – l’épitre à Henri II introduisant les centuries favorables à Henri de Navarre- mais ayant été interprétée sous la Révolution comme visant l’Eglise romaine..Nous avons publié en1991 ( « Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561) »RHR, n°33) un texte réformé de 1561 se référant à Nostradamus : « Contreprognostication à celle de Nostradamus de Pie quatriesme’ , reprochant à Nostradamus ses publications adressées au pape Pie IV. Il semble que par la suite, les Protestants aient décidé de produire un Nostradamus favorable à leur cause.
Saturne est un personnage récurrent comme en témoigne encore ce quatrain qui ne se comprend que dans le cade de l’une des parties de Roussat consacré à la succession des âges planétaires, dont chacun couvre 354 ans (transposition un jour pour un an, de l’année lunaire de 354 jours):
II 92 Le monde proche du dernier periode
Saturne encore tard sera de retour
Tout se passe comme si l’Epitre à Henri II, littéralement truffée d’anciennes chronologies commençant à la période biblique, trouvait davantage écho dans les premières centuries que dans le second volet auquel elle est adjointe.
Mais il y a bien un quatrain du second volet traitant de l’Antéchrist – souvent associé chez les Protestants au Pape ou à la Papauté -comme il existe un passage de l’Epitre à Henri II
Epître à Henri II
« en après l’Antechrist sera le prince infernal’
Quatrain VIII, 77
L’Antechrist trois bien tost annichilez
Vingt & sept ans durera sa guerre
D’ailleurs, l’Epitre à Henri II (juin 1558) se réfère bel et bien aux quatrains :
« Comme plus à plain par aulcuns quadrins l’on pourra veoir »
Formule à mettre en parallèle avec celle de l’autre épître, tout aussi factice, de l’Eté 1558, connue sous le nom de Significations de l’Eclipse de 1559 ;
« Comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde Centurie de mes Prophéties »
On trouve toutefois dans la centurie VIII, 48-49 deux quatrains truffés de données astronomiques- assez isolés au sein du dernier volet et qui nous semblent inspirés d’un passage de l’Epitre à Henri II à moins que cela ne le soit de l’Epître à J-M.Sala, riche en données célestes
Saturne en Cancer, Iupiter avec Mars
Dedans Février Chaldondon salvaterte
et
« Satur (sic) au bœuf Iove en l’eau, Mars en fleiche
Six de Février mortalité donra. »
Relevons aussi deux quatrains successifs comportant quasiment le même verset, :
III, 4 Quand seront proches le défaut des lunaires (sic)
III, 5 Pres, loing defaut de deux grands luminaires
Le défaut des luminaires, c’est une éclipse.56
Chantal Liaroutzos a montré (RHR, 1986) que nombre de quatrains des centuries du second volet étaient construits à partir des ouvrages de Charles Estienne. Il est clair que dans ce cas, cet emprunt aura été direct et n’aura pas exigé d’interpolation au sein d’un document intermédiaire comme dans le cas du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, à partir duquel les quatrains sont composés.
La réalisation des quatrains exige une certaine matière première en prose. Il ne s’agit en fait que d’un exercice de versification sans grand intérêt et auquel selon nous Michel de Nostredame s’est soustrait. Ce n’est qu’anachroniquement, sous l’influence de l’évolution du statut de la poésie, notamment au XIX e siècle, que l’on imagine un auteur produisant directement des vers. Nous sommes ici plutôt avec le corpus de quatrains dans un processus de translation, de traduction, assez mécanique- au mot à mot. On a quelque mal à percevoir l’intérêt d’un tel exercice apparemment assez insignifiant et à caractère ornemental, le quatrain étant une sorte de « bouquet » de mots, et qui s’apparente à un jeu de salon ou à quelque pratique pédagogique. D’un texte on en fait un autre qui en dérive. Jeu de devinettes consistant à retrouver une information à partir d’une allusion, d’un indice.
Dans le champ astro-prophétique qui est celui de notre compétence d’historien, la mis en évidence d’une dialectique entre deux corpus, dont l’un dériverait de l’autre constitue un enjeu épistémologique majeur et c’est probablement un manque dans ce domaine qui aura pesé sur l’état de la recherche universitaire, en ce domaine, depuis un demi-siècle.
Un cas remarquable et qui ne nous éloigne guère des almanachs est celui de la formation des symboles zodiacaux. Ces 12 symboles, d’où sont-ils issus ? La question n’est pas celle de signaler leurs premières occurrences en tant que série ni les lieux où celles-ci sont attestées mais bien de déterminer de quel corpus ces éléments dérivent, sont extraits, point qui a été fort peu traité jusqu’à présent. Pourtant, la réponse est assez simple : la source du système symbolique zodiacal est à chercher dans l’iconographie, la représentation des mois de l’année, telle qu’elle figure dans certains livres d’heures (comme les Très Riches Heures du Duc de Berry (Musée Condé de Chantilly) et certains calendriers (comme le Kalendrier des Bergères (sic), celui des Bergers ne comportant le plus souvent que l’image du mois de janvier). Cela dit, les cas pour lesquels le rapprochement est frappant sont relativement peu nombreux, en raison des interpolations subies au cours de sa genèse, par la dite série. On a notamment le verseau, qui est un motif parmi d’autres, une « citation », pris d’une scène plus large campant un groupe de personnes attablées non loin d’une cheminée – on est en hiver. Dans cette scéne, des serviteurs, des échansons. La mythologie gréco-latine emprunte à une telle série iconographique, comme avec Ganymède, l’ »échanson des dieux », ou avec la Toison d’Or. Autrement dit, les « signes » ne feraient que désigner des scènes, se suivant selon la logique des saisons alors que pris hors contexte, ils n’offrent pas de continuité, de contigüité sinon du fait de commentaires qui constituent de véritables interpolations.
On pourrait élargir le champ de nos réflexions au domaine linguistique : c’est ainsi que la langue anglaise a emprunté massivement à la langue française en termes de signifiants et qu’on ne peut suivre son évolution qu’en tenant compte de ce fait matriciel.
9 La résurgence des premiers états des épîtres centuriques au milieu du XVIIe siècle
Nos travaux ont conduit à la prise en compte de deux éditions des Centuries parues en 1672 et vers 1691 lesquelles comportent des versions atypiques des épîtres centuriques. R. Benazra écrit à propos de la Préface à César de l’édition Besson (c 1691) (RCN, pp 265 et seq) : »Lettre modifiée et tronquée » et à propos de l’épître à Henri II, « lettre considérablement réduite ». Nous montrerons que ces « lettres » ne sont pas « réduites » ou « tronquées » mais qu’elles correspondent à des états plus anciens que celles figurant dans le « canon » centurique. C’est un thème récurrent chez les bibliographes comme Chomarat et Benazra et qui s’applique également au contenu des centuries que de laisser entendre qu’il « manque » des quatrains voir des centuries, comme si le corpus centurique, ayant atteint un stade final vers 1568 avait par la suite connu une dégradation progressive de son état – durant plus de vingt ans – jusqu’à ce que celui-ci soit restauré, dans les années 1590.
La mise en évidence (cf infra) d’états antérieurs à ceux correspondant à de prétendues premières éditions est susceptible de conduire à l’existence d’éditions plus anciennes mais non conservées, du moins dans leur état originel. Nous verrons notamment que les documents Besson (c 1690) et Garencières (en anglais, 1672) correspondent à des versions successives, toutes deux antérieures, ne serait-ce que de quelques années voire de quelques mois aux versions actuellement considérées comme « princeps ». Le présent travail sur le contenu même des épîtres vient compléter celui que nous avons déjà accompli sur l’enchainement des éditions, au regard des phénomènes d’anti et de postdatation.
Nous aborderons enfin deux textes « programmatiques » en prose, figurant dans la plupart des éditions du XVIIE siècle, à savoir la Vie de Nostradamus et l’Epître à Henri IV datée de 1605.
c
I Le premier état de la « Préface à César au Mémoire des singularitez & absconses evenemenspar calcul & astronomiques revolutions »
Quand on demande quelle est la première édition des Centuries, on entend généralement qu’il s’agit de celle parue chez Macé Bonhomme, à Lyon, en 1555. Si l’on s’en tient au titre, cela se pourrait mais le contenu, l’organisation interne ne correspondent pas au premier état centurique connue sous nom de La Prophétie de Nostradamus, comme cela est attesté dans les Grandes et Merveilleuses Prédictions de Nostradamus, Rouen, 1588.
De quels éléments disposons-nous pour aborder la question des épîtres/préface de Nostradamus à son fils (né en 1553) ? et à son souverain (mort en 1559) ? A la différence des Centuries, dont on peut suivre la formation à travers les multiples éditions, les textes en prose que sont les épîtres semblent s’être figées dès leurs premières occurrences. Il y aurait fort peu de variantes, comme cela ressort de l’édition critique (Macé Bonhomme 1555) de Pierre Brind’amour (Droz, 1996). Au moins, pour l’Epitre à Henri II, dispose-t-on désormais du texte de l’épître de 1556, en tête des Présages Merveilleux pour 1557. (cf nos Documents, pp. 195 et seq), ouvrage ayant appartenu à Daniel Ruzo, désormais conservé à la Maison de Nostradamus (Salon de Provence) mais ce texte a été tellement augmenté que l’on ne peut guère le relier au nouveau texte, si ce n’est dans un certain cadre, celui de la rencontre de Nostradamus avec Henri II..Toutefois, nous avons a priori un avantage par rapport aux quatrains à savoir que nous sommes censés comprendre ce qui nous est exposé et donc percevoir plus certainement les anomalies, ce qui relève plus de la gageure pour ce qui est des Centuries. La question qui se posera à nous, par delà l’existence ou non de documents, est celle du sens ou de l’absence de sens des textes.
En ce qui concerne la préface à César, peut-on se fier à la succession des éditions et considérer que les éditions les plus anciennes, au regard de la date indiquée, correspondent à l’état le plus primitif de la dite Préface ? On se heurte immédiatement à l’obstacle des éditions antidatées, qui rompent ipso facto toute chaîne chronologique. A cette difficulté vient s’en ajouter une autre, celle de la résurgence tardive d’éditions anciennes, en plein milieu du XVIIe siècle, ce qui relativise d’autant les repères chronologiques les plus communs. Une telle recherche ne sera pas sans incidence en effet sur notre représentation de la succession des éditions et sur la prise de conscience de certains « trous » dans la bibliographie, notamment en ce qui concerne les toutes premières éditions.
On sait, en effet, que parfois des états très anciens d’un document n’émergent qu’avec un certain retard et parfois par le biais de traductions ou d’attaques ou au sein de recueils qui sont conservées alors que l’original ne l’est pas nécessairement sous sa forme initiale. Le cas de la première traduction anglaise des Centuries- qui ne date que de 1672- est typique de l’incidence possible de tels décalages sur la recherche/. Il se trouve que l’on ignore où a pu paraitre un original français de la dite traduction. Mais l’on sait en revanche que le commentaire adjoint aux quatrains est emprunté à Giffré de Réchac (cf notre post doctorat, EPHE Ve section), auteur (sous l’anonymat) d’un Eclaircissement (1656). Paradoxe de la chronologie, nous avons découvert le texte français dans une édition centurique datant au plus tôt de 1691, due à Antoine Besson, libraire lyonnais(cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, n° 303, p. 166), de par les événements dont elle se fait l’écho dans la partie consacrée aux commentaires, le XVIIe siècle semblant mieux apprécier les commentaires des Centuries que le XVIe, notamment sous la Ligue Certes, l’on peut toujours soupçonner qu’il y ait eu réécriture de l’original par quelque lecteur un peu trop zélé pratiquant l’hyper-correction ou tout simplement corrigeant, de son propre chef le texte d’une manière qui semblerait aller de soi. Mais commençons par comparer les textes et demandons-nous, le cas échéant, pourquoi le texte n’a pas été amendé, tout au long de carrière- de façon à devenir un peu plus compréhensible, ce qui pourrait quand même nous aider à comprendre les intentions sinon de l’auteur du moins de ceux qui le mettent en avant. C’est notamment, on va le voir, la question du ou de la « mémoire »..
Il est fort peu probable que la première édition, non encore divisée en 4 centuries- le mot « centurie’ ne serait donc pas approprié pour la circonstance- mais répartie en quatrains non numérotés, comme la décrit Ruzo sans se douter qu’il décrit ainsi la première édition laquelle il situe en 1555 ne comportait vraisemblablement pas 353 quatrains. On note d’ailleurs que la Préface à César ne se réfère pas, in fine, à des centuries mais à « chacune des Prophéties & quatrains icy mis », ce qui la rend compatible avec une première édition non encore divisée en centuries/ Mais plus haut, il est bien question de « cent quatrains astronomiques » ; (Bonhomme comporte en sus « de prophéties », ce qui fait écho au titre du « Mémoire »
On comprend mieux pourquoi le mot Centurie n’est pas utilisée dans le premier volet, du moins au titre alors qu’il l’est à celui du second volet.
I Les prophéties de M. Michel Nostradamus Dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées
Par 300 « prophéties », on raisonne en termes de quatrains, pas de centuries.
II Les prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX.X. qui n’ont encores iamais est imprimées.
Cette fois, le terme Centurie est employé au titre.
Le cas de l’édition Pierre Valentin, Rouen, sans date, est révélateur de la coexistence de ces deux présentations :
Les Centuries et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus. Contenant sept centuries dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées.
Titre interpolé, l’on voit bien que la formue « contenant sept centuries » a été surajouté maladroitement puisqu’elle est suivie de « dont il y en a 300 » ; ce qui concerne un nombre de quatrains et évidemment pas de centuries (de 100 quatrains)
On notera que l’édition de Rouen 1588- non découpée en centuries malgré son titre extérieur – ne comporte pas certains quatrains et n’arrive pas à 353 (cf. Benazra, RCN, pp.122 et seq) puisqu’elle ne dépasse pas 349 quatrains, tout en se terminant par le même quatrain que Macé Bonhomme 1555. Un des quatrains manquants est IV, 4657 qui est fortement marqué par les enjeux dynastiques de la période ligueuse, « Garde toi, Tours, de ta prochaine ruine ». On ne saurait qualifier ces quatrains de manquants. Nous préférons dire qu’ils n’avaient pas encore été intégrés voire pas encore composés. Patrice Guinard se référé à notre analyse dans son « Historique » (2008) : « Les quatre quatrains manquants on été écartés pour des raisons de mise en page car ils sont reproduits dans l’édition de 1589. Ce fait prouve que l’on n’attachait pas une si grande importance à ces vers, ni en particulier au quatrain IV, 46 ou en tour cas qu’on était loin de les interpréter à la lumière du contexte politique de la fin des années 1580, contrairement aux affirmations de certains spéculateurs (sic) puisqu’un éditeur rouennais , en principe favorable à la ligue n’hésite pas à les supprimer de son édition (..) La suppresssion de quatre quatrains afin de respecter la mise en page est une nouvelle preuve en faveur de l’authenticité de l’édition Bonhomme de 1555 qui comprenait 353 quatrains » (p.84). Selon nous, ces quatrains n’ont nullement été écartés car ils n’existaient pas encore en tout cas pas dans le cadre centurique. Ils sont apparus pour marquer davantage l’hostilité du parti ligueur réagissant au fait qu’en 1589 Henri III fait de Tours la capitale du royaume, Paris étant aux mains des ligeurs. Elle gardera ce statut jusqu’au couronnement de Chartres. Le 30 avril 1589, au château du Plessis, eut lieu la réconciliation entre Henri III et le Bourbon réformé. Nous dirons donc que le fait que IV 46 figure dans l’édition Macé Bonhomme 1555 montre que cette édition est marquée par les événements de 1589, ce qui la disqualifié en tant que pouvant réellement dater de 1555. Le nombre de 353 quatrains ne correspond pas à la donne de départ..
En revanche, en ce qui concerne le contenu en nombre de quatrains, nous savons que cette édition est plus tardive que celle de Rouen, Raphaël du Petitval, 1588 dont le contenu n’est, comme le note Ruzo l’ancien propriétaire de la dite édition ‘(cf. Testament de Nostradamus, op. cit. p, 282) pas divisé en centuries mais se présente d’un seul tenant. On est donc légitimé à rechercher une édition ayant le titre Macé Bonhomme 1555 et le contenu Rouen Du Petit Val 1588. La préface à César figurant en tête de cette édition « princeps » que l’on risque fort de ne jamais retrouver telle quelle, pourrait, selon nos recherches, différer des versions ultérieures (‘cf. infra).
D’aucuns n’en seront pas moins tentés de préférer la thèse d’une correction tardive- une sorte de contrefaçon en quelque sorte, ce qui éviterait d’avoir à supposer un état antérieur imprimé à celui de la Préface en tête de Macé Bonhomme 1555, qui reste, dans la tête de la plupart des nostradamologues la toute première édition non seulement conservée mais ayant jamais existé. Comment départager entre les deux positions ? Pour ces chercheurs, la traduction anglaise de 1672 aurait été réalisée à partir d’une fausse édition de la Préface à César, quand bien même les retouches auraient-elles été justifiées. Il convient de noter que le problème se pose également en ce qui concerne l’identification des sources de certains quatrains : on ne peut préjuger de ce que l’état initial d’un quatrain soit absolument conforme à celui de sa source. On peut toujours soutenir que dès la première impression, la source avait été retouchée ou en tout cas corrompue. Nous avons le cas de IX 86, qui nous a permis, au regard de la source, à savoir un paragraphe de la Guide des Chemins de France, de montrer que le nom de la petite ville de Chastres, dans la banlieue parisienne, que l’on traverse quand on part pour la province, avait été changé en celui de Chartres, ville du couronnement d’Henri IV, en 1594
Passons à présent à l’analyse des différences entre la version Besson (parue au plus tôt en 1691) qui correspond à l’original français de la traduction anglaise de 1672. à moins qu’il ne s’agisse- qui sait ?- d’une traduction française du texte anglais. Mais nous verrons qu’en fait l’édition Besson est plus complète et plus fiable que l’anglaise de Théophile de Garencières.
C’est ainsi que la dite édition Besson (Bib Méjanes (Aix en Provence) et Lyon La Part Dieu) ne nous fournit pas moins que le titre du document censé être introduit par la Préface, à savoir le Mémoire des singularitez & absconses événements. Dans les autres éditions, le titre est tronqué : il n’est plus que « Mémoire ». Il faut avouer que le titre est quelque peu noyé dans des circonvolutions et que la ponctuation est faible :« un mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur au commun profit des humains, des singularitez & absconses évenemens, dont la divine Essence m’a donné connoissance, par calcul & astronomiques revolutions. »
Pierre Brind’amour (Les premières centuries ou Prophéties (édition Macé Bonhomme de 1555), Genève Droz, 1996, p. 2) traduit ainsi le passage à partir de la version classique ; « laisser le souvenir après ma mort au commun profit des hommes de ce que la divinité, grâce aux Astronomiques révolutions a porté à ma connaissance ». Il n’a pas compris que le mot « mémoire » renvoyait à un document. En anglais, on distingue entre memory, memorial et memoir.
Besson : « Ton tard avenement en ce monde terrien, César Nostradamus mon fils, m’a fait mettre mon long loisir à continuelles vigilations nocturnes pour référer par écrit & à toy laisser un mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur au commun profit des humains des singularitez & absconses évenemens, dont la divine Essence m’a donné connoissance, par calcul & astronomiques revolutions.
Macé Bonhomme :
« Ton tard advenement ; César Nostradamus, mon filz m’a fait mettre mon long temps par continuelles vigilations nocturnes référer par escrit toy délaisser mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur , au commun profit des humains de ce que la Divine Essence par astronomiques revolutions m’ont donné cognoissance. – « que tardivement »
- « mémoire des singularités & abscons evenemens dont la divine Essence m’a donné connoissance, par calcul & astronomiques revolutions
- -« mémoire de ce que la divine essence par astronomiques révolutions m’a donne cognoissance.
« Memorial of me after my death to the common benefit of Mankind, concerning the things which the Divine Essence hath revealed to me by Astronomical revolutions »
Poursuivons notre lecture :
Macé Bonhomme
Et depuis qu’il a pleu à Dieu immortel que tu ne sois venu en nouvelle lumière dans cette terreine plaige, je ne veux dire tes ans qui ne sont encore accompagnez mais tes mois martiaulx incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint , apres mes jours desiner, veu qu’il n’est possible te laisser par escrit ce que seroit par l’injure du temps oblitere car la parole héréditaire de l’occulte prédiction sera dans mon estomac intercluse.
Antoine Besson
Et puisqu’il a plû à Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumière dans cette terrienne plaige que tardivement et que tes ans jouvenceaux incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint avant ma mortelle extinction designer obstrusément, vu qu’il n’est loisible te laisser par trop clair escrit ce qui seroit par envie des temps oblitéré aux oreilles de plusieurs car la parole hereditaire à toy délaissée de l’occulte prédiction demeurera intercluse dans mon intellect »
Nous retiendrons que chez Besson- et chez lui seul (outre la version anglaise qui confirme « late into this World ») on trouve « ne sois venu (….) que tardivement » qui fait d’ailleurs écho à la première phrase « Ton tard avénement ». Cela vient heureusement compléter la phrase : ce n’est pas de la naissance du fils en soi qu’il s’agit mais bien plus spécifiquement de son caractère tardif. Et c’est ce retard qui complique tout aux yeux de Nostradamus. Là encore, on a une phrase entrecoupée de circonlocutions.
Autre élément manquant qui redonne du sens à la phrase : « te laisser par trop clair escrit » (Besson) qui en ne comportant pas « par trop clair » devient carrément un contresens. Il ne s’agit pas de ne pas laisser par écrit puisque le but est de transmettre un mémoire mais bien de préciser dans quelles conditions, sous quelles formes, cela se fera.
:On notera en outre toujours filant le même thème du trop jeune âge du fils par rapport à celui du père :
Besson : « Et puisque (…) tes ans jouvenceaux (sont) incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint (après ma mort .de) désigner obstrusément (lire abstrusément) »
Pseudo Macé Bonhomme : , Depuis (puisque) que ( ….) je ne veux dire tes ans qui ne sont encore accompagnez mais tes mois martiaulx incapables à recevoir dans ton débile entendement ce que je seray contraint (à ma mort) desiner ».
Le mot obstrusément (pour abstrusément) manque chez Besson. Or, le rôle de l’adverbe est ici, une fois de plus, déterminant pour faire sens.
Notons que l’adjectif « obstrus/abstrus » figure dans le titre des Singularitez (cf supra)
Reproduisons le paralléle établi par P. Guinard, concernant ce passage : à gauche, la Préface, à droite les allusions de Couillard : Est-on certain que Martial chez Couillard renvoie aux « moys Martiaulx » de la dite Préface ? Le fils supposé Martial de Couillard face au fils de Nostradamus, César…Il y a là comme une transposition assez libre, où les mots changent de fonction. Nous avons envisagé que ce texte des Prophéties du Seigneur du Pavillon aurait été fait de toutes pièces pour accréditer l’idée d’une Epitre à César.
[2] Et depuis qu’il a pleu au Dieu immortel que tu ne soys venu en naturelle lumiere dans ceste terrene plaige, & ne veulx dire tes ans qui ne sont encores accompaignés, mais tes moys Martiaulx incapables à recepvoir dans ton debile entendement ce que je seray contrainct apres mes jours definer : | « Non seulement pour servir à Martial mon filz, l’aage duquel ne te veux celer, comme nostre maistre Nostradamus grand philosophe et prophete, veult en son epistre tant espoventable taire les ans de Cesar son filz. » (III, f.D4v |
Allons voir le texte anglais à ce propos :
« And canst not say that thy years that are but few but thy Months (which) are incapable to receive into thy weak understanding” what I am forced to define of futurity”
La traduction anglaise ne mentionne pas l’adjectif « martiaulx :
L’anglais ne donne pas « je ne veux dire tes ans « mais « tu (toi César qui ) ne peux dire que tes ans etc sont incapables »
Reconnaissons que le texte de Besson est ici plus simple
Revenons quelques instants sur le cas des Prophéties d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon. Si l’on admet qu’il avait sous les yeux une certaine version de la Préface à César, laquelle était-ce, de quand date-t-elle ?
Rappelons une fois de plus la version « canonique » de la Préface à César :
«&ne veux dire tes ans qui ne sont encore accompagnés mais tes mois Martiaulx incapables etc » La présentation en est strictement identique à celle que l’on trouve chez Couillard.(cf supra). Or, la version anglaise ne comporte pas « martiaulx » mais simplement « mois »/. Chez Besson, il n’est même pas questions de mois
Que conclure sur ce point ? Que Couillard –ou plutôt le faussaire qui se sert de son nom- avait en main une version « classique » de la Préface, donc relativement tardive. De nombreuses études ont été consacrées, notamment par Robert Benazra (voir sur Espace Nostradamus, site Internet) Pierre Brind’amour ( Ed. Droz, 1996)et Patrice Guinard (« Corpus Nostradamus » n°49), à la comparaison de la Préface et de la « satire » du pseudo Sgr Du Pavillon alias Couillard. Ayant défini au moins trois états de la Préface, il ressort que les Prophéties de Couillard s’apparentent au dernier état, celui comportant une interpolation issue de Roussat et la mention de Martial58, absente de la version anglaise de 1672..
On aurait donc trois états de l’adresse à César que nous présentons selon l’ordre de progression et non pas selon celui des datations complaisamment fournies par les libraires.
-celle restituée par Antoine Besson, la plus ancienne (dans un texte non interpolé par des apports de Savonarole et de Roussat) Vers 1584-1585, en tête de la Prophétie de Nostradamus. On ne connait pas le contenu de la Préface à César placée en tête de l’édition à 4 centuries (Rouen, 1588)
- celle rendue par l’anglais 1672, proche de Besson mais avec les interpolations signalées, vers 1586-1587.
-celle du canon centurique, attestée, tant à Paris qu’à Rouen en 1588-1589 (productions ligueuses), à partir de laquelle ont été fabriquées les éditions antidatées (1555, 1557, 1568), correspond à Couillard qui cite notamment « Martial » terme absent de la version anglaise et donc probablement rajouté par la suite.
Sur les dates , Besson et le pseudo-Macé Bonhomme diffèrent : 1767 chez l’un 3797 chez l’autre. Mais dans le texte anglais, c’est bien 3797 qui figure, ce qui indiquerait une coquille du texte Besson. Ce passage est important car il est associé aux « perpétuelles vaticinations ».
Besson
« J’ay composé Livres de Prophéties (…) contenant chacun Cent quatrains astronomiques qui enveloppent perpétuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 »
Pseudo-Bonhomme
« J’ ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties (…) & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’an 3797 »
Dans le texte Bonhomme, la formule « prophéties (redoublée) est séparée par quelques mots de « perpétuelles vaticinations ». Chez Besson, il est clair que les « quatrains astronomiques » s’articulent sur des « prophéties perpétuelles », ce qui ne correspond guère, à quelques exceptions près, au profil des 4 premières centuries. Cela ouvre le champ à l’hypothèse de « prophéties » associées systématiquement à des années, selon un systéme que l’on retrouve chez Moult, au XVIIIe siècle, ouvrage qui en 1866 sera joint aux Centuries (Ed. Chevillot) et au Recueil des Prophéties anciennes et modernes, dans l’édition parisienne Delerue.
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Mais l’observation la plus remarquable quand on compare ces deux moutures est ailleurs, elle tient à une interpolation, d’autant que la fin des deux épîtres est identique.
En quoi consiste ce long développement ajouté ou supprimé ? A quel endroit s’inscrit-il ? Nostradamus est en train de s’adresser directement à son fils en se référant à son thème natal. »au propre ciel de ta nativité » et ensuite, chez Besson, Nostradamus poursuit à propos d’un « mortel glaive », ce qui correspond à une représentation de comète. Puis en conclusion, il est question des prophéties qui s’accompliront « ainsi que j’ay rédigé par escrit aux miennes Prophéties (..) prends donc, mon fils César, ce don de ton progéniteur Michel Nostradamus ». Chez Bonhomme, on trouve « aux miennes autres Prophéties . C’est une allusion à un autre « train » de prophéties qui n’était peut être pas envisagé initialement.
Mais abordons donc toute la partie figurant en sus dans la mouture « classique ». De quoi s’agit-il ?.
Brind’amour note (p.27), dans son édition critique : « Les paragraphes 37, 38 et 39 (selon sa division de la Préface) s’inspirent largement mais confusément d’une discussion de Savonarole sur les futurs contingents » Or, cela correspond exactement au début du décrochage entre Besson et Bonhomme.
A partir des paragraphes ( toujours selon la division Brind’amour) 42, 43-44-45-46, on emprunte à Richard Roussat, à son Livre de Etat et Mutation des Temps, Lyon, Guillaume Cavellat, 1550 ( Gutenberg reprint, 1981, intr. J. P. Brach) :
« Bien que Mars achève son cycle et se trouve à la fin de sa dernière période, l’on peut douter qu’il en engage un autre, car (bien avant son retour) les uns auront péri dans des explosions durant plusieurs années, et d’autres dans des inondations pendant plus longtemps encore ».
. Cet exposé repris de Roussat, très technique, fondé sur une astrologie décalée par rapport à la réalité astronomique, détone, d’ailleurs, par rapport aux considérations générales du reste de la Préface, commun entre Bonhomme et Besson. Ajoutons que l’on trouve un écho à ces développements dans certains quatrains des premières centuries mais que nombreux sont les quatrains astronomiques qui ne renvoient pas à cette astrologie que l’on voit exposée chez Trithème. Chaque planéte a un cycle de 354 ans (calqué sur l’année lunaire de 353 jours) et ensuite, lui succéde une autre planéte. Dans ce systéme, jamais une planéte n’en rencontre une autre, elles se succédent mais ne se conjoignent pas tel un jour de la semaine succédant à un autre. Or, nombre de quatrains appartiennent plutôt à une astrologie combinatoire ( comme I, 17 : Faux à l’estang etc)
La concordance entre les deux textes reprend au paragraphe 51. L’interpolation s’étend ainsi du Paragraphe 37 au paragraphe 50. Sur 55 paragraphes de la Préface, un quart correspondrait à une interpolation à base de Savonarole et de Roussat.
Robert Benazra59 a relevé un passage des Prophéties de Couillard qui recoupe le texte de Roussat :
Préface à César : « Car selon les signes celestes le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s’approche, d’une anaragonique revolution » (fol. B3v)
-Prophéties du Sgr du Pavillon : « puisque noz nouveaux prophetes nous menassent que le monde s’aproche d’une anaragonicque revolution, & qu’il perira si tost » (fol. D4v). Ce pluriel semble ne pas pouvoir viser le seul Nostradamus.
Cela nous conduit donc à faire de Couillard le commentateur d’un texte déjà tardif, interpolé et donc ne pouvant avoir été réalisé à partir de la première édition des Centuries. En revanche, il reste à déterminer s’il est plus proche de la version anglaise ou de la version canonique, ce qui est difficile à mettre en évidence, vu qu’il s’agit d’un texte qui ne restitue pas strictement le document dont il s’inspire. Or, Couillard fait allusion à « Martial », certes de façon quelque peu décalée, comme le montre ci –après R. Benazra, ce qui ne figure pas dans la version anglaise :
Lettre à César : « & ne veulx dire tes ans qui ne sont encores accompaignés, mais tes moys Martiaulx incapables à recevoir dans ton debile entendement » (fol.A2v)
- Prophéties de Couillard : « Non seulement pour servir à Martial mon filz, l’aage duquel ne te veux celer, comme nostre maistre Nostradamus grand philosophe & prophete, veult en son epistre tant espoventable taire les ans de César son filz » (fol. D4v)
Si Couillard s’inspire de la Préface, nous montrerons que les rédacteurs des quatrains des premières centuries s’en inspirent également, y compris de la partie interpolée. Mais, nous penchons plutôt pour une source commune aux deux documents, notamment la Déclaration de Videl.
Revenons sur les emprunts à Richard Roussat, en distinguant la partie II et la partie III de son Livre de l’Estat et Mutation du Monde, Lyon, 1552
I Seconde partie
Nous avons remarqué tout particulièrement trois quatrains au sein des trois premières centuries: I, 48 mais surtout III, 92 et 1, 16:
I 48 « Vingt ans du regne de la lune passés
Sept Mil ans autres tiendra sa monarchie
Quand le soleil prendra ses jours lassés
Lors accomplir & mine ma prophétie »
Dans ce systéme qui n’a rien d’astronomique ou qui correspond à une astronomie fictive, on nous signale qu’au régne de la Lune suivra celui du Soleil.
III 92 les deux premiers versets
« Le monde proche du dernier période
Saturne encore tard sera de retour »
I 16, le troisiéme verset
Peste, famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation.
« Car selon les signes celestes le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé, le monde s’approche, d’une anaragonique revolution » (Préface, fol. B3v)
« par pestilence, longue famine & guerres » (Préface)
Donnons d’autres exemples d’emprunts de versets, dans les premières centuries, au texte en prose de la Préface à César
:
« Et maintenant que sommes conduits par la Lune (…) que avant qu’elle ayt parachevé son total circuit, le Soleil viendra «
I 48 « Vingt ans du regne de la lune passés /…/ Quand le soleil prendra ses jours lassés
II Tierce Partie
La plupart de mes prophéties seront accomplies (Préface): I, 48 Lors accomplir & mine ma prophétie
- Comme nous l’avions montré, dans notre post-doctorat, les quatrains des almanachs reprennent des pans des textes en prose des Prédictions. Nous avons ici, pour les Centuries un cas semblable où le quatrain reprend quasiment toute une phrase en deux versets de la partie interpolée, empruntée à Roussat. Il faut noter le nombre de mots communs,- sans tenir compte des synonymes- sans trop se soucier du sens 60:
Monde
Prophétie
accomplir
Proche/approche Saturne
Retour
Peste
Famine
Lune
Soleil
On nous objectera peut etre que nous ne considérons pas systématiquement un quatrain dans son intégralité. De fait, il nous est apparu qu’au sein d’un même quatrain des éléments très divers pouvaient cohabiter, qu’il ne convenait de chercher à tout prix à considérer un quatrain comme une entité d’un seul tenant.
Une des sources oubliées des Centuries, serait ainsi à rechercher dans les épîtres en prose les introduisant, elles mêmes fruit d’emprunts et d’interpolations.Mais en est-il ainsi pour les épîtres associées au second volet. ?
II Plagiats et interpolations dans le corpus nostradamique. Le cas de l’Epitre à Henri II
Deux thèses sont en présence concernant la question des emprunts voire des plagiats dans le corpus nostradamique. La plus en vogue, actuellement, tend à considérer que Nostradamus a récupéré et retranscrit des documents mais qu’il les a situés dans un nouveau contexte, ce qui le dédouanerait et en tout cas éviterait la seconde thèse selon laquelle ces emprunts, dans certains textes, seraient la preuve que les dits textes auraient été complétés par la suite par d’autres acteurs. C’est cette seconde thèse qui est actuellement renforcée à la suite de nos travaux concernant les différentes versions de la Préface à César. Jusque là, à quelques variantes près, toutes les éditions reprenaient à 99% les mêmes données. Or, ce n’était plus le cas dès lors que l’on introduisait des versions « atypiques » – et certes tardives – comme la traduction anglaise de 1672 et l’édition, une vingtaine d’années plus tard, réalisée par le libraire lyonnais Antoine Besson, dont les bibliographes comme Chomarat ou Benazra ne signalèrent pas, voici 20 ans, les particularités concernant les épîtres centuriques.
Un autre cas, assez célébre, de plagiat nostradamique – quelles qu’en puissent être les justifications, lors du passage du signifiant au signifié- a été fourni en 1986 par Chantal Liaroutzos, laquelle d’ailleurs n’hésite pas à tenter de justifier un tel emprunt par le traitement qui en est fait et qui est forcément créatif. Il s’agit de tous ces quatrains du second volet recyclant des séries de noms de lieux, repris des publications de Charles Estienne, et nous avons d’ailleurs élargi son travail à d’autres textes du même Estienne en montrant que cela incluait aussi des lieux hors du royaume (Voyages). Nous avons, à ce propos, dans nos textes, employé le terme de « remplissage » et étions fort réticents à attribuer à Michel de Nostredame de telles pratiques bien peu compatibles, paradoxalement, nous semblait-il, avec une certaine image de « prophéte » que d’aucuns tenaient, par ailleurs, à lui accoler. Bien plus, ces mêmes quatrains issus d’un pillage d’itinéraires, avaient eux-mêmes été retouchés, des versets remplacés, des noms de lieux corrompus ou délibérément modifiés.(IX, 86) mais cela ne changeait rien au processus initial de l’emprunt, quelles qu’aient pu en être la finalité ou l’évolution subséquente. Il se trouve que nous avons consacré un certain temps, dans un tout autre domaine, au rôle d’un célébre plagiat, celui du Dialogue61 de Maurice Joly qui servit comme substance à la composition des Protocoles des Sages de Sion mais l’on pourrait aussi aborder la génése de la prophétie des papes de Saint Malachie.62. Faire un faux, c’est souvent recourir au plagiat, ne serait-ce que pour gagner du temps, les faussaires n’ayant pas les mêmes valeurs et les mêmes priorités que les auteurs authentiques. Autrement dit, chaque fois que l’on découvrait une « source » d’un texte attribué ou associé à Nostradamus, se poserait la question de la contrefaçon, non pas seulement du fait du plagiat en tant que tel mais de l’usage qui en était fait pour réaliser la dite contrefaçon. Or, jusque là, on tendait à découpler les deux aspects : plagiat oui, mais pas pour autant faux, dès lors que ce plagiat était le fait de Nostradamus lui-même. On peut d’ailleurs également parler d’un plagiat à l’encontre de Nostradamus quand on peut observer que certains quatrains des almanachs ou des centuries sont issus de textes en prose du dit Nostradamus. Plagiat éventuellement accepté par l’auteur lui-même, peut-on raisonnablement supposer, dans le cas des quatrains des almanachs, dont nous avons montré qu’il s’agissait de compilation assez fantaisiste de « présages prosaïques ». Signalons le travail de Pierre Brin d’amour, de Roger Prévost ou de Peter Lemesurier repérant les sources de certains quatrains – ou de l’avertissement latin (placé entre les centuries VI et VII). On peut en effet être surpris de noter que des chroniques historiques sensiblement antérieures au temps de Nostradamus puissent avoir servi pour la composition de quatrains centuriques. Qu’est-ce qu’une prophétie qui se nourrit d’événements passés ? Pour justifier une telle pratique, Lemesurier introduit le principe de « Janus » fondé sur l’idée d’une certaine cyclicité évenementielle, à caractère astrologique. On parlerait du passé pour explorer le futur.
Un cas intéressant, faisant pendant à notre travail sur les préfaces à César est celui des épîtres à Henri II. Nous prendrons d’une par le cas du texte figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557 et de l’autre le même corpus que pour César : Garencières et Beson, confrontés aux versions canoniques de la dite Epitre au Roi, étant entendu que ce n’est pas parce qu’il y a eu interpolation dans un texte que le texte débarrassé des éléments rajoutés devient, ipso facto, authentique, si au départ c’est déjà un faux, ce qui est évidemment le cas pour la génése de la dite Epitres. Il peut y avoir, en effet, plusieurs couches d’additions, en une sorte de mille feuilles.
Dans le cas de l’épître à Henri II, la vente de la collection Ruzo – et l’acquisition des Présages par la Maison de Nostradamus (Salon de Provence) – a mis ce texte à la disposition des chercheurs – mais dès 2002 nous avions publié un reprint de la dite Epitre de 155663, grâce à la veuve de Ruzo. Mais cela n’a guère influencé, à notre connaissance, le discours des nostradamologues sur la question de l’authenticité de l’Epitre de 1558 comme s’il était normal qu’à deux ans d’intervalle, Nostradamus eut pu produire deux épîtres au Roi, dont la seconde en partie calquée sur la première quant aux circonstances de l’entrevue, et sans se référer à la précédente. Mais désormais, nous penchons pour la thèse de l’inexistence d’épîtres au Roi par Nostradamus tout comme de l’improbabilité d’une quelconque épître à César, dans les années 1550..
I le passage de 1556/7 à 1558
La comparaison entre les deux épîtres est déjà quantitative. Le texte de 1556/7 est bien plus bref. Mais le scénario d’une récente rencontre avec le souverain est maintenu si ce n’est que dans la lettre de 1556, Nostradamus évoque un certain retard qu’il a pris, du fait que ses Présages pour l’année précédente, c’est-à-dire pour 1556, ne sont point parus. Or, au vu du Recueil des présages prosaïques, il y eut bel et bien des publications64 et d’ailleurs, il sera souvent fait référence à une édition centurique datée de 1556 (Ed. Amsterdam, 1668) et La Croix Du Maine, dans sa Bibliothèque (1584) renvoie à des publications de 1556, à Paris, chez Sixte Denyse- En revanche, et c’est ce qui a du inspirer un tel argument, il n’y a pas de quatrains-présages pour 1556 dans la collection qui figure dans les recueils centuriques, c’est-à-dire en fait pas d’almanach, ce qui a du induire en erreur le faussaire. Etant donné que l’épître de 1556 pour 1557 est datée de janvier 1556 (style de Pâques) en fait janvier 1557 ), l’on est conduit à penser que la rencontre avec le roi eut lieu, comme cela est généralement admis par les biographes, en 1555, ce qui aurait conduit, s’il n’y avait pas eu de report, une épître datée de janvier 1555 (c’est-à-dire 1556). Entre les deux épîtres, il n’y a donc que 18 mois d’écart : janvier 1557-juin 1558. Il est possible que l’on se soit dit : puisque déjà Nostradamus avait un an de retard, pourquoi pas deux ? Mais Nostradamus, dans l’épître centurique à Henri II n’évoque aucunement en juin 1558 un quelconque retard d’environ 3 ans entre la date de l’entrevue et celle de l’Epître. Si en 1557, Nostradamus s’excuse de son retard, qu’est-ce que cela aurait du être en juin 1558 ? Selon nous, à un certain stade, il y eut une confusion dans les dates mais il semble exclu qu’initialement l’épître au Roi ait pu être datée de 1558. Dès lors, dans le second volet qui serait paru à la suite du premier, chez Antoine du Rosne (Utrecht), il est possible que la date de l’édition contrefaite ait été janvier1556, c’est-à-dire début 1557, d’autant que le second volet n’est coutumièrement, jamais daté.
Par ailleurs, on voit très bien que l’épître placée en tête des Présages a été interpolée pour y annoncer, à la place, les Centuries. »ces trois centuries du restant de mes Prophéties » La comparaison avec l’épître 1558 fait ressortir un ajout considérable largement inspiré de la littérature apocalyptique, notamment les anagrammes de Gog et Magog (Dog et Dogam). Mais on notera aussi la mention, dans l’épître 1558, des années 1585 à 1606, cette année 1585, faisant suite à 1584, année de la mort du duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de Médicis, ouvrant la succession en direction des Bourbons. Dans les additions, nous trouvons la célébre annonce de l’année 1792. Ajoutons un intérêt particulier pour l’an 1606, dont on nous fournit en vrac les positions planétaires, sans précision de date à moins que celle-ci n’ait été supprimée par la suite , ce qui tend à nous situer sur le début du XVIIe siècle et la production troyenne.
II l’apport rétrospectif de l’édition Besson (c 1691)
En réalité entre ces deux épîtres, il y en a une autre qui vient s’intercaler, c’est celle de l’édition Besson qui est datée de 1558 mais qui, selon nous, aura correspondu à son premier état. La dite édition ne comporte pas encore, en effet, les développements bibliques dont il vient d’être question. Elle nous offre un cas de figure très proche de celui que nous avions pu observer pour la Préface à César, ce qui fait ressortir l’interpolation propre à la version « canonique » de l’Epitre. Entendons par interpolation non pas seulement un ajout mais une insertion d’un texte au milieu d’un autre, ce qui préserve une apparence de similarité au début et à la fin du texte et peut ainsi ne pas être remarqué.
Le texte Besson s’inscrit parfaitement entre les deux autres, en ce qu’il comporte des éléments nouveaux par rapport à l’épître de 1556/1557 et qu’il ne comporte pas les longs développements empruntés aux « Saintes Ecritures » de l’épître de 1558. On notera une formule qui avait déjà été signalée au début de la Préface Besson à César : « pour les évenements et singularitez obstruses (sic)», dont nous avions dit qu’il qualifiait le « Mémoire » que Nostradamus léguait – dont il faisait « don »- à son fils si ce n’est que le mot « obstrus » est remplacé par « abscons ». On notera que ce n’est pas, ici, le texte qui est « abscons » ou « abstrus »- « obstrus, dans le texte, est une coquille – mais bien ce qui se passe dans le monde. Ces deux adjectifs, considérés comme des synonymes interchangeables, signifiant ce qui est obscur, compliqué. L’étymologie d’abscons, pourrait signifier ce qui est caché (espagnol : escondido)
Nous trouvons une formule quasi identique dans la version Besson – très bréve comparée aux autres versions- de l’épître à Henri II «prophétiques supputations astronomiques correspondant aux ans, mois, semaines & jours comme aussi aux diverses régions , contrées et villes, tant de notre Europe que des autres parties du monde pour les événements & singularités obstruses (lire abstruses) qui écloront dans leur temps fixé»
Cette formule est absente de l’épître canonique à Henri II alors même, comme on vient de le noter, elle apparait dans les premiers intitulés du premier volet.
Mettons en évidence l’interpolation scripturaire en restituant le document avant que la dite interpolation ait pu s’effectuer. Il nous suffira pour ce faire de signaler à quel endroit, à quel moment de l’Epitre Besson, l’on aura inséré ces développements comme on l’a fait pour la Préface à César :
Fin de la Partie initiale commune à l’édition Besson et à l’édition « canonique » :
« Besson :
« Et non comme jadis on soulait de faire pour les Roys de Perse qu’il n’était aucunement permis d’aller à eux, ni moins s’en approcher sans mains garnies de riches offrandes. Ains comme à un très bénévole & tres sage Prince, j’ay consacré le chetif présent de mes nocturnes & prophétiques supputations nocturnes (…)correspondant aux ans, aux mois, semaines & jours , comme aussi aux diverses régions , contrées & villes , tant de notre Europe que des autres parties de ce bas monde terien(sic) pour les événements & singularitez obstruses (sic, lire abstruses) qui écloront dans leur tems fixé, au détriment ou profit de plusieurs mortels qui en seront moult lezez ou gaillardement gratifiez. Le tout composé d’une naturelle miennne propension & grand désir qui m’a porté à ne me pas voir totalement debiteur insolvable envers vostre Royale magnanimité pour tant de tesmoignages qu’en ay reçu »
Canonique
« non comme les Rois de Perse qu’il n’était nullement permis d’aller à eux, n’y (sic) moins s’en approcher [ sans mains garnies de riches offrandes ] Mais à un tres prudent , à un tressage Prince j’ay consacré[le chétif présent de ] mes nocturnes et prophétiques supputations ( composées plustost d’un naturel instinct, accompagné d’une fureur poétique que par régle de poésie & la plupart composé & accordé à la calculation astronomoque) correspondant aux ans, aux mois, semaines des régions, contrées & de la plupart des villes & citez de toute l’ Europe comprenant
On notera que la langue de l’édition Besson comporte des archaismes appartenant à l’ancien français, qui ne figurent pas dans l’édition canonique, tel ce « ains » (Besson) rendu par ‘mais » (canonique). C’est là un signe de l’ancienneté de la mouture. Besson. On a là, par ailleurs, un exemple de phrase tronquée : la question n’était pas que l’on ne pouvait s’approcher de ces Rois mais qu’il ne fallait pas s’adresser à eux les mains vides puisque tout tourne ici autour du présent, du cadeau, de l’offrande que l’on peut/doit offrir aux rois..
On trouve « ains » dans deux quatrains de la première centurie (I, 10, I, 25)
I 10 Ains mourir voir de fruict mort & crys
I 25 Ains que la Lune achéve son grand siecle
Il semble bien dès lors que la langue des épîtres a pu être modernisée, d’où ce remplacement de ‘ains » par « mais ».
Partie conclusive :
Besson
Mais tant seulement je vous requiers ô mon roy tres magnanime d’avoir de plus benins regards pour mon cœur & bon courage en l’acceptation de cette mienne chetive offrande que pour son peu de valeur & ferez en cela une bénigne gratification »
.Version canonique :
« Mais tant seulement je vous requiers, ô Roy tres clément par icelle vostre singulière & prudente humanité, d’entendre plutôt le désir de mon courage et le souverain estude (lire ; désir) que j’ay d’obéir à vostre Sérenissime Majesté, depuis que mes yeux furent si proches de vostre splendeur solaire, que la grandeur de mon labeur n’atteint ne requiert
Contenu de l’interpolation dans l’Epître au Roi 1558
Début ; « Et pour ce, ô tres humanissime Roy, la plupart des quatrains prophétiques sont tellement scabreux que l’on n’y saurait donner voye ny moins aucuns interpréter , toutefois espérant de laisser par escrit les ans, villes, citez , régions ou la plupart adviendra, mesmes de l’année 1585 etc
Fin de l’interpolation : longue citation latine.il n’y a pas de latin dans les épîtres Besson.
Il nous faut corriger ce dernier texte par la traduction anglaise de 1672. Car celle-ci ne correspond pas avec le texte de Besson de l’Epitre à Henri II mais n’en représente pas moins un état de la dite épître moins corrompu que celui de la version canonique. Il faut lire « le souverain désir » et non le souverain « estude » : the desire of my Heart and the earnest desire I have » . Ainsi toutes les éditions centuriques du second volet comportent-elles estude. Nul doute que la forme « souverain désir « soit celle d’origine, du moins sous sa forme interpolée. De même la version anglaise Garencières de la Préface à César correspond-elle à un état plus ancien de la mouture interpolée. Il ressort que le texte centurique n’a que fort peu de potentialités pour relever et corriger ses dysfonctionnements, il en est quitte pour compter sur l’exégése pour se payer une nouvelle cohérence.
10 L’étude négligée des épîtres centuriques en prose
Il nous apparait que l’on se doit d’être très exigeant par rapport à la compréhension des textes en prose alors même que les quatrains ne sauraient être considérés que comme un assemblage assez imprévisible. Etrangement, on a parfois l’impression que certains commentateurs cherchent plus à donner sens aux quatrains qu’aux épîtres.
. Nous avons montré pour la partie introductive de la Préface, la version Besson ne souffrait pas de cette construction étrange que note P. Guinard65. Ci-dessous sa « traduction » et son commentaire :
« Ton arrivée tardive, César Nostradame mon fils, m’a laissé beaucoup de temps, passé en veillées nocturnes, pour transmettre par l’écriture ce que l’essence divine m’a permis de connaître au moyen des révolutions astronomiques, afin de t’en laisser la trace après ma mort et pour le commun profit des hommes. » Et Guinard d’ajouter pour expliquer qu’il ne s’en tient pas à la lettre du texte :
« Cette entrée en matière, alambiquée pour l’œil moderne, est caractéristique du style du provençal ; l’ordre des compléments est parfois aléatoire, et la multitude des compléments et des éléments de la phrase atteint parfois une complexité inextricable : autrement dit, c’est le style d’un énoncé latin, transposé au français
On note que ce faisant Guinard passe à côté du titre du Mémoire et mêle du mot « Mémoire » lui-même, que nous avons pu restituer grâce notamment à la présentation plus cohérente de Besson. :Mémoire des singularitez & absconses evenemenspar calcul & astronomiques revolutions La fin de la Préface, faisant suite à l’interpolation, recoupe un tel titre ;
« Viens asture mon fils que je trouve par mes revolutions (…) Il y aura mille evenements qui surviendront »
On retrouve cette expression dans le titre d’un ouvrage de Pierre Belon (1517 -1564), paru à Paris en 1553, chez G. Corrozet :Les observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte, Arabie et autres pays estranges, rédigées en trois livres, réédité et augmenté à Anvers en 1555, chez Jean Steelsius. On est loin de l’interprétation qui voudrait que mémoire ne signifie que souvenir, comme chez P.Brind’amour (Droz, 1996), ne renvoyant donc pas à un document spécifique.
Ce qui n’est pas sans évoquer les sous titres de certaines éditions centuriques, et ce dès le titre de l’édition de Rouen à 4 centuries (1588) : Grandes et Merveilleuses Prédictions (…)esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe dans le monde tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde ».
Mais nous trouvons une formule quasi identique dans la version Besson – très bréve comparée aux autres versions- de l’épître à Henri II «prophétiques supputations astronomiques correspondant aux ans, mois, semaines & jours comme aussi aux diverses régions , contrées et villes, tant de notre Europe que des autres parties du monde pour les événements & singularités obstruses (lire abstruses) qui écloront dans leur temps fixé». On trouve plus loin dans la Préface « déclarant pour le commun advenement par obstruses (sic) & perplexes sentences les causes futures, mesmes(surtout) les plus urgentes) «
Pour en revenir aux soupçons que l’on ne se privera pas d’exprimer vis-à-vis de la version française de la traduction anglaise voire vis-à-vis de la version anglaise elle-même – corpus largement ignoré des nostradamologues francophones et a contrario devenu classique dans les pays de langue anglaise- et il y a là apparemment un manque de concertation entre les uns et les autres-il nous semble tout à fait hors de question que l’on ait supprimé des passage de la Préface à César et que ces suppressions, survenues dans le courant du xVIIe siècle, aient précisément affecté des passages relevant d’une certaine forme de plagiat. On est bien là devant un cas exemplaire d’interpolation qui n’est pas sans évoquer celui des Significations de l’Eclipse de 1559, dont l’emprunt à l’Eclipsium de Leovitius reléve lui aussi d’un certain collage, d’un texte interpolé, un tel phénoméne caractérisant les épîtres centuriques (à César comme à Henri II). Notons que tous ces emprunts sont bien connus mais qu’ils n’ont pas conduit, pour autant, à la thèse de l’interpolation, comme s’ils avaient fait partie du texte dès sa conception. Pour renforcer et étayer celle-ci- dossier qui vient s’ajouter à la question des éditions antidatées et postdatées ainsi notamment que du décalage entre titre et contenu- ce qui n’est pas sans faire songer aux mœurs du coucou- il fallait la possibilité de comparer un texte avec et un texte sans ces additions., c’’est précisément ce que nous fournit la comparaison des versions de la Préface à César. Précisons que la traduction anglaise correspond à un état plus tardif du texte français que la version Besson, puisqu’elle comporte des interpolations absentes dans la dite version et ce, pour les deux épîtres centuriques..
Nous ajouterons qu’il est deux maux dont auront souffert, entre autres, les études nostradamologiques : une certaine incurie à l’endroit des textes en prose, dispensant de rétablir un sens obvie et une certaine désinvolture au regard de l’argument post eventum comme permettant de rétablir une chronologie des versions et des variantes. Nous pronons, d’une part l’’idée selon laquelle quand un texte semblait tronqué, il importe de rechercher des éditions ou des documents dans lesquels le texte était plus cohérent et de l’autre, le refus d’ignorer l’adéquation par trop évidente entre un texte et un événement, ce qui est le fondement de tout processus de re-datation par rapport à l’antidatation comme par rapport à la post-datation.
III La vie de Nostradamus
Nous avons insisté sur la mission de récupération systématique –incluant la production de documents d’époque par-dessus le marché- et notamment signalé la dette des éditions du XVIIe siècle à l’égard du Janus Gallicus (1594). Cela vaut aussi pour un document qui est intégré parmi les textes en prose de ce corpus nostradamique extensif qui va marquer le siècle, à savoir le Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame ; iadis conseiller et médecin ordinaire des rois treschrestiens Henry II (lire second) du nom, François II (lire second), et Charles IX (lire neuviéme) qui va reparaitre peu après, au sein des éditions centuriques sous le titre suivant « La vie de Maistre Michel Nostradamus, Médecin ordinaire du Roy Henry II. Roi de France », lequel est tronqué puisqu’il ne signale qu’Henri II et non deux de ses fils .Apparemment absente de toute la première moitié du siècle, elle reparait en 1649, dans une édition rouennaise, due à un collectif de libraire sous le titre de Vrayes Centuries (cf RCN, p. 206). A partir de là , elle figurera dans nombre d’éditions de la seconde moitié du siècle, notamment en Hollande mais aussi dans l’édition Antoine Besson (c. 1691)
Ce qui est remarquable, c’est que cette notice nécrologique ne soit pas parue au lendemain de la mort de Nostradamus. Rappelons que les prétendues éditions Benoist Rigaud ne signalent même pas son tout récent décés. On peut d’ailleurs se demander si lors des vraies premières éditions, dans les années 1580, une telle notice ne serait pas parue, pour resituer un personnage déjà un peu ancien et peu ou prou oublié, encore que ses imitateurs aient pris le relais souvent en son nom. De même, il faudra attendre la seconce moitié du siècle pour que des éditions centuriques paraissent accompagnées d’une liste de prévisions réussies, alors que cela aurait du être le cas dès l’origine. Comment expliquer ce « mystère » ? Avant 1594, aucun commentaire ne parut, même pas d’ailleurs de pseudo-édition de commentaires qui aurait été antidaté. Il faudra encore attendre la période de la Fronde, jusqu’à l’entreprise avortée du dominicain Giffré de Réchac (Eclaircissement, 1656) et surtout la décennie 1660, à Amsterdam, pour que le processsus exégétique se mettre véritablement en place.66 Initialement, à partir donc des années 1580, le systéme fonctionnait autrement, par un apport de nouveaux quatrains/sixains et par des retouches des documents, d’une édition à l’autre. On dira, que l’on est passé de la phase du signifiant à celle du signifié. Quand le signifiant, c’est-à-dire, le texte n’a plus pu être augmenté, on bacsula vers le recours à la glose. Il y eut certes une première tentative au début des années 1590 avec Jean-Aimé de Chavigny –avec une réédition parisienne en 1596- mais cela fit long feu et il fallut attendre une nouvelle période de troubles, à partir de 1649, pour que le commentaire devienne la voie royale du nostradamisme.
Il est clair que la Vita, insérée dans le Janus Gallicus puis dans le Janus François- nous verrons que les deux éditions datées de 1594 qui nous sont parvenues différent - est le prototype des biographies de Nostradamus qui suivront jusqu’à nos jours. Nostradamus « se mit à escrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi (D’esprit divin etc ) lesquelles il garda long temps sans les vouloir publier (…) A la fin (il) les mit en lumière » et sur ces entrefaites Henri II « l’envoya quèrir pour venir en Cour l’an de grâce 1556 »
Il pourrait y avoir eu une interpolation avec « & autres présages » vu que la phrase est assez bancale avec l’usage du féminin pluriel (lesquelles) faisant suite à un masculin pluriel (Présages) : « Centuries & autres présages lesquelles il garda « à moins que cela ne soit – ce qui nous semble plus probable, l’inverse : il « se mit à escrire ses présages commençant ainsi « D’esprit divin etc », premier quatrain de la série des Présages, mais aussi du Janus Gallicus, le terme renvoyant ici à des quatrains. Selon nous, il est possible que le rédacteur des « quatrains » des almanachs ait pu être Jean de Chevigny.. Si Henri II invita Nostradamus à la Cour, c’est du fait de ses présages et non de ses centuries, et pour cause et ce ne fut pas en 1556 mais en 1555, ce point étant largement admis par les biographes. Mais comme c’est 1556 qui figure dans le « Brief Discours », l’on peut se demander si ce n’est pas cette erreur qui aura conduit à (re)dater l’Epitre au Roi, écrite au retour de la Cour, pour juin 1558, ce qui décidément était bien tardif, mais moins pour 1556 que pour 1555..
Le Recuei des Présages Prosaïques l ne comporte pas le texte intégral des Présages Merveilleux mais uniquement des éléments ayant été retrouvés dans une attaque (cf B. Chevignard, Présages, pp. 281 et seq) : « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy Tres Chrestien. Passages sugillez et calomniez par un des haineux de l’auteur pour ne les avoir entendus et retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558 ». Il s’agit du Monstre d’Abus, Paris, Barbe Regnault, 1558 qui vient servir de « garant » à l’Epitre au Roi qu’il mentionne..
L’auteur de cette « vie » mentionne César « auquel il a dédié ses Centuries premières » et fait référence aux « Commentaires de son dit Père » :
« duquel (César) nous devons esperer de grandes choses si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de son dit père, notamment sur l’an 1559 & mois de iuillet où je renvoye le lecteur ». Or, comment le lecteur auquel on s’adresse ainsi pourrait-il aller consulter deux quatrains de l’an 1559 ? Certes le Janus Gallicus comporte-t-il ça et là, en ordre dispersé, quelques quatrains des almanachs mais cela nous semble bien plutôt introduire le Recueil des Présages Prosaïques, lequel présente les quatrains d’almanachs dans l’ordre chronologique, que le Janus Gallicus. Notons que le Janus François- il y a une édition avec un titre latin et une autre avec un titre français- porte comme sous titre « extraite et coligée des centuries et autres commentaires de M. Michel Nostradamus. ²Mais le titre de l’édition latine ne parle que des tetrastichis, c’est-à-dire des quatrains.
En ce qui concerne les informations sur le corpus centurique, nous lisons que Nostradamus ‘ » a escrit XII centuries de prédictions comprises briefvement par quatrains, que du mot Grec il a intitulé Prophéties, dont trois se trouvent imparfaites, la VII, XI & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison & tiennent encore pour la malice du temps, en fin nous leur ouvrirons la porte ». Il y a là une erreur, les trois centuries en question sont la VII, la XI et la XII.
Chavigny se référe explicitement au Recueil de Présages Prosaïques Rappelons que le nom de Chavigny figure sur la page de titre d’un manuscrit de cet ouvrage (Bibl. Lyon La Part Dieu) rassemblant la production en prose mais aussi les quatrains des almanachs, sans aucune mention des centuries, également absentes de son volume de correspondance: « Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis (depuis) l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moiy la plupart & rédigez en XII livres sont dignes d’estre recommandés à la postérité »
Chavigny distingue à la fin du « Brief Discours » deux types de textes de Nostradamus d’une part les quatrains des Centuries, de l’autre les » présages en prose » (parus entre 1550 et 1567) : lesquels « comprennent nostre histoire d’environ 100 ans & tous nos troubles, guerres & menées dez un bout jusques à l’autre », alors que les « centuries » « s’estendent en beaucoup de longs siècles ». Mais il semble qu’initialement, Chavigny n’ait pas eu l’intention de regrouper et de combiner au sein d’un seul volume, les deux types de travaux puisqu’il écrit au sujet des Centuries : « dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Autheur qui bien tost verra la lumière où nous remettons le Lecteur, ensemble au dialogue Latin qui cy après sera rapporté ». Quel est ce dialogue latin auquel il est fait allusion ? Il s’agit de l’auteur débattant avec Jean Dorat , comme il est indiqué explicitement dans la version latine de la Vita.». «in ea quoque dialogo, quem ad Ioan. Auratum aliquot ante annos destinavimus & huic opusculo attexuimus » Et de fait, l’on trouve dans l’édition au titre français Janus François, le texte de Dorat, mais-ce qui est exceptionnel, seulement en latin. : Ad Io Auratum poetam et interpretem (….) Epistola. C’est un dialogue entreAuratus (Dorat) et Collector (Chavigny, il se présente au titre sous ce nom). Rappelons que selon Dorat avait servi pour produire un faux daté de 1570, consacré à la naissance d’un Androgyn, et dont la Préface était due à Jean de Chevigny, traducteur vers le français du latin du poéte de la Pléiade.
Rappelons l’existence d’un livret intitulé L’ Androgyn67 né à Paris le XXI. Iuillet MDLXX illustré des vers latins de Iean Dorat,Poété du Roy Treschrestien, contenans l’interprétation de ce monstre. Avec la traduction d’iceux en nosre vulgaire François, dédiéeà Monseigneur le Président l’Archer, Lyon, Michel Jove. L’Epitre à Michel Larcher, signée I. de Chevigny, est du 19 août 1570. On a là un autre exemple de texte bilingue comportant un Carmen Ioan. Aurati poetae Regii De monstro Androgyno Lutetiae nato annon Domini 1570.21. Iulii. Elle est suivie d’une traduction du latin de Jean Dorat. Cette épître est remarquable par un passage qu’elle comporte-et que nous avons été le premier à signaler :
« Pour ce donc que luy mesme (Dorat) confesse qu’il a profité et allégué les carmes d’un Prophéte qui fut Monsieur de Nostradame (auquel en son vivant ay esté fort familier et amy & duquel j’ay encores rière moy tous les œuvres tant en oraison prose que tournée, que bientost je mettray en lumière) je vous en ay bien voulu donner ce contentement. C’est la quatrain quarante cinquiiéme de sa seconde Centurie prophétique, ou il (Nostradamus) dit ainsi
Trop le ciel pleure, Androgyn procrée
Près de ce ciel sang humain respandu
Par mors trop tarde grand peuple recrée
Tard & tost vient le secours attendu
Il s’agit d’une pièce essentielle du dossier en ce qu’elle semblerait au moins valider la préexistence d’une édition déjà totalement structurée en centuries et quatrains en cette année 1570. Or, il semble bien que la première édition des prophéties de quatrains n’était pas encore « divisée » en centuries, comme en témoigne l’édition Rouen 1588 Raphaël du Petit Val, décrite par Daniel Ruzo (Testament, op. cit., p 282) Selon nous, Chavigny se sera contenté – signant Jean de Chevigny- de récupérer dans les œuvres latines complétes de Dorat, parues en 1586, le dit texte latin. De monstro Androgyno Lutetiae nato anno Domini 1570.21. Iulii. L’intitulé lui-même a un caractère rétrospectif. Ce qui repose la question des recoupements entre Jean de Chevigny et Jean Aimé de Chavigny et l’on peut se demander, en effet, non pas si tant si les deux personnages ne faisaient qu’un mais bien plutôt si Chavigny n’a pas produit sous le nom de Chevigny,.68 D’ailleurs, dans le Recueil de Présages Prosaïques (cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op cit. p. 283), Chavigny se compte parmi ceux qui écrivirent à son sujet, sans toutefois préciser à quelle date il l’aurait fait. En tout cas, l’acquaintance entre Chavigny/Chevigny et Dorat est doublement attestée. Le paralléle pourrait d’ailleurs être aussi validé pour le cas Benoist Rigaud, quant à ce lien entre les années 1560-1570 et les années 1590. Dans le cas Rigaud, il ne s’agit pas d’une imposture quant à la personne puisque le dit Rigaud exerçait déjà en 1566-1568 mais d’une imposture quant à son activité centurique..
Mais pourquoi la version française de la Vita du Janus Gallicus ne mentionne-t-elle plus nommément Dorat tout en annonçant un Dialogue ? Cela nous conduit à penser que la version latine aura précédé la version française et qu’ayant décidé de ne pas fournir en français, pour quelque raison, le texte de l’épître à Dorat, on n’aura pas pour autant supprimé la référence à un dialogue.
Robert Benazra, RCN, pp. 130 et seq) place, à tort, l’édition au titre français avant celle au titre latin. Il est vrai que la présentation de ces deux éditions peut déconcerter : on pourrait croire, au premier abord, que les deux volumes ne différent que par leur page de titre, puisque les textes qui s’y trouvent yont, dans un cas comme dans l’autre, rendus tant en français qu’en latin. Mais à y regarder de plus près, comme on vient de le voir pour la fin de la Vita, Dorat est mentionné dans la version latine de cette biographie et supprimé dans la version française qui lui fait pendant, ce qui n’empêche pas d’ailleurs que le dit dialogue est bel et bien maintenu, mais seulement en latin (pp. 31-34 ,titre français). On est là placé devant un volume à plusieurs niveaux de lecture
Nous sommes là dans une problématique complexe qui est celle des recueils de pièces69. Dans le cas du Janus Gallicus, il nous semble que la Vita a du paraitre avec le dialogue avec Dorat ; peu avant d’être intégrée dans le dit recueil. Elle le fut d’abord dans le volume au titre latin « Janus Gallicus » puis reprise dans le volume au titre françois « Janus François ». Le dialogue avec Dorat ne fait d’ailleurs pas suite à sa mention dans la Vita laquelle se termine en p. 12 alors que le dialogue débute en p. 31. On a l’impression que de ce dialogue a du faire probléme mais que l’on ne l’a pas totalement supprimé, non sans quelque peu tenter de brouiller les pistes. Rappelons le cas de la Prognostication de l’advénement à la couronne de France de tres illuste (…)Prince Henry de Bourbon (..) le tout tiré des Centuries & autres commentaires de M. Michel de Nostradamus (..) par Jean Aimes de Chavigny, Paris, Pierre Sevestre (Bibl. Mazaine, Paris) que l’on retrouve au sein du Janus Gallicus sous le titre de De l’avenement à la Couronne de France, tant en français qu’en latin.
Relevons une erreur dans la récupération du « Brief Discours » sera repris au XVIIe siècle dans les recueils centuriques. Les centuries incomplétes sont la VII, la XI et la XII et non comme on lira dans les diverses éditions, la VII, la IX et la XI. Cette coquille ne sera jamais corrigée, ce qui indique une transmission non critique, même de la part de certains libraires relativement attentifs comme un Pierre du Ruau, au début du XVIIe siècle alors même que ce point ne fait guè_re débat.
Par ailleurs, Antoine Besson ne conservera pas les dernières lignes de la Vi de Nostradamus, dont il vient d’être question en rapport avec un dialogue qui devrait faire suivre. La dite Vie se termine alors ainsi : « Il avoit un autre frère nommé jean Nostradamus qui estoit Procureur au Parlement d’Aix, il composa l’Histoire de Provence & la Vie des Poétes du même Païs. »
En 1789, parait La Vie et le Testament de Michel Nostradamus, Paris, Gattey (BNF). Dans l’Avertisssement, note R. Benazra (RCN, p. 330), il est indiqué que le texte est tiré d’ »un manuscrit fait par Edme Chavigny, connu par différents bons ouvrages sous le nom de Janus Gallicus.(p.2), ce qui a pu faire croire, selon le dit Benazra « à certains auteurs pressés que l’ouvrage a esté composé par Jean-Aimé de Chavigny ». En fait, l’ouvrage emprunte à une biographie du début du XVIIIe siècle laquelle,elle-même, recourt partiellement au « Brief Discours de la Vie » ou à la « Vie de Nostradamus » issue du dit JanusGallicus.
IV L’Epître à Henri IV
Ce que nous retiendrons de ce document, c’est qu’il correspond à une tentative de constituer un troisiéme volet, introduisant une nouvelle série de « prophéties ou pronostications » -notons la synonymie des termes reprise dans l’édition anglaise de 1672 cette fois sous la forme de 58 sixains : ce «livret non moins digne et admirable que les autres deux Livres qu’il fit dont le dernier finit en l’an 1597, traictant de ce qui arrivera en ce siècle ». On apprend, dans cette épître datée de 1605, que le second volet est censé ne couvrir les événements que jusqu’à la fin du siècle.
Etrangement, la pièce se référé à un Nostradamus ayant exercé auprès du seul Charles IX :
Prédictions admirables pour les ans courans de ce siecle. Recueiillies des Mémoires de feu M. Michel Nostradamus, (de son) vivant Médecin du Roy Charles IX et l’un des plus excellens astronomes qui furent jamais
L’usage du mot « Mémoires » nous intéresse au regard de ce que nous avons noté pour la Préface à César.
L’imitation du ton de l’Epître à Henri II est assez flagrante : « j’ay pris la hardiesse (moy indigne) de vous les présenter transcrit en ce petit livret
Cette épître est dans le droit fil d’un scénario selon lequel un flux continu de prophéties de Nostradamus va se déverser, ce qui exclut, ipso facto, que tout soit paru dès l’origine, c’est-à-dire du vivant de Nostradamus.
Cette position est d’ailleurs celle du Brief Discours de la Vie de Nostradamus :
Brief Discours
« Ces dernières (centuries XI et 12) ont long temps tenu prison & tiennent encore pour la malice du temps, enfin nous leur ouvrirons la porte »
Epitre de 1605 à Henri le Grand.
« Ayant (il y a quelques années) recouvert certaines Prophéties ou Pronostications des mains d’un nommé Henry Nostradamus (…) qu’il me donna avant de mourir & par moy tenues en secret jusques à présent »
On a là l’exposé d’un scénario qui a du se répéter à plusieurs reprises. C’est ainsi que nous pensons vraisemblable que cela s’applique à César de Nostredame qui aurait ainsi transmis le texte d’une épître datée de 1555 à lui destinée. Mais est-ce que cette épître exista réellement ou s’agit-il d’une fiction ? Est-ce que César joua réellement un rôle dans une certaine entreprise de mystification ? Ce qui est sûr, c’est que Chavigny cite son nom favorablement dans le « Brief Discours de la Vie de Nostradamus ».
Rappelons que dès 1568, il était déjà question de documents retrouvés mais cela visait alors des textes en prose, comme en témoigne cette édition rouennaise:
« Prédictions pour 20 ans (…) extraictes de divers auteurs trouvée en la Bibliothèque de nostre défunct dernier décédé (…) Maistre Michel de nostre Dame (…) par Mi. De Nostradamus le Jeune, Rouen, Pierre Brenouzet (BNF),
Un détail cependant à ne pas négliger : il est question non pas d’un ouvrage dû à Nostradamus mais d’une compilation de textes trouvés dans sa bibliothèque, à sa mort. Ce glissement est remarquable et il apparait, nous semble-t-il, dans les diverses versions du commentaire de Jean-Aimé de Chavigny, avec le passage de l’éditeur, du Collector, du collectionneur – ce qui est aussi le cas pour une bibliothèque qui est une collection, vers le statut d’auteur :
Jani Gallici facies prior (…) breviter complectens (…) redditus atque explicatus per Io. Amatum Chavigneum
La Première face du Janus François (…) extraicte et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame (…) par Jean Aimes de Chavigny, Lyon Heritiers de Pierre Roussin
Chavigny, dans la version au titre français n’est plus celui qui explique mais seulement celui qui extrait et collige.
En 1596, dans la nouvellle édition, parisienne, exclusivement en français, cette fois, le titre est le suivant, la présentation varie encore : :
« Commentaires du Sr de Chavigny beaunois sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus, Paris , Gilles Robinot/ autre édition Antoine du Breuil.(cf RCN, pp. 142-143). Chavigny retrouve un statut de commentateur/ Rappelons que le terme associé à Nostradamus concerne simplement l’interprétation des données astronomiques/
Rappelons que nous avons retrouvé une édition des sixains, non pas parue sous le nom de Nostradamus mais sous celui de Noel Léon Morgard (Bibl. Mazarine) et qui sera donc par la suite incluse au sein des éditions à trois volets, précédée de la dite Epitre de 1605 à Henri IV.
On soulignera l’existence des doubles dénominations, à partir de la version au titre français du Janus François ;.
- Centuries et autres commentaires
1596 Centuries et pronostications
Puis
Sans date Les centuries et merveilleuses prédictions Rouen, P. Valentin
Faisant suite aux Grandes et merveilleuses prédictions. Ce cas n’est probablement pas significatif.
1650 Les vrayes centuries et prophéties, Leyde,
1667 Les vrayes centuries et prophéties, Amsterdam
1672 The true propheties or Prognostications, Londres.
La formule s’imposera dès lors, du moins jusqu’au début du XVIIIe siècle. On la trouve ainsi encore chez le lyonnais Antoine Besson (c 1691) puis en 1710, dans une édition rouennaise, chez Jean B. Besongne (cf RCN, pp 290 et seq)
Parfois, les deux mots sont reliés par la conjonction « est », parfois par un « ou/or », ce qui crée une impression de synonymie, de redondance.
Mais, selon nous, l’origine de ce « doublon » est liée à l’existence, au départ, d’un double corpus comme cela est assez manifeste chez Jean Aimé de Chavigny : Il s’agit bien évidemment d’une part de la production des almanachs et pronostications, telle qu’elle est notamment recueillie dans le Recueil des Présages Prosaïques, de l’autre des Centuries. Chez Chavigny, les deux ensembles vont finir par fusionner tant et si bien que son commentaire de 1594 les traite indiféremment, comme un seul et même matériau. Les éditions qui englobent les deux corpus sont justement celles qui comportent un double intitulé. En revanche, les éditions sans date ou du XVIIe siècle, ne prenant pas en compte les « Présages », portent un intitulé unique, Prophéties. En fait, on assiste à l’éviction progressive du premier ensemble comme si la mauvaise monnaie chassait la bonne. Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement (1656), exprime nettement sa préférence pour les dix centuries et semble sérieusement douter de l’authenticité des dits Présages.
11 Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés
Nous voudrions insister sur deux points : d’une part, l’utilisation de documents d’époque permettant de conférer au faux un cachet ancien, une patine et d’autre part, le principe d’une sorte de « double comptabilité », à savoir que les contrefaçons sont doublement datées et que l’on modifie seulement les pages de titre pour disposer à la fois d’une date présente –ou d’une absence de date – et d’une date ancienne. Certains ont contesté ce second point en soulignant que les éditions antidatées (1555-1568) n’ont pas leur pendant exact à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècles.
I La préparation des fausses éditions antidatées.
Certains nostradamologues ont montré à quel point certaines éditions datées du vivant de Nostradamus et censées avoir été publiées chez tel ou tel libraire/éditeur sont, au niveau de leur présentation respectent un certain nombre de traits caractéristiques des libraires concernés (bandeaux, lettrines etc.). Patrice Guinard a dévolu beaucoup de temps à mettre ce point en évidence en faisant appel évidemment à d’autres documents que les documents centuriques, à des fins de comparaison. Mais en même temps, ce faisant, il est à craindre qu’il ne nous montre surtout comment les faussaires eux-mêmes auront procédés, en se servant des mêmes données qu’il aura mises en évidence. On retrouve ainsi certaines lettrines de la Préface à César dans certains ouvrages produits par le dit Bonhomme, signe d’authenticité ou au contraire indication d’imposture ? Dans notre travail consacré à la prophétie de Saint Malachie (Papes et prophéties, Ed. Axiome, 2005), nous avons montré que ce sont les mêmes documents qui servent à valider le texte et qui servent à la constituer, à savoir des Histoires de la Papauté.
Prenons le cas du privilège figurant en tête des éditions Macé Bonhomme 1555. C’est probablement un cas unique de privilège figurant au sein d’une édition centuriques des XVIe ou XVIIe siècle alors même que les almanachs et pronostications sont très fréquemment accompagnés de privilèges de tous ordres.70 . Au verso de la page de titre comportant « La permission est insérée à la page suivante. AVEC PRIVILEGE » on trouve un Extraict des registres de la Sénéchaussée de Lyon ». Or, il faut savoir que ce type de document est attesté au sein de pronostications. On a le cas de l’édition de la Pronostication nouvelle pour 1558, Lyon, Jean Brotot et Antoine Volant.(cf Catalogue Scheler, op. cit. p 24) qui diffère d’ailleurs de l’édition (que nous avions retrouvée à la Bibl. de La Haye), reprise par B. Chevignard (in Présages de Nostradamus, op. cit.,p. 442) parue, quant à elle, à Paris, chez Guillaume Le Noir. Il n’était pas bien difficile de recycler un tel Extraict et de le retoucher pour le placer en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555 si ce n’est que les privilèges accordés aux libraires éditant Nostradamus ne visaient jamais, à notre connaissance, un ouvrage particulier mais plusieurs catégories, au nombre de trois : Almanachs, pronostications, présages. (cf. nos Documents, p. 201).
Cela dit, quand on examine le privilège concernant les Prophéties datées de l’an 1569 dédiées à la puissance divine & la Nation Française de « M. Anthoine Crespin Nostradamus », il vise cet unique ouvrage (cf. Documents, p. 206) comme pour Macé Bonhomme 1555 où sont uniquement visées « Les Prophéties de Michel Nostradamus ». Le parallèle est d’ailleurs intéressant entre ces deux « Prophéties », vu que, selon nous, Crespin représentait le camp protestant et Michel Nostradamus, par delà la mort, le camp ligueur jusqu’à ce que toutes ces pièces antidatées, les unes comme les autres, soient fondues en un seul volume, néanmoins divisé en deux volets distincts, le second n’étant d’ailleurs, en règle générale, pas daté. On ne doit pas sous estimer la surenchère entre les deux camps quant à la production de documents de plus en plus anciens ou de plus en plus en expansion quantitative, faisant dire et prédire à Nostradamus ou à Crespin Nostradamus ce qui convenait au camp concerné.
II La double « comptabilité » des éditions centuriques
Nous commencerons par l’étude des éditions Benoist Rigaud. Le catalogue Scheler comporte (pp. 56 et 58) un exemplaire que nous avons pu examiner et qui d’ailleurs détermine les limites chronologiques du titre du dit catalogue, dressé par Michel Scognamillo : « 1555-1591 ». Cette date de 1591 ne correspond à aucune date présente sur l’édition non datée Benoist Rigaud dont il s’agit. Il s’agit d’une estimation proposée par certains bibliographes. Date éminemment improbable car venant trop tôt pour rendre compte de l’existence du quatrain IX, 86, au second volet, relatif, selon nous, au couronnement de Chartres qui ne fut pas planifié avant la fin de 1593.. Et plus généralement, nous dirons que les éditions à deux volets ne parurent pas avant la fin du XVIe siècle, probablement lors de la constitution de ce que l’on pourrait appeler le « canon troyen », visant à rassembler tout ce qui a à voir, par delà les sensibilités politiques, avec le prophétisme nostradamiens (quatrains et épîtres), dans la suite de l’entreprise également globale du Janus Gallicus, s’ouvrant aux dix centuries mais aussi aux quatrains des almanachs de Nostradamus (cf. le Recueil des Présages Prosaïques édité par le même personnage, Jean Aimé de Chavigny).
Si l’on examine cette édition, en la comparant à une édition datée de 1568, sous la houlette du même libraire (cf. page de titre des deux volets, catalogue Thomas Scheler, pp.41 et 44) les similitudes sont frappantes : mêmes vignettes spécifiques à chaque volet, même mise en page, même vignette centrale, reprise selon nous des pages de titre des almanachs de Barbe Regnault. Bien plus, les seconds volets sont strictement identiques puisqu’ils ne comportent de date, ni l’un ni l’autre. On comprend mieux d’ailleurs l’absence de date : soit on ne mettait pas de date, soit l’on plaçait la date dans un espace vide. Il n’était donc pas nécessaire de changer la date et de toute façon, cela n’affectait que le premier volet, qui correspond en fait à la page de titre de tout l’ensemble, le second volet n’ayant d’autonomie. Malheureusement, l’on n’a pas conservé le second volet de l’édition Antoine du Rosne Bibl. Utrecht. Il était probablement daté du fait qu’il comportait l’Epitre à Henri II de juin 1558. Mais par la suite, pour les éditions postérieures, cela ne s’avéra plus utile.
Il suffisait donc de glisser 1568 dans certaines pages de titre ou de laisser en blanc :
A LYON
PAR BENOIST RIGAUD
[1568] optionnel
Avec permission
Cette dernière formule ne correspondant en fait à aucun document, dans le corps du texte, tant pour les éditions 1568 que les éditions sans date. C’était d’ailleurs préférable car il aurait fallu deux « permissions » différentes selon que l’on se situait en 1568 ou à la fin du siècle.
Dans les autres cas, l’analyse est sensiblement plus complexe et un tel parallèle au titre est rare. Un des parallèles les plus simples est celui de l’édition parisienne Veuve N. Buffet (également au Catalogue Thomas Scheler p. 49) datée de 1561 mais quasiment superposable sur les éditions parisiennes datées de1588- 1589, (Veuve Nicolas Roffet, Pierre Ménier, Charles Roger) tant au titre qu’au contenu. Quelques différences cependant assez mineures, il nous semble : 38 articles « additionnés », dans l’édition 1561 au lieu de 39 au titre des éditions ligueuses, une centurie VIII de 6 quatrains sous la Ligue, inexistante dans l’édition 1561. En revanche, le même étrange décalage entre titre et contenu est observable.
Prenons d’autres exemples concernant les éditions Antoine du Rosne 1557. A peu de choses près, l’exemplaire de la Bibl. de Budapest correspond à l’édition d’Anvers 1590, si ce n’est la présence de 5 quatrains supplémentaires à la VIIIe centurie. Même absence d’avertissement latin et de quatrain 100 de la centurie VI, outre le fait que ces éditions sont à un seul volet. En revanche, les pages de titre différent du fait que l’édition d’Anvers ne comporte pas en son titre de vignette nostradamique mais la marque du libraire. Le texte est proche à part le fait que dans un cas l’on a Les grandes et merveilleuses prédictions et dans l’autre Prophéties mais à la dernière page, il est renvoyé à une édition des « Professies » (sic), Avignon 1555. La même erreur grammaticale est en outre observable au titre « dont il en y a trois cens » au lieu de ‘dont il y en a », comme dans les éditions Benoist Rigaud. Et bien entendu, le libraire n’est pas le même alors qu’avec Benoist Rigaud, l’on disposait d’un libraire dont la carrière s’étendait sur une trentaine d’années mais selon nous les éditions Rigaud sont toutes postérieures à la mort du dit Rigaud en 1597.
En ce qui concerne Antoine du Rosne, 1557 Utrecht, on a affaire à deux volets calqués sur les éditions Benoist Rigaud, passées par le moule troyen : on y rétablit l’avertissement latin et on ajoute 2 quatrains à la VIIe centurie. Les éditions Rigaud ne sont en fait, dans ce système, que la réédition d’Antoine du Rosne Utrecht, ce qui explique qu’elles ne comportent aucun trait posthume par rapport à la récente mort de Nostradamus. Mais c’est finalement l’option 1568 qui aura prévalu sur l’option 1557, d’où la multiplicité des éditions Benoist Rigaud, recensée et classée par Patrice Guinard, lequel s’en tient à la thèse d’une véritable parution en 1568, donc avant tout le processus enclenché sous la Ligue, dont selon nous les dites éditions Rigaud sont l’aboutissement, la thèse inverse voulant que le processus ligueur aurait été une dégradation des éditions Rigaud à deux volets. Un scénario bien différents et impliquant non plus une dynamique constructive mais une dynamique destructive.
Terminons avec le cas de Macé Bonhomme 1555. De quelle édition est-issue une telle édition ? On dispose certes d’une édition 1588 Rouen Raphaël du Petit Val « divisée en 4 centuries », du moins est-ce qui est indiqué au titre externe , mais ne correspond guère à son contenu, son ancien possesseur Daniel Ruzo assurant – (Testament de Nostradamus, op. cit, p. 282) qu’il n’y a pas trace de division en centuries à l’intérieur. En cela, le contenu se distingue de la présentation Macé Bonhomme en 4 centuries, laquelle correspond en revanche au titre de 1588. Inversement, le titre Macé Bonhomme, lui n’indique pas de centuries, en son titre et correspond dès lors au contenu de l’édition Rouen 1588. Tout se passe comme si l’on avait interverti les titres. Mais cette fois, le titre correspond à une antidatation et non pas à une postdatation. On en arrive à supposer que ces décalages entre titre et contenu ne relèvent pas nécessairement d’une quelconque stratégie mais bien d’un manque de maîtrise du domaine, de confusions et d’interversions de toutes sortes commises par les faussaires et leurs éventuels assistants, noyés dans la masse de la documentation comme le sont d’ailleurs de nos jours ceux qui abordent la délicate et fort intriquée et embrouillée question de l’histoire des éditions centuriques..
On ne connait pas, en définitive, d’édition des années 1588 qui corresponde à la division en 4 centuries, avec 53 quatrains à la IV mais les éditions ligueuses- y compris l’édition Veuve Buffet, 1561 qui fait absolument partie de cet ensemble- ont gardé la trace d’une telle édition puisqu’elle signale une addition à la IV, commençant au 54e quatrain. Chez la veuve Buffet, l’addition commence une page nouvelle alors que pour les trois autres éditions parisiennes, dont celle-ci dérive, l’addition s’effectue sur la même page que la partie d’origine. Mais l’édition Macé Bonhomme à 4 centuries n’en reste pas moins plus tardive, par son contenu, que l’édition De Rouen 1588 qui n’a que 49 quatrains à la IV. Ce qui nous amène à la réflexion suivante : les éditions antidatées ne représentent qu’une petite part de toutes les éditions produites à partir des années 1580.En aucune façon, il ne faudrait croire qu’à chaque édition de cette période (1580-1600) correspond nécessairement une édition antidatée des années 1550-1560. En revanche, à chaque édition antidatée correspond ou devrait correspondre, une édition plus tardive dont elle est issue car il ne ferait pas sens qu’une progression de contenu ne se produise qu’au niveau des éditions antidatées, cela déséquilibrerait le processus global de formation.
Pour conclure, nous donnerons ci-dessous la chronologie des titres des éditions centuriques, pour le premier volet, sans fournir de dates mais en citant les éditions attestant des dits titres. Il n’est pas ici question du contenu des éditions de référence mais uniquement du titre.
1 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. (-cf. Macé Bonhomme 1555 et permission)
Note : on n’est pas encore dans un découpage centurique d’où cette centurie IV qui tient au fait de ce non découpage.
2 Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus, divisées en 4 centuries (Rouen Raphael du Petit Val, 1588)
Note : on entame une Ive Centurie à 49/53 quatrains.
3 Les Centuries et merveilleuses prédictions contenant six centuries
Note ; sur le modèle Pierre Valentin 161171 indiquant au titre sept et non six centuries) et qui n’implique pas encore 600 quatrains. Il s’agit ici du contenu des éditions ligueuses à mi-chemin entre quatre centuries et six centuries pleines, la VIe centurie s’arrêtant à 71 quatrains.(‘cf. Benazra, RCN, p. 121 qui envisage une édition s’arrêtant à ce stade, sans le supplément de quatrains, présenté sous le terme « septiesme centurie » et qui ne parvient pas à compléter la Vie centurie.
4 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (page de titre édition Antoine du Rosne Budapest 1557 ; Rouen 1589, Anvers, 1590 avec le titre Grandes et merveilleuses prédictions)
Note : on passe de 353 quatrains à 600 en comptant les 53 quatrains de la IV.
5 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées (..) Revues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de trente huit/neuf articles ( Buffet 1561, Ed ligueuses1588-1589)
Note : on ajoute une centurie VII à 35/38/39/40/42 quatrains aux 6 centuries. L’édition à 38 articles serait postérieure au contenu de l’édition Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII.
6 Les Centuries et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus contenant sept centuries ; dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (cf Ed. Valentin, Rouen 1611)
Note : titre assez bancal.
7 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur (page de titre Edition Antoine du Rosne, Utrecht, 1557, Benoist Rigaud 1568) . Cette présentation annonce un second volet à la suite.
Note : ce titre du premier volet ne rend pas compte de la septième centurie comme le faisait le titre n° 4..
Pour en revenir aux Editions Benoist Rigaud dont il a été question au début de notre étude, l’’on ne peut que constater que la thèse d’une première édition à 10 centuries effectuée en 1568 ne tient pas puisqu’il est précisé « Adioustées de nouveau par ledict Autheur », ce qui implique que cela se produise de son vivant, donc au plus tard en 1566. En ce sens, le choix de l’année 1566 pour les éditions Pierre Rigaud se révélait assez judicieux – en ce qu’il laissait encore possible le fait que Nostradamus ait procédé à une ultime addition. Il permettait aussi d’intégrer l’addition de 1560, ce qui n’était pas le cas pour Antoine du Rosne 1557 qui comportait, sans le signaler, au titre, une centurie VII. En fait, l’édition Antoine du Rosne, au regard de son contenu, devrait porter le titre 4.
12 Des éditions à quatre Centuries vers les éditions à sept centuries
Ce qui frappe celui qui examine la série des éditions centuriques concerne probablement le rythme des additions successives et par là même des éditions successives. Ne pas prendre la mesure de telles mutations, quasiment incessantes, du texte, c’est manquer la dynamique centurique, véritable « work in progress ». Certains nostradamologues préfèrent y voir une dégradation par rapport à un document d’origine d’un seul tenant, d’autres sont disposés à suivre un tel processus collectif et se situant dans un certain continuum qui semble se dérouler sans très bien savoir où il va, plus ou moins à la dérive, au hasard des circonstances.
La lecture d’une édition récemment exhumée des prophéties parisiennes de la Ligue (Fonds de l’Abbe Rigaux cf. Catalogue Thomas Scheler, 2010).nous invite à faire le point, encore une fois, sur la façon dont le canon centurique se mit progressivement en place, sous la Ligue, du moins pour ce qu’on nomme le « premier volet » de sept centuries. Il s’agit des Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cents qui n’ont encores esté imprimées, reveues & additionnées par l’Auteur pour l’an Mil cinq cens soixante & un, de trente huict articles à la dernière centurie » Paris, pour la veuve N. Buffet, 1561.
Si l’on compare cette édition avec celles dont le titre et le contenu sont quasiment identiques, produites à Paris, par au moins trois libraires, en 1588-1589, l’on note que deux d’entre elles ne comportent pas d’années de publication et que la troisième (Veuve Nicolas Roffet) comporte mention d’une année qui semble être 1557, tout en étant datée de 1588.(cf. Guinard, « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) », Revue française d’histoire du Livre, n° 129, 2008, p. 67). En revanche, l’édition Buffet, quant à elle, ne comporte qu’une seule référence, 1561. Il y a là une évolution : on passe ainsi d’une reproduction supposée d’une édition ancienne à la « production » supposée d’une édition ancienne, si ce n’est qu’apparemment l’édition Veuve Buffet serait antérieure, ne comportant que 38 articles à la « dernière centurie » au lieu de 39, ce qui renvoie vraisemblablement à la centurie VII
. Le problème, qui est propre à toutes ces éditions ligueuses, (Vve Buffet, Vve Roffet, Charles Roger, Pierre Ménier) c’est que leur contenu ne correspond pas au titre.
Afin de se donner les moyens d’établir un ordre d’ancienneté entres ces éditions, examinons ce qui caractérise l’édition Veuve Nicolas Buffet par rapport aux autres du même groupe.
Cette édition ne craint pas de signaler des additions, ce qui tranche avec les éditions bien lisses, d’un seul tenant – elles n’ont pas de second volet séparé puisqu’elles ne sont divisées qu’en sept centuries- censées être parues chez Antoine du Rosne en 1557
A la Ive centurie, à la différence des éditions parisiennes, l’édition Buffet change de page avec un titre chapeautant les quatrains au-delà du 53e là où les trois autres éditions parisiennes se contentent d’une mention en milieu de page. L’intitulé est néanmoins le même dans les quatre éditions alors qu’une telle mention est absente du premier volet (Ed Antoine du Rosne 1557, Benoist Rigaud, 1568, etc.)
« Prophéties de M. Nostradamus adioustées oultre les précédentes impressions. Centurie quatriesme ». Suit un quatrain non numéroté puis, l’on passe au quatrain 55.
A noter cependant que l’édition de Rouen 1588 à 4 Centuries s’arrête avant le 53e quatrain de la IV (cf. RCN, pp. 122-123) et pourrait donc correspondre à un état antérieur à l’édition à 353 quatrains.
Le même scénario que pour la IV est suivi pour la Vie centurie, si ce n’est qu’une erreur fatale va se glisser. On arrive au 71e quatrain de la VI et apparemment une édition de ce type a du exister. Et puis, comme pour la IV, on va placer, en haut de page, une suite sous un titre, du même ordre que celui qui annonce la suite de la centurie :
« Prophéties de M. M. Nostradamus adioustées nouvellement » ; Centurie septiesme.
Or, l’on passe au 72e quatrain, si bien que l’on s’attendrait plutôt à l’indication « Centurie sixième » comme plus haut « Centurie quatrième » Cette « septième » centurie s’arrête d’ailleurs au 83e quatrain. Mais à nos yeux, ce n’est que la suite de la centurie VI Nous y voyons non pas une intention mais une inadvertance. Par la suite, la VI sera bel et bien complétée et servira un temps de « dernière centurie » à 100 quatrains(ou le plus souvent à 99)
A la différence des autres éditions, l’édition Buffet ne compte pas de huitième centurie, aussi brève soit-elle. Ce qui la rend effectivement plus ancienne. Elle aurait du en fait en rester à six centuries. C’est par inadvertance que cette septième centurie aura été ainsi générée. Il n’en reste pas moins que ce faisant, cette édition à sept centuries aura servi de matrice pour le « premier volet », bel et bien constitué de six centuries et d’une addition formant une septième centurie ; si ce n’est que le contenu de la « septième » centurie ne sera pas conservé dans les éditions finales à sept centuries. Quant à la version à huit centuries, celle attestée par les éditions parisiennes autres que Veuve Buffet (à « 39 articles » au lieu de 38), elle fera long feu et désignera la première centurie du second volet, si ce n’est que dans les éditions troyennes du XVIIe siècle, les additions en question (VII et VIIIe centuries) seront reprises dans le cadre d’une recension systématique du corpus nostradamique, respectivement à la suite des centuries VII et VIII, ce qui est assez étrange, dans le cas de la VIIIe centurie ligueuse, qui se trouve dès lors incluse au sein du second volet… Mais rappelons que les éditions Benoist Rigaud 1568 ne conservent pas ces additions ligueuses.
Nous pouvons donc considérer l’édition Veuve Buffet comme ayant servi de modèle, du moins au niveau structurel, aux éditions centuriques ultérieures, davantage que les autres éditions ligueuses à huit centuries. On peut placer à la suite de la dite édition celles .qui correspondent à son titre mais non pas à son contenu. Il y a là un paradoxe chronologique qui veut que toutes ces éditions ligueuses portent un titre correspondant à un état à venir des éditions centuriques et ne correspondant point à leur contenu. Inversement, les éditions centuriques ayant un contenu en rapport avec ce titre portent, quant à elles, un titre ne correspondant pas non plus. On pense aux éditions Anvers 1590, Rouen 1611, Du Rosne 1557, Rigaud, 1568 et toute la série Rigaud non datée (fin XVIe –début XVIIe) qui signalent simplement une addition de 300 quatrains au premier volet et, éventuellement, encore 300 quatrains pour le second. Or, une telle description du premier volet au titre renvoie, selon nous, à une édition à six centuries, se terminant par un avertissement latin conclusif – donc est antérieure au titre annonçant une addition de « 38/39 article à la dernière centurie ». Or, une telle édition à six centuries sans addition n’a pas été conservée.
On peut aussi distinguer entre les éditions à sept centuries comportant l’avertissement latin et celles qui ne le comportent plus de façon à supprimer les traces des états antérieurs. Deux stratégies sont ici à l’œuvre : l’une qui vise à gommer toute marque d’addition, tant à la quatrième centurie qu’à la septième centurie et l’autre qui prend le parti de produire des éditions datées du vivant de Nostradamus. Ces deux stratégies conduisent à modifier sensiblement les représentations liées aux premières éditions centuriques qui avaient, au contraire, opté pour une succession d’additions, position qui se maintient cependant – on l’a vu dans l’annonce aux titres de 300 quatrains/prophéties additionnels mais sans que cela soit clairement indiqué et signalisé au niveau du contenu à sept centuries.
On classera donc parmi les éditions qui maintiennent de facto la marque additionnelle à la fin de la sixième centurie – en conservant l’avertissement latin- les éditions Antoine du Rosne 1557 Utrecht, Benoist Rigaud 1568, Jaques Rousseau, (Cahors, 1590) et dans le second groupe qui évacue l’avertissement latin, et donc ipso facto, la marque additionnelle, les éditions Antoine du Rosne 1557 Budapest, Anvers St Jaure1590..
En fait, selon nous, les éditions centuriques ont été partagées entre des traitements successifs et contradictoires, ce qui rend d’autant plus difficile d’en dresser l’ »Historique » comme a tenté de le faire Patrice Guinard, dans un précédent texte paru dans cette même Revue française d’Histoire du Livre (2008).
Premier temps : on signale les additions : à la quatrième centurie, à la sixième centurie, même si dans le cas Buffet, il ne s’agissait pas de créer une nouvelle centurie mais simplement de compléter la sixième centurie, comme on l’avait fait pour la quatrième centurie.
Deuxième temps : on supprime les marques additionnelles, tant à la Ive qu’à la Vie centurie et l’on produit ainsi des éditions d’un seul tenant à sept centuries en laissant entendre que ces sept centuries ont existé dès l’origine, c’est ce qui ressort justement de l’édition Anvers St Jaure 1590 se prétendant la copie conforme d’une édition avignonnaise Pierre Roux 1555, dont on n’a d’ailleurs pas conservé d’exemplaire, même contrefait, si ce n’est justement l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest, qui en serait en quelque sorte la réédition et qui donc dériverait d’Anvers 1590, avec quelques quatrains supplémentaires, pour arriver à 40 à la VII au lieu de 35.. On notera que l’édition Rouen Pierre Valentin « contenant sept centuries » se présente au titre « jouxte la copie imprimée en Avignon ». Chez Saint Jaure, cette mention ne figure qu’à la dernière page.
Troisième temps, on entre dans le cycle « troyen » qui instaure une recension systématique de toutes les formes de centurismes et qui va donc rétablir ce qui aurait pu être évacué, d’où la réapparition de l’avertissement latin, à la fin de la VI, comme dans Antoine du Rosne 1557 Utrecht et comme dans Benoist Rigaud 1568 ou Cahors Rousseau 1590 (cf. RCN, pp. 126 et seq) et surtout la plupart des éditions du XVIIe siècle (dont Amsterdam 1668, une des plus connues, du fait de son appareil iconographique) etc. .
Quatrième temps : on produit des éditions antidatées censées correspondre à des états successifs fictifs ayant abouti aux éditions « modernes ». C’est alors qu’apparaissent Macé Bonhomme 1555, Antoine du Rosne Utrecht 1557, laquelle édition, reprenant des éléments de la précédente contrefaçon Antoine du Rosne 1557 Budapest – ne comporte pas les additions ligueuses à la VIIe centurie mais pas davantage la marque d’addition à la Ive centurie, ce qui est une erreur dans le scénario. En revanche, l’avertissement latin est maintenu mais sans le quatrain 100 de la VI alors que le dit quatrain figurera dans les éditions troyennes et hollandaises. Ajoutons la production de la série Rigaud qui reprend le premier volet Du Rosne –Utrecht en rajoutant un second volet, repris probablement de Sylvestre Moreau 1603 : Nouvelle Prophétie de M. Michel Nostradamus qui n’ont jamais esté veues n’y (sic) imprimées que en ceste présente année. Dédié au Roy. (Bib. Arsenal, Paris) (cf. Benazra, RCN, pp 153-154) dont il existe une autre édition, en 1650 (BNF). Benazra commente ainsi (pp 219-220) l’édition 1650 : « Cette édition est incomplète car elle ne comporte que les centuries VIII, IX, X lesquelles ne sont évidemment pas nouvelles. Ceci montre la mauvaise foi, du moins la méconnaissance des premiers éditeurs des Centuries. Daniel Ruzo pense qu’il s’agit d’une édition apocryphe du XVIIIe siècle » Nous ne suivrons pas Benazra dans un tel jugement : il s’agit bien là d’un état antérieur à l’intégration d’un « second volet » au sein d’un canon centurique large et les éditions troyennes l’intégreront peu après 1603 dans leur système tout comme elles le feront, à la même époque pour les 58 sixains de Morgard72. On notera la mention « Au Roi », figurant au titre et son absence sur la page de titre du second volet, pourtant introduit par la dite Epitre.
Pour en revenir à l’édition Veuve N. Buffet qui annonce au titre 38 articles à la dernière centurie, et dont le contenu diffère sensiblement- nous avons expliqué ailleurs ce phénomène du fait d’enjeux commerciaux- on ne saurait suivre Patrice Guinard quand il parle (« Historique », pp. 66-67) d’une copie d’une édition Barbe Regnault réellement parue en 1561, qui n’a pas été conservée. .C’est même là une pièce fondamentale de son travail bibliographique et il fournit toute une série d’arguments pour étayer sa position. Il nous faut donc nous y arrêter. Notons qu’au moment de la parution de son étude, il ne connaissait pas l’édition Veuve N. Buffet, datée de 1561, qui n’a été présentée au public qu’en 2010 (cf. Nostradamus et son siècle. Exceptionnel ensemble d’éditions des Prophéties et des Pronostications 1555-1591. Avant propos de Michel Scognamillo, Librairie Thomas Scheler, pp. 47 et seq.)73
Cette édition Buffet 1561 est en fait fort embarrassante pour les tenants d’une édition authentique parue du vivant de Nostradamus. Elle comporte les mêmes bizarreries que les éditions ligueuses, à savoir le décalage entre le titre et le contenu dont nous avons dit que c’était un « truc » de libraire pour écouler ses stocks d’éditions devenues obsolètes, du fait des changements incessants affectant alors le corpus centurique. Cette édition, plus que toute autre – car l’édition Roffet tout en mentionnant 1557 en son titre n’en est pas moins datée de 1588- et cette libraire a bien exercé sous la Ligue- est placée sous le nom d’une libraire ayant exercé à une autre époque, ce qui nous ouvre à un ingénieux trafic des noms de libraires anciens visant à « vieillir » les documents. Valérienne Mallet a bien exercé dans les années 1550-1560 (cf. Dictionnaire des femmes libraires en France), tout comme Barbe Regnault, Antoine du Rosne, Pierre Roux ou Macé Bonhomme. Nul n’en disconvient mais cela ne suffit pas pour en faire des éditions authentiques. Et puis, comment P. Guinard explique-t-il – car une bibliographie est un tout- que soit paru en 1557 des éditions à sept centuries, qui auraient donc intégré….les additions pour 1561 ? La seule solution pour Guinard est de contester que l’addition de 38/39 quatrains à la Vie centurie vise la septième centurie, il n’identifie pas les « articles » à des « quatrains ». En outre, il est assez patent que le contenu, cette fois, de toutes ces éditions prétendument issues de Barbe Regnault est beaucoup moins achevé que celui des éditions Du Rosne. On se trouve donc dans une situation parfaitement ingérable puisque ces éditions parisiennes- puisque toutes ces éditions sont censées parues à Paris et non à Lyon ou à Avignon comme les autres- mais là effectivement, on ne saurait nier le précédent Barbe Regnault qui publia dans les années soixante de faux almanachs de Nostradamus- correspondent, de facto, à un contenu embryonnaire par rapport aux éditions du Rosne : une centurie VI à 71 quatrains, une centurie VII avec 12 quatrains (et qui n’est en fait qu’un prolongement de la VI, laquelle n’atteint même pas encore les 100 quatrains). Il en eut été autrement, certes, si l’édition Buffet avait sensiblement différé des autres éditions parisiennes par son contenu mais nous avons pu vérifier de visu, en mai 2011, à la libraire Thomas Scheler-Clavreuil, grâce à l’amabilité de M. Scognamillo, qu’il n’en était rien. Il s’agit simplement d’un état légèrement antérieur aux autres éditions parisiennes, qui n’a pas encore l’adjonction (6 quatrains) d’une VIIIe centurie de quelques quatrains et qui propose au titre 38 articles au lieu de 39, « additionnés » à la « dernière centurie ». Que l’édition Veuve Nicolas Roffet mentionne en son titre l’année 1557- par delà son contenu qui est totalement décalé- nous oriente vers les tentatives d’antidatation qui aboutiront à produire à partir d’une édition Anvers 1590 une édition 1555 et à la suite une édition Antoine du Rosne 1557. Cette édition Anvers 1590 correspond, à peu de choses près, au titre de l’édition Buffet 1561. On parle d’une addition de 38 « articles » à la dernière centurie, alors qu’Anvers 1590 comporte 35 quatrains à la VII. En ce sens, nous dirons que le titre- mais, encore une fois pas le contenu- de Buffet – mais aussi des autres éditions parisiennes mentionnant 39 articles- est postérieur à Anvers 1590 St Jaure. Or, c’est bien cet intitulé que Guinard veut nous faire considérer comme correspondant à une édition parue du vivant de Nostradamus, chez la veuve Buffet ou chez Barbe Regnault. Il faut bien comprendre que les éditions Antoine du Rosne 1557 sont elles-mêmes postérieures en leur contenu à Anvers 1590 et même aux éditions augmentées de 38 ou 39 articles puisqu’elles en comportent 40 (exemplaire de Budapest) et 42 (exemplaire d’Utrecht). Rappelons que cette étrangeté d’éditions 1557 plus tardives que des éditions supposées avoir été augmentées de dizaines d’articles au-delà de la Vie, tient à un revirement stratégique, à une sorte de reflux : premier temps : on a une succession d’additions qui marque une sorte de croissance continue d’un processus en train de se constituer et second temps : on a une phase de retour à un point origine, passant par la négation d’un tel processus progressif. Il est bien difficile pour le bibliographe de ne pas se perdre dans un tel dédale et de parvenir à garder le cap.
Quant aux divers arguments présentés par P. Guinard74 à l’appui de l’existence d’une « vraie » édition Barbe Regnault 1561 des Centuries, qu’en dire ? La plupart d’entre eux ne font que souligner l’entrelacs des diverses éditions ligueuses, des postdatations et des antidations. On ne retiendra qu’un seul point, le troisième (p. 66) : « l’ajout dans l’édition 1561 des quatrains de l’almanach pour 1561 (initialement parus à Lyon et chez un concurrent parisien, Guillaume Le Noir,) mais que la veuve Regnault n’avait pas inclus dans son almanach ». Entendons « édition 1561 des Prophéties ». De fait, Benazra avait noté que pour réaliser la « septième centurie » des éditions parisiennes. (cf. RCN, pp. 118-119), il nous faut citer son texte de 1990 à propos de cette centurie VII (en fait suite de VI) :
« 12 quatrains n°s 72 à 83. Dans cette centurie on a inséré 12 quatrains qui n’en ont jamais fait partie. » Formule qui ne se conçoit que sous la plume de quelqu’un qui croit que la centurie VII était déjà constituée au moment où ce document a été produit, ce qui à notre avis n’était nullement le cas.(si on laisse de côté la question du titre puisqu’il s’agit là d’analyser le contenu) Quant à P. Guinard, concernant les éditions ligueuses, il n’hésite pas à parler (Corpus Nostradamus n°65) d’’éditions tronquées de trois centuries » en référence à un ensemble de dix centuries qu’il suppose antérieur.
Continuons : en dehors du quatrain 72 « les autres sont ceux qui devaient être publiés comme présages pour l’almanach pour 1561. Nous ignorons pourquoi ils furent supprimés de l’almanach imprimé par Barbe Regnault et intégrés dans l’édition 1561 des Centuries » Benazra, lui aussi, croit qu’il a existé une édition 1561 puisque celle-ci est mentionnée….au titre. Benazra signale « un almanach apocryphe ne contenant pas de vers prophétiques. Cet almanach pour 156175 a certainement été réalisé par la veuve Barbe Regnault avec l’édition falsifiée des Centuries en 1561. » (cf. RCN, p. 44). Notre explication est toute autre : une fois que les faussaires optèrent pour une addition pour 1561, ils décidèrent de placer du « vrai » Nostradamus en récupérant les quatrains de l’almanach de Guillaume Le Noir pour cette année là. On nous objectera qu’ils n’avaient pas les moyens, sous la Ligue, de connaitre le contenu d’un almanach paru un quart de siècle plus tôt.
Or, un tel argument ne tient pas et sous-estime les ressources mises à la disposition des faussaires et dont d’ailleurs profitera le Janus Gallicus de 1594 et les éditions troyennes introduisant des Présages dans leur production (1605 etc.), c’est-à-dire des quatrains des almanachs de Nostradamus, repris au demeurant du dit Janus Gallicus. Bernard Chevignard a édité, en partie, dans ses Présages de Nostradamus (Paris, Seuil, 1999, le Recueil de Présages Prosaïques, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu, lequel manuscrit, en dépit de son titre, comporte les quatrains des almanachs et dont le Janus Gallicus s’est certainement servi, et ce d’autant plus que la page de titre du dit manuscrit comporte le nom de Jean-Aimé de Chavigny. Le fac simile (Chevignard, Présages, op. cit., p. 109)–déjà rendu par P. Brind’amour en 1994, dans son Nostradamus astrophile, Paris, Ed. Klincksieck, p. 501), qui y avait eu accès avant sa restauration, précise in fine, au titre, « Extraict des commentaires d’iceluy et reduit en XII livres par Jean Aime de Chavigny, Beaunois », Grenoble (en latin) 1589. On ignore si le manuscrit, prêt à l’impression, fut réellement imprimé ou si nous sommes en face d’une copie manuscrite de l’imprimé disparu, cela importe peu. D’ailleurs P. Guinard n’ignore rien de l’existence de ce manuscrit et il l’associe lui-même, sur son site, avec Chavigny, notamment à propos des Présages Merveilleux pour 1557, qui était la seule source d’information avant que cet ouvrage soit reproduit en partie par nos soins76 avant qu’il ne soit acquis par la Maison de Nostradamus, lors de la vente de la collection Ruzo.
Guinard note que Barbe Regnault aura inspiré les éditions ligueuses. Ce ne fut en tout cas pas le cas pour l’almanach pour 1561 et d’ailleurs, Benazra a noté, pour l’almanach pour 1563 de la dite Barbe Regnault que les quatrains qui y figuraient n’étaient pas ceux de l’almanach de Nostradamus pour 1563 (cf RCN, pp. 58 et seq). En fait, il semble bien que cette libraire n’avait pas encore commencé à produire des almanachs de Nostradamus à quatrains, en 1560 et que quand elle s’y décidera, elle préférera recycler d’anciens quatrains, quitte à en modifier l’ordre des versets. En revanche, le choix de la vignette qui servira pour la Veuve N. Buffet, pour la veuve Nicolas Roffet et pour Pierre Mesnier – seul Charles Roger ne présente pas de vignette en page de titre – pourrait effectivement dépendre des faux almanachs de Barbe Regnault, y compris de son almanach sans quatrains pour 1561 (dont on a la reproduction sur le corpus Nostradamus de P. Guinard, cura.free.fr et sur propheties.it de Mario Gregorio). Cette vignette imitant celle des pronostications de Nostradamus, et qui ne comporte pas en son sein, en bas à gauche « M. de Nostredame », est bien semblable à toute la série des contrefaçons antidatées Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557 ainsi qu’à celle des éditions ligueuses. Il semble que les faussaires aient fait fausse route en optant pour la vignette d’un faux almanach pour 1561 (ou 1563) de Nostradamus, publié par Barbe Regnault. S’ils avaient opté carrément pour la vignettes des Pronostications, ils auraient moins éveillé les soupçons. On notera à ce propos que Nostradamus, dans les années 1550 ne se sert jamais de telles vignettes pour ses almanachs. Or, Barbe Regnault, elle, place des vignettes sur les faux almanachs de Nostradamus, ce qui est également un signe de contrrefaçon.
13 Documents postdatés et documents antidatés dans le corpus nostradamique
Au phénomène d’antidatation que nous signalions depuis près de vingt ans, est venue, progressivement, se greffer la prise de conscience d’un phénomène, en quelque sorte, inverse de post-datation et c’est la conjonction des deux phénomènes qui aura rendu la bibliographie centurique un exercice à haut risque, aussi bien chez ceux qui se contentent de noter les informations au premier degré que chez ceux, comme Daniel Ruzo et nous-mêmes, qui s’efforcent de réorganiser en profondeur l’ensemble des données. La vigilance est de rigueur dans ce domaine, ce qui implique de ne rien laisser passer d’insolite et de suivre toutes les pistes, de tester toutes les hypothèses, bref de dresser un inventaire extrêmement exigeant, permettant notamment de faire ressortir des chainons manquants, lesquels ne manquent pas, ce qui vient encore compliquer la tâche du nostradamologue averti et consciencieux. Nous verrons si le problème affecte également d’autres pièces que les éditions centuriques proprement dites.
Le phénomène de post-datation est beaucoup plus familier et même franchement banal que celui d’antidatation mais il prend dans le cas des éditions centuriques une dimension assez extraordinaire et l’on peut dire que cela a pour effet de brouiller les pistes. On connait tous le procédé des rééditions lequel s’apparente, peu ou prou, à une forme de postdatation assez bénigne comme est en apparence innocente le fait de vouloir retracer l’historique d’un domaine, ce qui peut se rapprocher de l’antidatation. Le distinguo n’est pas toujours aisé entre contrefaçons et initiatives visant à replacer les choses dans une juste perspective et rétrospective.
S’il fallait classer les éditions centuriques qui nous sont parvenues en ne gardant que celles qui ne relèvent ni de l’antidatation, ni de la postdatation, stricto sensu, il ne resterait plus grand-chose. On pourrait poser la question à l’envers : qu’est-ce qu’une édition centurique qui ne serait ni antidatée, ni postdatée ? Nous répondrons de façon assez tranchée, sur la base de nos travaux à ce jour, qu’aucune édition datée du vivant de Nostradamus ne peut échapper au qualificatif d’antidatée et que les éditions plus tardives des années 1580 sont de pseudo-éditions postdatées, puisque se présentant comme des rééditions de quelque document déjà paru antérieurement. Autrement dit, de telles prétendues rééditions seraient en fait des éditions ni antidatées, ni postdatées, dès lors qu’elles ne se présenteraient pas comme des rééditions, ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement le cas.
Prenons le cas de l’édition de Rouen, parue chez le libraire Raphaël du Petit Val (et dont on ne dispose actuellement d’aucun exemplaire mais qui n’en est pas moins décrite par son ancien possesseur, Daniel Ruzo, comme il le reconnait dans son Testament de Nostradamus (Ed. du Rocher 1982). Cette édition se présente comme « divisée en 4 centuries » en son titre. Or, selon Ruzo, l’ouvrage n’est pas réellement structuré ainsi, les quatrains se suivant sans découpage. Voilà un exemple, dont nous verrons qu’il est assez courant, d’une édition postdatée du fait de son titre. Autrement dit, son contenu est plus ancien que son titre lequel concerne un contenu différent et plus structuré (en 4 centuries). De la sorte, reconnaissons que nous faisons coup double puisque nous avons en quelque sorte deux documents pour le prix d’un seul comme si le dit document était à cheval sur deux versions successives ou peut-être pas tout à fait des éditions centuriques. En fait, l’on peut conclure que le contenu de cette édition de 1588 doit être antidaté d’un voire de deux ans, tant il semble invraisemblable que l’on soit passé en l’espace d’un an d’une édition à 4 centuries à une édition (celle de 1589, chez le même libraire rouennais) qui en est à 7 centuries et sans même marque de passage entre le début et la fin de la centurie IV, encore que son état de conservation ne nous permette pas d’affirmer qu’elle avait ou non gardé l’avertissement latin ni combien de quatrains elle avait dans la centurie VII (fort probablement moins de 40)
Les exemples de décalage, de mismatch, de décalage, entre contenant et contenu sont nombreux et lorsque l’on ne connait que la page de titre d’un ouvrage, mieux vaut ne pas sauter aux conclusions concernant son contenu, en tout cas dans le champ centurique. Un autre cas que nous avons déjà eu l’occasion de signaler est celui des éditions parisiennes datées de 1588 et 1589, qui correspondent à trois libraires s’étant en quelque sorte partagé la distribution. Il est plus que probable que le contenu de ces éditions soit antérieur à celui des années en question et notamment quelle différence entre Rouen 1589 et Paris 1589 77: plusieurs stades séparent ces éditions apparemment mais apparemment seulement exactement contemporaines. C’est dire que si l’on se concentre sur tout ce qui est daté 1588 et 1589, on obtient un ensemble excessivement hétérogène, du fait de la post-datation par le biais des pages de titre, ce qui n’exclut nullement un changement de libraire entre un état et un autre. Donc avant de qualifier de « parisiennes » les éditions de 1588-1589, il convient d’être sur ses gardes car seules les pages de titre font ici foi et c’est bien insuffisant dans le contexte qui est celui des éditions centuriques.
Que dire de la traduction anglaise de 1672 ? C’est le type d’une réédition en même temps que d’une traduction, plus d’un siècle après la mort de Michel de Nostredame. Mais cette réédition s’avère extrêmement précieuse car elle nous permet, selon notre analyse du texte en prose, de restituer un état premier de la Préface à César, antérieur à celui figurant dans la totalité des éditions centuriques connues.
Ces post-datations, à quoi tiennent-elles ? Quel intérêt a-t-on à indiquer un état qui n’est pas celui du contenu de l’édition ? Nous pensons que cela peut concerner des stocks d’invendues, rendus obsolètes par la mise en avant de nouveaux éléments. Pour donner le change, on va mettre en vente une marchandise dévaluée en se contentant de remanier la page de titre. Le tour est joué, et le procédé est si efficace qu’il continue à faire des victimes parmi les libraires et leurs lecteurs, mais aussi chez historiens et bio-bibliographes qui n’y voient que du feu. On ne peut donc pas vraiment dire qu’il y a, au départ, une volonté de fausser les représentations de l’histoire des centuries mais cela peut fort bien produire de facto un tel résultat, vu que ce ne sont là que des considérations d’ordre commercial. Il peut s’agir aussi de libraires qui rachètent à bas prix des stocks d’invendus et les écoulent – ou du moins tentent de les écouler-(en changeant la page de titre). Mais on conçoit que l’historien des textes ne puisse que se réjouir quand il tombe sur de tels arrangements car cela permet de combler des lacunes de son corpus en dédoublant l’information.
A priori, le travail des éditeurs implique le plus souvent une forme d’antidatation et de postdatation. En effet, il est normal de rééditer des documents plus ou moins anciens, de les inscrire dans une nouvelle modernité tout comme cela l’est de replacer les choses dans leur contexte d’origine. A quel moment, alors, peut-on parler d’abus de droits ? C’est le cas lorsque un document est présenté comme plus récent qu’il ne l’est ainsi que lorsque un document est présenté comme plus ancien qu’il ne l’est véritablement. Mais dans le cas de Nostradamus, la question revêt une plus grande complexité : les années 1580 sont celles d’un revival nostradamique, après une parenthèse d’une quinzaine d’années (entre 1569 et 1584 environ), sous la forme d’ouvrages qui sont censés avoir été composés, par définition, du vivant de leur auteur. On est donc ipso facto dans la post-datation. Mais à partir du moment où l’on attribue au dit Nostradamus des publications qui en fait datent des dites années 80 et au-delà, on bascule dans l’antidatation, surtout quand des éditions se voulant d’époque sont carrément produites. En même temps, les libraires recyclent des documents bel et bien parus du vivant de Nostradamus comme l’Epitre à Henri II mais considérablement retouchés, ils publient des quatrains inspirés de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne et d’autres ouvrages littéralement truffés de noms propres, du même genre et du même auteur, parus dans les années 1550 mais les dits quatrains sont retouchés pour s’ajuster avec ce qui se passe dans les années 1590. Les libraires publient également la Préface à César qui n’a pas été inventée de toutes pièces mais probablement reçue et conservée par le dit César.
Le plagiat est un outil important de ce processus de postdatation-antidatation. Les contrefaçons recourent volontiers à une forme de recyclage, donc de postdatation. Ainsi utiliser des passages d’Estienne pour exhumer de prétendus textes posthumes pour ensuite prétendre que les dits textes posthumes sont en fait parus précédemment du vivant de Nostradamus, recourt aux deux procédés apparemment contradictoires. Quand Barbe Regnault publie de faux almanachs de Nostradamus, dans les années 1560, elle se sert, comme l’a noté R. Benazra (sur l’almanach pour 1563 (Bibl. Mun. Lille), cf. RCN, pp. 58 et seq), de quatrains d’almanachs des années antérieures. Quand l’on met en place au milieu des années 1580 les premières productions centuriques, l’on se sert pour les centuries VI et VII ; de quatrains issus de l’almanach de Nostradamus pour 1561, ce qui ne sera pas conservé dans les éditions rouennaises et dans les éditions Antoine du Rosne 1557 (Budapest/Utrecht) mais qui sera repris dans les éditions troyennes du siècle suivant, lesquelles ne veulent rien négliger qui relève de près ou de loin de la production nostradamique, à l’instar de ce que feront Chomarat et Benazra, dans les années 80 du XXe siècle, dans leurs bibliographies respectives…
Un autre aspect que l’on ne saurait ignorer concerne la production se présentant comme extra-centurique. On a du mal, au départ, à imaginer que des faussaires prennent la peine de produire des ouvrages dans le seul but de conforter l’authenticité des éditions centuriques antidatées.
Nous avons plusieurs cas de « confirmations » de ce type :
- Nostradamus Les Significations de l’Eclipse de 1559, Paris, Guillaume Le Noir (Maison de Nostradamus)
- Antoine Crespin Les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française (BNF Numérisation), 1572, Lyon, François Arnoullet
- Jean Dorat et Jean de Chevigny, son traducteur et présentateur, L’Androgyn, 1570, Lyon, Michel Jove
- Les Prophéties du Seigneur du Pavillon, par Antoine Couillard, 1556., Paris, Antoine Le Clerc
- Ces quatre documents, deux censés parus du vivant de Nostradamus à Paris et deux autres, peu de temps après sa mort, à Lyon viennent tous, à des titres divers accréditer la parution, avant la date qu’ils comportent de certaines éditions centuriques alors qu’ils sont, du moins sous la forme que nous leur connaissons, des pièces antidatées.. Sur les 4, trois d’entre eux furent signalés en premier par nos soins en tant que témoignages. R. Benazra, dans le RCN, signale (p. 18) que l’ouvrage de Couillard « présente une parodie des Centuries ». alors que cela ne concerne que des éléments communs avec la Préface centurique à César. Quant à Chomarat, il ne signale même pas l’ouvrage qui ne porte pas le nom Nostradamus en son titre. Benazra cite certes les Prophéties de Crespin mais seulement au fait du surnom de l’auteur indiqué et non de par son contenu. De même Benazra cite-t-il l’Endrogyn (sic) de Jean Dorat – non mentionné par Chomarat, probablement sur la seule base de la page de titre qui ne comporte pas le nom de Nostradamus - mais sans mentionner un passage de l’épître comportant un quatrain des centuries, dument numéroté. De même pour les Significations, citées mais sans signaler un renvoie à la « seconde centurie de mes prophéties », déjà utiilisée pour l’Androgyn de 1570. Une bonne part de ces observations fut communiquée directement ou indirectement à Pierre Brind’amour qui les reprit dans ses ouvrages.(1994, 1996). Mais le probléme, c’est qu’il eut fallu tenir compte de l’enseignement crucial lié à l’édition Rouen du Petit Val, 1588 qui, en dépit de son sous titre « divisée en quarte (sic) centuries n’est pas organisée en centuries. (cf D. Ruzo, Testament, p. 282). C’est ce sous titre qui aura d’ailleurs induit en erreur les faussaires lesquelles, sans nécessairement consulter le contenu et s’en tenant à la page de titre, ont pu croire que la première édition était constituée en centuries. Nous avons mis en garde, à plusieurs reprises par rapport au décalage entre titre et contenu d’une édition centurique.
I Couillard 1556
R. Benazra et quelques autres ont consacré du temps à montrer à quel point la Préface à César se retrouvait en grande partie dans les Prophéties de Couillard.(Paris, 1556), n’hésitant pas à conclure que cela prouvait la réalité de la parution de l’édition Macé Bonhomme 1555, dont Couillard, en quelque sorte aurait fait une sorte de commentaire satirique. C’était aller un peu vite en besogne. D’une part, parce que Couillard, à aucun moment, ne signale le moindre quatrain de Nostradamus, n’utilise même le mot « centurie » (comme dans les Significations de l’éclipse de 1559). Si au moins il avait, comme dans l’Androgyn de 1570 (cf infra) repris un quatrain et avait indiqué dans quelle centurie il se trouvait, mais même pas ou s’’il avait produit un texte compilant divers versets comme le fera un Crespin (Prophéties, 1572)…..Pourquoi une telle omission ? Nous avons développé, durant quelque temps, la thèse selon laquelle la Préface à César était d’abord parue en tête d’un autre texte que celui des Centuries et qu’elle avait été ensuite recyclée et retouchée, comme pour l’Epître à Henri II, d’abord présente au début des Présages Merveilleux pour 155778. Le fait que l’ouvrage de Couillard se nommait Prophéties confirmait en outre que c’était bien sous ce titre – qui est celui de la série Bonhomme-Du Rosne- que les premières centuries seraient initialement parues. Restait à déterminer ce qu’une telle expression recouvrait dans le contexte de la production nostradamique des années 1550. Cependant, en 1560, quand Couillard publie ses Contreditz à Nostradamus, il ne mentionne pas davantage les centuries et ne « revient » pas sur la fameuse Préface qu’il avait brocardée 4 ans plus tôt, pas plus que Nostradamus n’évoquera dans ses autres textes la dite Préface à César..Les autres adversaires de Nostradamus, plus ou moins bien identifiés, dans les années 1550, n’avaient pas non plus signalé les centuries, visant bien plutôt les almanachs et les pronostications. Bref, ces Prophéties de Couillard étaient un cas isolé dans le contexte de l’époque alors qu’elles étaient en position centrale dans le revival des années 1580 d’un Nostradamus « ressuscité », comme on le dira en Angleterre de Claude Dariot, un médecin astrologue contemporaine de Michel de Nostredame, de confession protestante.79
En fait, ne serait -ce point parce que le Seigneur du Pavillon, alias Antoine Couillard, s’était fait connaitre par ses Contreditz, que l’idée en serait venue aux faussaires de lui attribuer ce document authentifiant les éditions centuriques antidatées sachant que les dits faussaires étaient fort bien achalandés concernant tout ce qui touchait de près ou de loin à Nostradamus, sans d’ailleurs eux-mêmes, savoir toujours s’y retrouver, confondant l’authentique et les contrefaçons antérieures aux leurs..Aurait-on, parallèlement, à l’annonce de l’existence d’éditions avignonnaises parues sous le nom de « Professies »- c’est le terme utilisé—dès 1555, comme cela se trouve dans certaines éditions des Grandes et Merveilleuses Prédictions (1590), mis en chantier ce faux Couillard dans le style des Contreditz, en reprenant bien entendu le texte de la Préface tel qu’il figurait en tête de toutes les éditions ligueuses ? Mais pourquoi dans ce cas ne pas avoir évoqué, par la même occasion, les quatrains centuriques et s’être focalisé sur la seule Epitre au fils Nostradamus ?
La thèse pour laquelle nous optons présentement est la suivante : c’est César de Nostredame lui-même qui aurait commandité les dites Prophéties de Couillard alors même que les Centuries n’étaient pas encore parues de façon à authentifier un document qu’il aurait fait circuler par ailleurs. Rappelons qu’il n’était pas rare de publier des Epitres se suffisant à elles-mêmes, et que le terme « préface » a pu apparaitre par la suite quand ce texte sera placé en tête des Centuries. Allons plus loin : c’est précisément parce que cette Epitre à César avait circulé depuis peu qu’on décida de l’utiliser pour la placer en tête des « Prophéties ». C’est une pratique qui se confirmera dans la mouvance nostradamique ou pseudo-nostradamique que de rassembler en un seul volume des éléments d’abord parus séparément et qui atteindra son paroxysme encyclopédique avec les éditions troyennes du début du XVIIe siècle. Signalons que le texte qui paraitra alors en tête des centuries reprend largement le Compendium de Savonarole, tout en le retouchant à loisir.
II Significations 1559
Parmi les documents que nous avions signalés, au début des années Quatre Vingt Dix du siècle passé, comme faisant assez ponctuellement sinon vaguement allusion à la production centurique, les Significations de 1559, lesquelles comportaient une mention assez fugitive et qui avait échappé à nos prédécesseurs, d’une « seconde centurie », sans qu’on nous en dise beaucoup plus. Or, l’ouvrage en question – comme l’avait notamment confirmé Theo Van Berkel, un chercheur néerlandais, était un document assez hybride, ce qu’avait signalé l’abbé Torné Chavigny dans une lettre figurant dans le fac simile des Significations qui fut réalisé en 1904 (cf. Benazra, RCN), p. 448), indiquant un emprunt à l’Eclipsium de Cyprian Leovitius. On y trouvait en fait une certaine diversité de documents, qui se contredisaient parfois, au niveau même du discours proprement astrologique. Il s’agissait en fait d’une épître à J-M Sala, datée du mois d’août 1558 et donc parue, à en croire la pièce en question, sous le nom de Significations de l’Eclipse de 1559. La proximité avec la date de l’Epître, recyclée, à Henri second, passée entre temps de 1556 à juin 1558, nous oriente non plus vers le corpus ligueur comme pour la préface à César mais vers le corpus antiligueur, celui du parti d’Henri de Navarre, puisque l’on sait que l’Epître au Roi figurera en tête des centuries VIII-X, dont le contenu est farouchement hostile aux Guises et prétend annoncer le couronnement du dit Henri à Chartres (IX, 86). Nous avons émis l’hypothèse que l’Epître d’août 1558 qui signale la « seconde centurie » avait précédé celle de juin 1558, en tête de ce que l’on appellera par la suite le ‘second volet » de centuries ; Dans ce cas « seconde centurie » renverrait à ce qu’on appellera la centurie IX.
III Androgyn, 1570
Cette pièce est remarquable en ce qu’elle est la seule que l’on connaisse, à citer un extrait des Centuries en se référant au dispositif de localisation des quatrains, tel qu’il est pratiqué dans les éditions centuriques. Ce passage n’avait pas été signalé, cependant, par nos prédécesseurs qui auraient pu en tirer argument en faveur du premier volet des Centuries, à laquelle la mention se réfère. C’est bien entendu du quatrain relatif à l’Androgyn qu’il s’agit.(II, 45), il est repris dans l’épître de Jean de Chevigny, le traducteur du poème latin de Jean Dorat sur ce thème, que celle-ci introduit, avec la traduction faite par Chevigny, ancien secrétaire de Nostradamus.
En dehors de cette édition de 1570 du dit poéme, nous disposons d’un recueil de pièces du dit Dorat, daté de 1586 au sein duquel se trouve celui-ci.(cf Benazra, RCN, p. 96) Nous pensons que c’est en fait l’origine de ce que nous considérons comme une édition antidatée. Non pas que Dorat n’ait pas composé l’Androgyn à cette date de 1570 mais elle n’aura pas connu alors d’impression. Comme ce sera souvent la coutume, une impression antidatée comporte un texte correspondant à la date ainsi indiquée, ce sera évidemment le cas pour la Préface à César datée de mars 1555 et donnant lieu une édition antidatée pour cette même année et ce fut aussi probablement le cas pour une édition Antoine du Rosne, 1558, par rapport à l’Epitre au Roi, du mois de juin de la dite année, étant entendu que même un texte paru de façon posthume a forcément été rédigé du vivant de l’auteur, ce qui autorise toutes sortes de manipulations antidatées.
Il faut au demeurant souligner à quel point une telle citation est insolite car en 1570 était censé être parue l’’ensemble des 10 centuries (1568) et a fortiori la centurie II, dont le quatrain 45 est issu (Editions 1555, 1557). Or, Jean de Chevigny, en août 1570, semble faire une faveur à son dédicataire, le Président Larcher, en lui transmettant le dit quatrain. Nous en avions conclu, à un certain moment de notre recherche et de notre réflexion, que cela témoignait pour le moins d’une circulation sous le manteau, manuscrite, ou en tout cas fort peu accessible. Mais il nous semble exclu qu’à cette date, les quatrains aient été déjà désignés comme ce sera le cas dans les années 1580, d’autant que Ruzo nous signale (Testament de Nostradamus, op. Cit.,p. 282 ) que la première édition connue à 4 Centuries (Rouen, 1588) ne comportait pas, contrairement à son titre – et l’on sait à quel point les titres peuvent être décalés par rapport au contenu du volume sur lequel ils sont apposés- de classement par centurie. Il est possible que ce document émane de Jean Aimé de Chavigny, l’auteur du Janus Gallicus, qui prétendait ne faire qu’un avec Jean de Chevigny.80, ce qui consolide le lien entre les deux périodes de 1560 et de 1580, également entretenu par la référence à Benoist Rigaud, déjà actif du temps de Nostradamus.
IV Prophéties à la puissance divine, 1572
On montrera que l’un des successeurs attitrés de Nostradamus, Antoine Crespin, dit Archidamus, dit Nostradamus, censé avoir produit tout au long des années 1570 toutes sortes de « prophéties », d’’’épîtres », et correspondant à une seconde génération, ayant pris le relais de Michel de Nostredame, serait une création du camp d’Henri de Navarre, faisant ainsi pendant au revival de Michel de Nostredame orchestré par le camp ligueur.
Abordons enfin un ouvrage et un auteur auquel nous avons consacré beaucoup de temps, Antoine Crespin et sa production nostradamique.81 Au départ, nous avions pensé que les faussaires avaient utilisé le travail de Crespin pour produire une partie des Centuries. L’œuvre de Crespin, auteur dont on ne sait rien en dehors des nombreux fascicules parus sous son nom et dont il n’existe aucun élément d’ordre biographique par ailleurs, est littéralement truffée de modules que l’on retrouve dans les Centuries- ce que n’avaient signalé ni Chomarat, ni Benazra, tant celles du premier que du second volet, ce qui attesterait de l’existence de l’édition à deux volets Benoist Rigaud 1568, sauf, évidemment, à admettre que ce serait plutôt Crespin qui aurait inspiré les rédacteurs des Centuries. Or, comme les deux volets appartiennent à des camps opposés, il semble assez peu probable qu’ils aient recouru à une même source. Notons ainsi que le recours à la Guide des Chemins de France est réservé au second volet et que le recours à des données astronomiques est surtout, mais pas exclusivement, le fait du premier volet, chaque volet ayant ses sources propres…
Nous avions été notamment frappés par un texte de Crespin –une Démonstracion- paru à Lyon, chez Jean Marcorelle, consacré à une Comète de 1571 (cf. RCN, p. 99)- dont le privilège est visé par monsieur L’Archer, « superintendant pour le Roy sur la Justice de Lyon » dont on a vu qu’il était le dédicataire de l’Androgyn, censé être paru également à Lyon, en 1570. Ce texte hostile au pape, en effet comportait le verset « Roy de Bloys en Avignon régner » qui figure à deux reprises- ce qui est rarissime- au second volet.(VIII, 38 et VIII 52). La seconde occurrence (VIII, 52) témoigne de l’usage de la Guide des Chemins de France, en ce que le quatrain réunit de nombreux lieux situés sur la Loire. Mais précisément ce verset apparait comme surajouté dans un deuxième temps et concerner les attaques du camp protestant contre le pape.
Ce Crespin n’était pas inconnu sous la Ligue. On publie de lui, en 1590 , chez Pierre Ménier, qui est un des libraires parisiens de la Ligue dont le nom est attaché à la production des Prophéties de M. Nostradamus (1589) La Prophétie Merveilleuse qui couvre plusieurs années à commencer par 1590 jusqu’en 1598. L’épître, datée de mars 1589, année de l’assassinat d’Henri III, qui eut lieu au mois d’août (cf. Benazra, RCN, pp. 127-128) est adressée à Charles X, un prétendant Bourbon, catholique, qui prend ainsi le titre de roi de France avant même la mort du Valois, au mois d’août, déconsidéré par l’assassinat duc de Guise, en 1588 et auquel il est reproché ses contacts avec Henri de Navarre. Est-ce à dire que le dit Crespin est une invention ligueuse ? On ne saurait soutenir ce point de vue puisque l’on a vu qu’il empruntait à des quatrains du second volet et s’en prenait au pape. Certes, cette Prophétie Merveilleuse est-elle typiquement un document que ne pouvait que rejeter le futur Henri IV mais il nous semble qu’il s’agit d’une tentative pour récupérer le dit Crespin au profit de la Ligue, en compilant d’ailleurs d’autres textes du dit Crespin visant des années bien antérieures.
On aura compris que pour nous Crespin, qui se dit Archidamus puis Nostradamus et dont la plupart des publications imitent la vignette des pronostications de Nostradamus est d’abord du côté protestant en empruntant comme dans le texte daté de 1571 au « second volet ». Mais le principal document est constitué par les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française, Lyon 1572. Ce sont là des années fictives comme pour les éditions ligueuses des Centuries avec des ajustements d’une édition à l’autre, d’une année sur l’autre. Avec ce lot impressionnant de quatrains, véritable compilation des deux volets, dans le style du Janus Gallicus (1594), nous passons carrément au règne d’Henri IV quand les deux corpus de quatrains, le ligueur et le protestant coexistent, encore que Crespin ne signale pas qu’il emprunte les dits textes à Nostradamus. Crespin qui va jusqu’à citer, en date de 1573, dans un de ses textes, l’Epitre à Henri Second, datée de juin 1558 – pas la vraie de 1556 – ce qui permet d’en attester l’existence au début des années 1570. Cette référence se trouve dans l’Epître à la Reyne mère.82 (cf. RCN, p. 105). Nos prédécesseurs n’ont pas relevé davantage cette référence à l’épître au Roi. Là encore, une telle référence à l’Epitre de juin 1558 permet de situer la rédaction et la publication de la dite Epitre au plus tôt au milieu des années 1590 quand la dite épître redatée 1558 est placée en tête du second volet instrumentalisé par le camp réformé.
Il nous semble donc envisageable de considérer que le dit camp réformé aura préféré se servir du néo-nostradamiste Crespin-Nostradamus plutôt que de Nostradamus pour défendre sa cause, à moins qu’il n’ait été carrément inventé dans les années 1580. Le probléme, c’est que l’on connait une bonne dizaine de fascicules parus sous son nom, datés des annes soixante-dix. La BNF a mieux conservé ceux-ci que ceux relatifs à Nostradamus. Cela permet ainsi de rééquilibrer le débat car l’on ne disposait que des éditions ligueuses et l’on pouvait s’interroger sur la substance de la production nostradamique du camp opposé d’autant que celui-ci par la suite sera bel et bien porteur d’une série de centuries de quatrains et d’une épître à Henri II. Crespin serait le chaînon manquant et l’on comprend mieux l’ampleur de la production qui parait sous son nom puisqu’elle fait pendant à celle de l’autre camp. Ce n’est que par la suite, nous apparait-il, que Crespin sera abandonné- non sans avoir été récupéré en 1590 par le camp ligueur (cf. supra) – ce qui était de bonne guerre- et que la production qui lui avait été attribuée par le camp d’Henri de Navarre sera recyclée sous le nom de Nostradamus.
.14Avatars des mentions de dates, de nombres de centuries et de quatrains au titre des éditions.
Le corpus centurique est extrêmement difficile à traiter et à ordonner en raison d’informations souvent contradictoires ou incompatibles entre elles. Le problème est sensiblement aggravé par le fait que les pages de titres ne coïncident pas forcément avec leur contenu et manquent souvent, pour le moins, de précision. On a parfois des bribes : on nous signale des additions mais on ne sait pas à quoi, on nous parle d’une addition à une « dernière centurie », d’un supplément de 300 quatrains mais quand on fait la somme des quatrains, cela ne correspond pas. Daniel Ruzo, en 1975 (en espagnol) puis en 1982 (Le Testament de Nostradamus, Ed Rocher, pp. 279 et seq) développa la thèse selon laquelle dès l’origine, les centuries seraient parus à Lyon sous le titre « Prophéties » et à Avignon sous celui de ‘ »Grandes et Merveilleuses Prédictions », titre qui est attesté par les éditions de Rouen (1589) et d’Anvers (1590). Ruzo possédait dans sa bibliothèque, depuis dispersée, des éditions rouennaises de 1588 et 1589, l’exemplaire de cette dernière étant au demeurant incomplet dans ses dernières pages. On ignore où les originaux de ces deux éditions se trouvent présentement. Il avait également une édition (Pierre Valentin) datée de 1611 du même type (désormais conservée à la Maison de Nostradamus, à Salon de Provence83) .En revanche, l’édition d’Anvers, offrant en gros les mêmes caractéristiques est conservée à Paris, à la Bibliothèque de l’Arsenal.
Le chercheur qui aborde le corpus centurique, tel qu’il se présente sous la Ligue, par le biais des éditions rouennaises risque de ne pas développer la même perception que s’il avait débuté par celui des éditions parisiennes.
Nous disposons de trois éditions rouennaises et d’une édition anversoise, qui en est très proche, notamment au titre assez grandiloquent qui jure avec la sobriété des éditions parisiennes, uniquement désignées par le mot « Prophéties » : Grandes et merveilleuses Prédictions (..) Esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps, tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde
Tous ces documents portent des titres avec des indications chiffrées :
Rouen 1588 (Raphaël du Petit Val) « divisées en quarte (sic) centuries
Rouen 1589 (Raphaël du Petit Val » « dont il en y a (sic)trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »
Anvers 1590 (François Sainct Jaure) « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »
Rouen 161184 (Pierre Valentin) « contenant sept centuries dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »
En ce qui concerne les éditions parisiennes, des chiffres sont également fournis mais uniquement de façon supplétive :
Paris 1588 : « additionnées (…) de 39 articles à la dernière centurie »
Quant aux éditions censées parue du vivant de Nostradamus, celle de Macé Bonhomme 1555 ne comporte aucun chiffre en son titre tandis que celles d’Antoine du Rosne (tant Budapest qu’Utrecht) comportent la même mention que certaines éditions rouennaise : « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », avec la même inversion « dont il en y a ». Mais rappelons que les éditions parisiennes comportent aussi la mention « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées » mais sans la faute propre aux éditions de Rouen et d’Anvers.
Tel est l’état brut des lieux..
Quelles premières conclusions peut-on tirer ? Rappelons préalablement que, selon nous, les titres des éditions parisiennes conservées ne correspondent pas à leur contenu. On nous parle de 39 articles « additionnées » mais on ne voit pas à quoi cela correspond quand on les ouvre. Cependant, il y a une indication d’addition mais elle se trouve dans la centurie IV, au-delà du 53e quatrain, laquelle centurie est à 100 quatrains tout comme la Ve. Nous pensons que cette addition désigne la centurie VII, mais concerne un contenu plus tardif, comme si l’on avait apposé à une ancienne édition un intitulé plus récent. De même nous pensons que l’édition rouennaise à 4 centuries est une réédition d’une impression plus ancienne. Nous dirons également que l’édition Valentin 1611 est une réédition d’une pièce sensiblement plus ancienne. On notera que si l’on peut antidater un document pour une date déjà passée, on ne peut postdater un document au plus tard que pour l’année en cours. On n’imagine pas un libraire publiant un texte daté d’une année non encore advenue, ce qui n’empêche pas d’annoncer une date à venir au titre.
Focalisons-nous sur l’édition Antoine du Rosne 1557–Budapest, étudiée par R. Benazra (1983) et G. Morisse (2004)- dont on a dit qu’elle semblait se placer à la jonction entre éditions rouennaises et parisiennes, de par la corruption du titre. Elle comporte, rappelons-le, le mot « Prophéties » au titre, lequel est absent des éditions rouennaises ainsi que de l’édition anversoise et c’est ce titre, très sobre, moins grandiloquent, qui s’imposera pour la réalisation de ce que nous considérons comme des éditions antidatées (1555-1557- 1566- 1568), titre néanmoins voué à une fortune remarquable en ce qu’il contribuera singulièrement à l’image d’un Nostradamus, « prophète » et qui sera repris au XVIIe siècle par les éditions troyennes (1605-1611) de préférence à un autre dont elles ignoraient probablement l’existence, sur la base du corpus dont elles disposaient. . .
A un certain stade, donc, le corpus des éditions « Prophéties » est en contact avec le corpus des éditions « Grandes et Merveilleuses Prédictions », il en sort un titre hybride qui relève des deux corpus concurrents selon un dosage assez savant. Du Rosne 1557 Budapest – qui sera copié par Du Rosne 1557- Utrecht- récupère la formule « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », laquelle reste assez obscure en ce que l’on ne nous dit pas, au titre, combien au total il y a de quatrains mais uniquement combien on en aurait rajouté. Or, quand on prend connaissance du volume, on trouve une centurie VII à 40 quatrains, qui ne semble pas correspondre au titre mais qui, en revanche, correspond d’assez près, à un quatrain de différence, à celui des éditions parisiennes « additionnées de 39 articles », qui sont donc à 7 centuries (si l’on fait abstraction de leur contenu).
Autrement dit, l’édition Du Rosne Budapest est à 7 centuries mais semble indiquer en son titre une édition à six centuries, l’addition à la centurie IV ayant été absorbé par un nouvel ensemble de trois centuries (IV, V et VI). Elle mériterait de porter le titre de l’édition Valentin 1611 (conservé à la Maison de Nostradamus, Salon de Provence ) « contenant sept centuries » si le titre de la dite édition Valentin ne se prolongeait pas par « dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », ce qui fait abstraction de l’addition à la VII. Ce titre de 1611 est d’ailleurs insolite et hybride dans sa construction : Les Centuries (…) contenant sept centuries dont il en y a trois cents… »Il est évident qu’il n’y a pas trois cents centuries et que trois cents renvoie à un nombre de quatrains, et qui sont appelés « prophéties » dans les éditions Du Rosne et Rigaud ainsi que dans les éditions parisiennes.
On nous objectera que l’on ne saurait exclure une autre hypothèse, à savoir que ce seraient les éditions de Rouen et Anvers qui auraient emprunté la faute au titre à l’édition Antoine du Rosne Budapest 1557, ce qui poserait le problème de la date de la fabrication de cette contrefaçon dont nous avons dit qu’elle était sensiblement antérieure à Antoine du Rosne Utrecht. Serait-elle antérieure à Rouen Du Petit Val 1589 qui comporte cette erreur ? Pour nous, c’est effectivement la première génération de fausses éditions centuriques antidatées avec l’édition Rouen 1588 à 4 Centuries dont nous avons dit qu’elle reprenait probablement une édition antérieure étant entendu qu’elle fait suite au contenu des éditions parisiennes, qui sont un chainon intermédiaire entre une édition à 53 quatrains à la IV, donc postérieure à Rouen Du Petit Val 1588 qui n’a encore que 49 quatrains à la IV, et la dite édition Du Rosne Budapest à 7 centuries.(qui correspond quant à elle au titre des dites éditions parisiennes mais non, cette fois, à leur contenu). Notons que l’on ignore le contenu des centuries VI e VII de Rouen Du Petit Val 1589 car le seul exemplaire disponible est tronqué. (cf. copie dans la collection Mario Gregorio (site propheties.it), et à la Bibliotheca Astrologica, Paris). On ne peut que supposer qu’il est assez proche de celui d’Anvers 1590 mais aussi de celui de Pierre Valentin 1611 qui a moins de quatrains à la VII qu’Anvers. Il lui manque le quatrain 2, le 33 et le 35, mais en revanche, on y trouve le quatrain 8 qui n’est pas dans l’édition Anvers( la désignation des quatrains , soulignons-le, se réfère à Antoine du Rosne Budapest, mais il est clair que l’on ne saurait souscrire à la thèse de quatrains qui auraient disparu et que l’on aurait retrouvés, l’autre thèse d’une addition de quatrains, par la suite, nous semblant plus envisageable)
En effet, Antoine du Rosne Budapest est plus « complet » qu’Anvers 1590 et Rouen 1611 (dont la date est évidemment celle d’une réédition) et devrait donc lui être postérieur mais si c’est le cas ce serait bien Du Rosne Budapest qui aurait emprunté l’’erreur « dont il en y a « aux éditions Rouen-Anvers et pas l’inverse. Or, à la fin d’Anvers St Jaure, il est fait mention d’éditions datant du vivant de Nostradamus avec la date de 1555. (Pierre Roux, Avignon). Est-ce qu’Antoine du Rosne Budapest ne serait pas la réédition supposée de la dite édition 1555 et ne serait-elle pas marquée par une faute figurant dans cette édition non retrouvée ? Dans ce cas, les faussaires d’Antoine du Ronse 1557 n’auraient pas été en contact direct avec les éditions Rouen-Anvers mais avec une contrefaçon 1555 comportant les mêmes caractéristiques. On voit qu’il faut se garder de conclusions trop hâtives en ce qui concerne les sources car dans bien des cas, le lien est indirect et biaisé.
On supposera donc qu’Antoine du Rosne 1557 est influencé par Pierre Roux 1555, lui-même influencé et annoncé par Anvers 1590, avec quelques quatrains supplémentaires, ce qui rejaillira sur Antoine du Rosne 1557 Utrecht (avec deux quatrains supplémentaires)
Anvers 1590
« Fin des professies de Nostradamus réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq. Avec privilège du dit seigneur » (Bib. Arsenal). La formule « avec privilège » trouve un écho dans le fait que l’édition Macé Bonhomme comporte cette mention en sa page de titre et une forme de privilège au verso, ce qui ne se pratiquera plus ensuite.
On notera toutefois la formule inhabituelle à l’époque, sauf chez les adversaires : « Professies de Nostradamus » sans le prénom et sans une formule de respect (M., Maistre), ce qui pourtant est le cas au titre. On comparera d’ailleurs avec la formulation plus civile de Rouen 1611. Elle atteste en tout cas d’un succès populaire.
Rouen 1611
« Fin des Centuries et merveilleuses prédictions de maistre Michel Nostradamus de nouveau imprimées sur l’ancienne impression, premièrement imprimée en Avignon, par Pierre le Roux (sic, au lieu de Pierre Roux, libraire attesté), imprimeur du Légat »
Mais comment expliquer que l’on désigne par « Professies » une édition de 1555 alors que le titre anversois de 1590 ne comporte même pas ce mot ? On retrouve donc au sein même d’Anvers 1590 la dualité des deux titres, ce qui compromet la thèse de Ruzo qui voyait dans le titre « Grandes et merveilleuses prédictions » la marque des éditions Avignon 1555.En fait, Anvers 1590 choisit de nommer « Prophéties » les anciennes éditions parues du vivant de Nostradamus, titre qui rappelons-le était en usage dans les éditions parisiennes de la Ligue. C’est dire les intercalations et les interférences entre les diverses éditions.
Citons Ruzo (Testament, op. cit. , p. 279) :
« Les éditions d’Avignon ont paru parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent. Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces éditions publiées du vivant de Nostradamus a disparu. Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des éditions très postérieures à leurs premières publications. C’est dans ces reproductions que nous avons trouvé le titre que portaient les deux plus anciennes de ces éditions d’Avignon, Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus »’
Ruzo signale (Testament, op. cit. p. 281) que le privilége de 1611 comporte bien « Grandes et merveilleuses prédictions ». Nous situerons l’original de cette édition un peu avant Anvers 1590, au vu de la centurie VII disposant de moins de quatrains. On a dit qu’elle faisait pendant à Antoine du Rosne 1557 Budapest en ce qu’elle annonçait carrément 7 centuries, faisant suite à Rouen 1588 annonçant 4 centuries( mais à ce stade sans prétention antidatée mais plutôt postdatée, par rapport la date de la préface, 1555). On a noté aussi la redondance au titre (qui elle peut être tardive puisque Rouen 1611 est forcément, dans le contexte abordé, une réédition d’une autre édition disparue) : Centuries (…) contenant sept centuries » et « dont il en y a trois cents », ce qui ne renvoie plus aux centuries mais à des quatrains, c’est-à-dire à des « prophéties ».(Paris 1588-1589) ou à des « prédictions » (Rouen 1589 ; Anvers 1590). Le titre Valentin est perturbé : on devrait trouver « Prédictions dont il en y a trois cents « ou bien « Prédictions contenant sept centuries », sur le modèle Rouen 1588 ‘Prédictions divisées en quarte(sic) Centuries ». Quant au fait que l’on ait remplacé « Grandes et merveilleuses prédictions » par « Centuries et merveilleuses prédictions », ce n’est qu’une maladresse de plus dont on ignore à quel stade elle est apparue. On retiendra que nous parvenons là à une formulation récapitulative à 7 centuries (Rouen 1611, reprise d’une édition antérieure) qui semble devoir clore un processus engagé sur la base de 4 centuries (Rouen 1588). Quant à la date de 1611, elle fait également question car à cette date, c’est un cas très rare d’une édition ne comportant que 7 centuries, sans adjonction d’un volet supplémentaire à 3 centuries. Tout se passe comme si l’on avait voulu faire paraitre, en 1611, un stade antérieur de la formation des centuries, ce qui attesterait d’une stratégie de rééditions d’éditions plus anciennes se voulant elles-mêmes reprises d’éditions datées de 1555 (mention de cette année chez St Jaure mais pas chez Valentin qui ne donne pas d’année). Par la suite, ce sont les années 1556 et 1558 qui figureront au titre de nombre d’éditions du XVIIe siècle, à commencer, pour rester sur Rouen, l’édition 1649, parue sous la Fronde. elle a pour titre Les vrayes centuries de Me Michel Nostradamus (..) revues & corrigées suyvant les premières éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 avec la vie de l’autheur La formule sera reprise l’année suivante à Leyde, chez Pierre Leffen, en Hollande sous un titre augmenté : Les Vrayes Centuries et Prophéties….titre qui sera celui des éditions d’Amsterdam 1667 et 1668 ainsi que de Paris, chez Jean Ribou, d’après les dites éditions, est-il indiqué au titre en la même année 1668. Décalage de 1555 (Avignon) à 1556 et de 1557 (Lyon) à 155885, bien que 1558 puisse valoir pour le second volet, disparu, d’Antoine du Rosne Utrecht.….Rappelons qu’il est question d’une édition Sixte Denyse, Lyon, 1556, mentionnée, dès 1584, dans la Bibliothèque de La Croix Du Maine (cf. RCN, pp17-18) si ce n’est qu’elle concerne « Les quatrains ou prophéties de Nostradamus » et que selon nous, cela ne vise pas à cette date de 1584 les centuries au sens où le terme sera entendu à partir de la fin des années 1580 mais un almanach avec ses quatrains mensuels désignés sous le nom de prophéties, comme ce sera le cas dans les éditions parisiennes : Prophéties dont il y en a 300 cents etc. »
Il semble qu’il y ait antériorité de Valentin Rouen 1611 par rapport à St Jaure 1590, du fait d’un nombre moindre de quatrains à la VII. L’édition 1611 ne mentionne pas le mot « professies » (sic) in fine à la différence de St Jaure mais reprend purement et simplement le titre de couverture. Il est bien difficile – de déterminer ce qui a pu être modifié jusqu’en 1611 à partir d’un original qui ne nous est pas parvenu mais dont on peut supposer qu’il était très proche d’Anvers 1590. On notera d’ailleurs l’absence de mention de l’an 1555 chez Valentin 1611. On assiste là à des états successifs de formation de la centurie VII, dont l’édition Du Rosne 1557 Budapest ne fait que correspondre à un état plus avancé à 40 quatrains en rappelant l’existence de stades encore plus anciens, attestés par les éditions parisiennes en leur contenu. En revanche, le titre (oublions ici le contenu) des dites éditions parisiennes convient tout à fait à une édition dont la VIIe centurie ne comprendrait que 39 quatrains, ce qui constituerait un état intermédiaire entre Anvers 1590 (à 35 quatrains à la VII) et Du Rosne Budapest 1557.(à 40 quatrains à la VII), à moins que cela n’ait à voir avec le fait que la centurie VI dans ces éditions n’a que 99 quatrains à la VI.(soit 40-1= 39). .Un grand absent est l’édition à six centuries qui se place entre les éditions parisiennes (contenu) et les éditions parisiennes (titre) avec entre temps la suppression mais non le remplacement de VI, 100 (rétabli par la suite dans le Janus Gallicus et dans les éditions troyennes). L’édition Budapest 1557 ne comporte même plus l’avertissement latin, indiquant l’existence d’une édition antérieure à six centuries Cet avertissement (restitué dans Antoine du Rosne Utrecht) sera rétabli par les éditions troyennes, fort bien documentées qui tenteront de restaurer l’ensemble à partir de diverses pièces réunies, mais néanmoins sans VI, 100…
Ruzo donne (Testament, p. 282) des détails précieux sur les exemplaires qu’il a en sa possession et notamment Rouen 1588 ;
« Dans l’édition de Raphaël du Petit Val (…) les quatrains ne sont pas séparés en Centuries. Les 349 quatrains sont précédés non seulement de l’en-tête « Prophéties de Maistre Michel Nostradamus » mais encore par un autre titre, antérieur, « La Prophétie de Nostradamus ». A nouveau, force est de constater un décalage entre le titre « divisées en quarte centuries » et le contenu qui est constitué d’un ensemble de 349 quatrains mis à la suite les uns des autres. Quant à l’autre titre « La Prophétie de Nostradamus », il fait écho à l’édition d’Anvers 1590, mentionnant in fine « Professies de Nostradamus ». Ruzo nous met ainsi sur la voie de la toute première mouture des quatrains de Nostradamus (hors Présages des almanachs). On aurait utilisé un singulier et ce n’est qu’ensuite, que chaque quatrain aurait, du moins dans les éditions 1557-1558- 1568 était qualifiée de prophéties, au pluriel. Notons cependant que le second volet des dites Prophéties s’intitule « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X qui n’ont encores iamais esté imprimées », reprenant la formule « qui n’ont encores jamais esté imprimées » non plus en l’apposant comme pour le premier volet à Prophéties mais à Centuries. De nos jours, il est rare que les nostradamologues emploient « prophéties » comme synonyme de quatrains, le terme désigne désormais soit l’ensemble centurique, ce à quoi correspondrait mieux, dans ce cas, l’usage du singulier : la Prophétie de Nostradamus.
. Nous ne suivrons pas Ruzo dans la direction qu’il propose. Certes, les deux titres ont-ils coexisté dans les années 1588-1590. De là à croire qu’ils coexistèrent en une période pour nous immédiatement antérieure, même dans le cadre de chronologies fictives- ce qui nous intéresse ici – pour Ruzo ces chronologies ne le sont nullement, c’est une toute autre affaire. Ruzo n’a pas accordé assez d’importance au fait que dans l’édition d’Anvers 1590, le titre proposé pour 1555 est bien « Professies » et non « Grandes et Merveilleuses Prédictions ». C’est uniquement dans l’édition Pierre Valentin 1611 que la substitution aura été tentée avec une référence à une édition avignonnaise « Pierre Le Roux (sic) appelée « Centuries et Merveilleuses Prédictions », sans que l’on sache si cette mention était dans l’original des années 1580 (avec moins de quatrains à la VII) ou n’est apparue qu’ultérieurement entre temps (c’est-à-dire 1611). Cela dit, il n’est pas impossible que le titre d’origine de ce qu’on nomme habituellement « Centuries » ou « Prophéties » ait pu être celui de Grandes et Merveilleuses Prédictions.
Ruzo n’oublié pas l’édition rouennaise 1649 (Testament , op. cit. p. 283) dont il note qu’elle se référe en leur titre à des éditions de 1556 (Avignon) et 1558 (Lyon), et que la liste des pays concernés s’est élargie à l’Italie et à l’Allemagne. Pour Ruzo, chaque édition lyonnaise des « Prophéties » aurait été jumelée avec une édition avignonnaise « Grandes et merveilleuses prédictions », la mention au titre des éditions du XVIIe siècle, à partir de 1649, à Rouen, des éditions 1556 et 1558 aurait été simplement fonction des éditions alors conservées et seul le hasard aurait conduit à ce que l’édition conservée la plus ancienne serait celle d’Avignon.
Désormais « Vrayes Centuries » remplace Grandes et Merveilleuses Prédictions », elle englobe la partie biographique du Janus Gallicus sous le nom de « Vie de l Autheur », elle a rétabli le quatrain 100 de la Vie centurie. Autrement dit, ce que ne reléve pas Ruzo, elle doit beaucoup aux éditions troyennes et à leur entreprise encyclopédique. Le mot « Prophéties « ne figure pas au titre. Il sera rajouté dans les éditions hollandaises qui en émanent et ce dès 1650, à Leyde puis en 1667 et 1668. : les Vrayes Centuries et Prophéties. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que le titre « Prophéties », tout court, s’impose, avec la vraie contrefaçon avignonnaise- puisque celle signalée en 1590 n’est qu’une invention- de l’édition Pierre Rigaud, Lyon 1566. Ces éditions hollandaises poursuivent l’orientation donnée par les éditions troyennes en récupérant de façon syncrétique tout ce qui touche à Nostradamus. Elles associent ainsi le titre rouennais de 1649 (Vrayes Prophéties) au titre troyen « Prophéties » (cf RCN, pp. 191 et seq)
15 La contribution du long dix-septième siècle à l’édition centurique.
Notre propos consistera à montrer que le Nostradamus qui a connu la fortune que l’on sait est un produit du XVIIe siècle ou en tout cas du regard projeté par le XVIIE siècle sur le XVIe lequel est réinventé par le grand siècle Bourbon, qui va de la mort du duc d’Alençon en 1584, par ailleurs très jeune dédicataire, déjà vers 1570, de nombre de textes néonostradamiques – laissant la couronne de France à la merci d’une nouvelle dynastie jusqu’à la mort du Roi Soleil en 1715. Le duc était né le 18 mars 1555 et la préface à César date du Ier mars de cette année. On comprend mieux ainsi les retards pris par les études nostradamologiques face à cet obstacle épistémologique consistant à partir du temps de Nostradamus et en considérant que tout est déjà joué et installé à la mort de Michel de Nostredame. Certes, pour le XVIIe siècle – et c’est là toute son ambigüité par rapport au siècle précédent- la matrice semble bien être le dit Nostradamus mais il vaudrait mieux parler ici d’une instrumentalisation.
C’est ainsi qu’à mesure que nos recherches progressent, l’idée d’une production troyenne d’une pseudo-production lyonnaise fait son chemin. Le lien entre Troyes et Lyon est souligné par la référence dans l’édition généralement considérée comme troyenne86[1] datée de 1605 d’une édition Benoist Rigaud 1568. Robert Benazra la rapproche d’une autre édition de Pierre Du Ruau. Il reste qu’en 1605, si tant est qu’il faille se fier à une telle information, liée à la date de l’Epître à Henri IV, en tête des sixains, dans le « troisième » volet, cette édition paraissait sans référence explicite à Troyes, ce qui dénote une certaine volonté de dissimuler une telle information, tout en mettant en avant la production lyonnaise Rigaud. Benazra consacre d’ailleurs un développement significatif à la production centurique champenoise (RCN, pp.. 169 et seq) autour de deux personnages, Pierre du Ruau et Pierre Chevillot, ce dernier étant associé à une édition datée de 1611, parue avec le Recueil des Prophéties et Révélations tant ancienne que modernes, au lendemain de l’assassinat d’Henri IV, édition qui sera réédité en 1866, lors du triple centenaire de la mort de Nostradamus, dans le cadre d’un triptyque comportant non seulement la version française du Liber Mirabilis (Recueil des prophéties et révélations tant anciennes que modernes) mais aussi les Prophéties Perpétuelles de Moult (1740).87[2]. Les similitudes formelles entre les éditions Chevillot et les éditions 1568 Rigaud ont fait l’objet d’observations diverses sur lesquelles nous ne reviendrons pas pour l’heure. Rappelons que Troyes au XVIIe siècle sera un centre majeur de la production d’almanachs et plus largement de la « Bibliothèque Bleue », aux dépens de Lyon, de Rouen et même de Paris..
Relevons une formule qui nous semble assez significative en ce qu’elle apparait, dans les chronologies en vigueur, pour la première fois, à notre connaissance : « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus (…) trouvées en une bibliothèque délaissée par l’autheur », Troyes, Pierre Chevillot. (RCN ; pp. 172-173). On trouve aussi pour présenter le troisième volet de l’édition Chevillot 1611 « Prédictions admirables pour les ans courans en ce siècle, recueillies des Mémoires de feu Maistre Michel Nostradamus (…) présenté au très grand invincible & tres clement Prince Henry IIII vivant Roy de France & de Navarre par Vincent Seve de Beaucaire en Languedoc dès le 19. Mars 1605 etc.’/ Nous soulignerons l’emploi du mot « mémoires » qui figure, au singulier, dans la Préface centurique à César. (« te delaisser (un) mémoire », ce mot ayant été généralement mal interprété par les chercheurs, à commencer par Pierre Brind’amour (Ed. Droz, 1996) qui n’y voit pas une référence à un document que la préface est censée introduire.
Le XVIIe siècle nostradamique est assez remarquable et nous ramène parfois plus aux premières apparitions des Centuries que ce qui nous en reste pour le siècle précédent, ce qui peut sembler paradoxal et quelque part les seiziémistes semblent quelque peu inquiets lorsque l’on tire un peu trop Nostradamus vers le XVIIe siècle. Nous avons déjà signalé le cas de la traduction anglaise de 1672, s’appuyant sur un texte français qui ne nous est connu que pour une période encore plus tardive (Antoine Besson, fin XVIIe). Comment se peut-il faire qu’un état plus ancien car moins corrompu du texte de la Préface ait pu émerger en plein milieu du XVIIe siècle, un siècle environ après la période jugée cruciale des années 1550-1560 ? Mais déjà, dans le cadre des éditions troyennes et quand bien même il s’agirait d’un document douteux comme les Sixains, la formule employée ne saurait nous laisser indifférents en ce qu’elle nous semble évoquer le contexte dans lequel les Centuries parurent d’abord, celui de documents « délaissés », c’est-à-dire implicitement, « à sa mort » ou celui de «mémoires » également censés avoir été retrouvés à cette occasion. Etrangement, les éditions prétendument plus ancienne, à commencer par l’édition de 1568 ne recourent pas à une telle présentation posthume, alors que celle-ci est de rigueur pour la production néo ou post –nostradamique- mais extra-centurique- des années 1560-1570.
Prédictions pour 20 ans (…) extraictes de divers auteurs & trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel de Nostredame (…) par M. de Nostradamus le jeune »
« Présages pour treize ans (…) recueillies de divers auteurs & trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel de Nostredame (…) par M. de Nostradamus le jeune », Paris, Nicolas du Mont, 1571
(cf RCN, pp ;90 et. 98)
On notera au passage que ce genre des prédictions ou présages pour un certain nombre d’années, qui joue un rôle important dans la production néo-nostradamique, nous semble témoigner fortement en faveur de l’idée selon laquelle Nostradamus lui-même aurait contribué de son vivant à un tel type d’ouvrage, bien que cela n’ait pas été retrouvé, à moins que l’on ne considère la possibilité que cela ait pu être désigné sous le nom de « prophéties »- comme il ressort de recueils de librairie, signalés par Gérard Morisse. A ce propos, on observera à quel point les termes employés sont interchangeables, le même type d’ouvrage se voyant-ci-dessus, désigné sous le nom de « Prédictions » et de « Présages ».Rappelons que sous la Ligue, certaines éditions des centuries, parurent à Rouen et à Anvers sous le nom de Grandes et Merveilleuses Prédictions, alors qu’à Paris –elles paraissaient sous le nom de Prophéties. En 1672, l’édition anglaise emploiera la formule « The true propheties or prognostications », formule que l’on retrouve au début de l’Epitre à Henri IV datée de 1605 qui rapporte avoir « recouvert certaines Prophéties ou Pronostications faictes par feu Michel Nostradamus ». Expression que l’on retrouve étrangement dans l’ »Extraict des registres de la Sénéchaussée de Lyon », placé en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555 : « sur ce que Macé Bonhomme (..) ha dict avoir recouvert certain livre intitulé Les Propheties de Michel Nostradamus », étrange formule en effet quand on sait que Nostradamus, à cette date de 1555 était encore en pleine activité et qui ne diffère guère de la formule signalée pour 1605. Notons dans l’extraict que la mention du livre est fautive en ce qu’elle omet le « M. » devant Michel Nostradamus, qui pourtant figure au titre de l’ouvrage qui fait suite.. Ajoutons que les privilèges en tête des productions de Nostradamus avait une valeur globale « (cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, p. 201), cela comporte « les almanachz, presages & Pronostications de Maistre Michel Nostradamus » bien plutôt qu’un privilège pour un ouvrage en particulier. Quant à Crespin, un « successeur » de Nostradamus, l’on sait qu’il utilisait couramment le mot Prophéties (cf. Privilège, in Documents, p. 206) « certaines profecies », ce qui n’introduit pas, faut-il le souligner, des quatrains mais bien des « présages prosaïques », pour reprendre le titre du recueil manuscrit de la production nostradamique dont B. Chevignard a donné une édition (Présages de Nostradamus, Seuil, 1999), c’est dire que le terme présage ne désigne pas d’office des quatrains, même si par la suite, dans le cadre notamment de la production troyenne il en arrivera à désigner une série de quatrains tirés des almanachs, en les reprenant en fait du Janus Gallicus (1594), d’où leur recension incomplète.
Nous en arrivons ainsi au cœur de notre exposé, à savoir le caractère compilatoire et en quelque sorte encyclopédique de la production troyenne du début du XVIIe siècle encore que celui-ci varie, quelque peu, dans son application, de Du Ruau à Chevillot. Tout se passe en effet, comme si les éditeurs troyens – prenons, ici, cette expression pour ce qu’elle vaut- avaient engagé une entreprise de rassemblement systématique de tout ce qui touchait à Nostradamus, de près ou de loin. On a vu que la série des Présages était récupérée, patiemment, des commentaires du Janus Gallicus qui en cite, de temps à autre, quelques uns au service de son exégèse. On a vu que des sixains étaient ainsi également présents dans l’ensemble (Chevillot) daté de 1611 (comprenant le Recueil des Prophéties anciennes et modernes), ceux-ci ayant paru sous le nom de Morgard, qu’il les ait emprunté ou non à quelque corpus nostradamique (cf nos Documents, pp. 227 et seq). Mais cela va plus loin encore puisque les libraires ont dépouillé ou fait dépouiller des éditions de 1588-1589, dont nombre de quatrains ne figuraient pas dans les éditions de Rouen et Anvers (1589-1590), faisant d’ailleurs le tri en observant que certains quatrains étaient repris de la série des présages, puisque ces éditions parisiennes avaient puisé, in fine, dans les quatrains de l’almanach pour 1561 de Nostradamus, année qui figurait au titre.. Mais les éditeurs ne disposaient pas cependant de la totalité des « présages ».(cf. Benazra, RCN, p. 121). On trouve ainsi des annexes : « Autres prophéties cy devant imprimées soubz la Centurie septiesme » »Autres propheties imprimées soubz la Centurie huictiesme ». (car le premier volet des éditions parisiennes avait amorcé une centurie VIII, sans rapport avec ce qui se trouve dans le deuxième volet et qui prendra également cette appellation de centurie VIII.
Mais il existe une autre pièce, autrement plus importante que l’on tend à négliger, du fait du scénario plus ou moins consensuel de la succession des éditions- c’est tout simplement ce qui correspond aux centuries VIII à X. Nous développerons ici, en effet, une nouvelle hypothèse que nous n’avions pas vraiment envisagé jusque là dans nos publications, à savoir que les éditions Benoist Rigaud 1568 seraient issues ou extraites de la production troyenne. Non pas que les quatrains des dites centuries n’aient circulé précédemment, ce dont témoigne le Janus Gallicus qui en commente dès 1594 un certain nombre, mais qu’elles auraient été d’abord récupérées au cours de l’entreprise encyclopédique troyenne avant de paraitre, conjointement avec les Centurie I à VII, seul cadre d’ailleurs dans lequel nous les connaissons. Mais en 1603, donc peu avant l’édition de 1605, on trouve sur le marché une édition des seules trois centuries en question, publiées par le libraire parisien Sylvestre Moreau (cf. cependant R. Benazra, RCN, pp. 153-154) Tout cela se retrouve dans l’édition 1605.. Ajoutons enfin quelques quatrains de Centuries XI et XII, repris du Janus Gallicus, également présents au sein des éditions troyennes, décidément marquées par un dessein d’exhaustivité qui d’ailleurs poursuivait et prolongeait le processus enclenché par le dit Janus Gallicus, dix ans plus tôt, l’apport principal troyen étant d’une part quelques éléments des éditions parisiennes des années 1588-1589 et de l’autre les sixains qui n’étaient pas, quant à eux, encore en circulation en 1594. Mais il ne faudrait pas sous estimer le travail d’édition – au sens académique du terme- concernant l’ensemble centurique, sachant que le Janus Gallicus n’en reprend pas la totalité. On note là une différence significative entre Chevillot et Du Ruau qui va nous servir par la suite. L’édition 1605 fournit le quatrain 100 de la Vie centurie- repris du Janus Gallicus- tandis que Chevillot 1611 en reste à 99 quatrains à la VI, suivi de l’avertissement latin, comme si la trouvaille du dit quatrain n’avait pas encore été effectuée par le dit Chevillot, ce qui placerait Chevillot- ou du moins ce qui parait sous son nom – plus tôt que Du Ruau.. De même Chevillot n’inclut-il pas les quatrains d’almanachs (présages) du Janus Gallicus, ce qui vient confirmer une exploitation plus systématique menée par Du Ruau, éventuellement dans un deuxième temps d’exploration du dit corpus chavignien.
Mais venons-en à présent au cas des éditions Benoist Rigaud 1568 auxquelles se réfère, en son titre même, l’édition de 1605, formule qui, au demeurant, n’est pas présente au titre des éditions Chevillot 1611. On observe d’entrée de jeu que le contenu de l’édition du Ruau ne coïncide évidemment pas avec celui de la série des éditions 1568, longuement étudiée et décrite par Patrice Guinard, si ce n’est qu’il est précisé « reveues & corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568 ». Que faut-il entendre par là ? Que l’édition 1605 se serait alignée sur l’édition 1568 mais l’on sait pertinemment que les éditeurs ont recouru à des sources bien plus récentes chronologiquement, encore qu’ils ne les citent jamais nommément. En tout état de cause, l’épître datée de 1605 élimine de facto une telle éventualité. Toujours est-il que cette édition Benoist Rigaud, Lyon, 1568, est ainsi mise en orbite, elle qui est censée dater de plus de trente ans en arrière. En quoi, d’ailleurs se distingue-t-elle de l’édition Chevillot ? On n’y trouve pas les annexes aux centuries VIII-X, ni les « extraits » des centuries XI-XII, ni l’épître à Henri IV suivie des sixains. Quant aux présages et à VI, 100, ils ne sont pas chez Chevillot. On passe donc assez facilement de Chevillot à Rigaud et vice versa, d’autant que l’addition à la VII se place juste en dessous des derniers quatrains de la dite centurie, selon la même mise en page (cf. fac simile Nice, 1981, pp. 120-121 et édition 1866, Paris, Delarue, p.120, qui suite scrupuleusement la mise en page 1611).
Comment donc reconstituer la chronologie de ces diverses éditions – et plus largement celles des éditions que nous jugeons antidatées (cf. nos divers travaux) Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557. Rappelons préalablement que l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht est très proche du premier volet de l’édition Benoist (pas de quatrain VI, 100), le second volet ne nous étant pas parvenu mais déjà annoncé à la page de titre du premier., avec une vignette qui est identique à Macé Bonhomme 1555 ainsi qu’à Veuve Nicolas Roffet 1588 (British Library), dont on a dit que l’édition troyenne avait pris connaissance pour « compléter » les centuries VII et VIII. A contrario, l’édition Benoist Rigaud 1568 ne comporte pas la dite vignette pas plus d’ailleurs que les éditions troyennes.
Il y a deux hypothèses en présence :
- -soit ces éditions Benoist Rigaud sont bien parues chez le dit Rigaud et ses « héritiers » dans les années 1590 et auraient été reprises par les libraires troyens, soit ces éditions sont un sous-produit contrefait de l’édition troyenne. Paradoxalement, les éditions Rigaud des années 1590 ne mentionnent pas l’année 1568. (cf RCN, pp. 140-147). Elles font cohabiter des messages en clair et des messages cryptés, dans le second volet, ce qui montre, selon nous, que les 3 centuries constituant le second volet sont elles-mêmes une compilation de divers quatrains en circulation, en faveur du parti B ourbon. Notons que certaines éditions, jamais datées, situées par Benazra, autour de 1600 portent l’une le nom assez vague d’ « Héritiers de Benoist Rigaud » et l’autre de Pierre Rigaud, le fils de Benoist –(dont on connait la fortune avec le faux 1566), d’autres encore ceux respectivement de Jean Poyet et de Jean Didier, qui sont des imprimeurs lyonnais de la fin du XVIe et du début du XVIIe, qui ont pu travailler avec les Troyens. Il aurait existé cependant une édition à deux volets, dument datée 1594 et 1596, qui se présente comme étant parue chez Benoist Rigaud lui-même. (elle n’a pas été retrouvée (cf. RCN, pp. 140-141, qui en signale une, à l’instar de Chomarat (Bibliographie, p. 84 notice 155) à tort dans une bibliothèque de Londres (Coll. Harry Price, Bibliothèque de l’Université de Londres, qui conserve une édition des « Héritiers de Benoist Rigaud », non datée)
- soit ces éditions font partie d’un contingent troyen de contrefaçons pour la période 1555-1568.
Exposons nos arguments en faveur de cette seconde thèse. Selon nous, à partir d’une recension considérable de pièces, il devenait techniquement possible de produire toute une série d’éditions se succédant selon une chronologie impliquant, à chaque reprise, une certaine addition de pièces dont il convenait de doser la progression pour en arriver à un état ultime, celui de l’édition 1605. C’est ainsi que nos libraires, secondés certainement par des collaborateurs très experts, remarquèrent que dans les éditions parisiennes de1588, qu’ils avaient pratiquées on l’a vu, figurait l’indication d’une addition après le 53e quatrain de la Ive centurie. ¨Pourquoi ne pas produire une « première » édition à 353 quatrains ? De là l’édition lyonnaise Macé Bonhomme 1555. On notera ce parti pris lyonnais qui ne se démentira pas. Certes, on nous objectera qu’il est bien paru à Rouen en 1588 une édition à 4 centuries, mais qui ne parvenait pas, faut-il le préciser, à 53 quatrains à la IV. Mais personne ne nie qu’une telle édition à 4 centuries ait précédé l’entreprise troyenne puisque l’on vient de dire que celle-ci s’était inspirée d’éditions de 1588 ou 1589. Mais force est de constater que la première tentative d’édition à 4 centuries ne correspondait pas au format 353. Cette édition à 4 centuries, actuellement introuvable mais décrite (RCN, pp. 122-123) par Benazra, suivant les informations de Daniel Ruzo qui l’avait dans sa collection, en copie (microfilm) ou en original). Il faut bien comprendre que les libraires troyens ne sont évidemment pas la première génération de faussaires mais au plus la troisième, la première datant du temps même de Nostradamus, la deuxième du temps de la Ligue, ce qui produisit notamment l’édition Antoine du Rosne 1557 (exemplaire de la Bibliothèque de Budapest, décrit successivement par Benazra et Gérard Morisse). Ce qui ne signifie pas nécessairement que les dits Troyens avaient conscience du caractère de contrefaçon de la production centurique antérieure, mais ce n’est pas tout à fait inconcevable. Apparemment, ils devaient ignorer l’édition à 4 centuries de Rouen, sinon, ils auraient peut être produit une édition Macé Bonhomme à 49 quatrains.
Ensuite, nos libraires troyens, selon notre scénario, auraient envisagé un deuxième étage avec l’édition 1557 Antoine du Rosne. Il suffisait d’en faire une réédition, à nouveaux frais, refaire la gravure, qui serait identique à l’édition Macé Bonhomme 1555. C’est l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht qui ne comporte aucune marque d’addition à la Ive centurie mais qui annonce des ajouts au titre. Toutefois, comme on l’a dit, cette édition Utrecht est déjà un diptyque à la différence de l’édition Budapest. On aurait donc sauté directement entre 1555 et 1557 de 4 à 10 centuries, en plaçant le volet désormais VIII-X récupéré par les Troyens et qui correspondait au parti d’Henri de Navarre, centuries totalement exclues de la production ligueuse, on s’en doute. Il reste que le premier volet 1557 (le second volet fut peut être daté de 1558 et comportait une nouvelle Epitre à Henri II, qui ne figurait pas selon nous dans le volume initial à 3 centuries, du fait même que la dite épître se référé à la préface à César. Cette refonde d’une précédente épître placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557 (cf. nos Documents, pp. 194 et seq) fut probablement réalisée dans le cadre troyen et remplaçait selon nous une épître à J-M Sala (Significations de l’éclipse pour 1559), les deux épîtres étant datées de 1558, à quelques semaines d’intervalle, donc à la veille de la mort tragique d’Henri II, d’où le choix du destinataire et le changement de date de l’épître initiale de 1556. Nous ne connaissons ce diptyque de 1557-1558 que par les éditions Benoist Rigaud 1568 qui en sont la copie. On a dit que ce qui distinguait les éditions Chevillot des éditions Rigaud, était l’adjonction de quelques pièces (issues des éditions parisiennes 1588-1589) tout comme ce qui distinguait les éditions Chevillot des éditions du Ruau était encore d’autres additions (quatrains d’almanachs, VI, 100). Notons que la série des sixains est intitulé chez Chevillot Centurie XI, ce qui n’est pas le cas chez Du Ruau. Visiblement, c’est à partir du niveau précédant le niveau Chevillot que l’on aurait fabriqué Benoist Rigaud 1568 mais aussi des éditions non datées sous son nom ou ceux de la famille Rigaud, avec ou non leur accord, notamment pour Pierre Rigaud. Par la suite, Du Ruau, en dépit de nouvelles additions, continuera à se référer (1605) au dit Benoist Rigaud.
Un trait essentiel permettant de distinguer la série des faux antidatés de celle des faux d’époque, tient au fait que l’ensemble des premiers ne restitue que très partiellement le processus des faux d’origine, c’est-à-dire- la chronologie étant inversée, d’époque, du temps des libraires troyens. Logiquement, ce qui vient après n’a pas à repasser par tout un enchainement de progressions, on se sert carrément de l’édition la plus complète. Or, ici, la diversité des éditions parues sous la Ligue et au-delà surclasse totalement celle des éditions supposées parues dans les années 1550-1560 et ce d’autant plus que toutes les étapes n’ont pas été conservées, nous pensons notamment à un état à 6 centuries qui est attesté par les éditions indiquant pour 1561 une addition de 39 quatrains à la « dernière centurie ». On est là, on l’aura compris, à la deuxième et non à la troisième génération de faux. Etrangement d’ailleurs, cette édition à 39 « article » à la dernière centurie est incompatible avec l’existence d’une édition à 7 centuries, censée parue (exemplaire Budapest) dès 1557, chez le libraire imprimeur lyonnais Lyserot alias Antoine du Rosne. Reconstituons cette première chronologie –pré-troyenne- de faux relatifs au premier volet : une édition à 4 centuries (49 quatrains à la IV) puis une édition à six centuries (avec indication d’une addition à la Ive centurie), disparue, puis une édition avec une centurie VII, indiquée comme ajoutée, puis une édition à VII centuries ne comportant aucune mention d’addition et ce parallèlement à la parution d’éditions du temps de la Ligue avec lesquelles elles sont en dialectique diachronique. Que s’est-il passé ? Les faussaires de deuxième génération, après avoir mis en avant l’addition de 1561 ont préféré en revenir à l’idée d’une édition déjà à 7 centuries, parue déjà en 1557. Malheureusement pour eux, ces éditions 1561 ont été conservées, du moins au niveau de leur intitulé, ce qui n’a d’ailleurs pas conduit les bibliographes du XXe siècle à en tirer toutes les implications, à savoir qu’on était dans une chronologique fictive et virtuelle, susceptible de revirements à loisir…
En conclusion nous dirons qu’il faut probablement situer la production de plusieurs éditions datées des années 1550-1560 au début du XVIIe siècle mais que la dite production ne fait que poursuivre une tradition de contrefaçons enclenchée une vingtaine d’années plus tôt, au cours des années 80 du précédent siècle, elle –même tributaire des contrefaçons des années soixante, auxquelles elles empruntent les vignettes représentant l’auteur en son étude, gravées pour les faux almanachs des dites années soixante, notamment chez la libraire Veuve Barbe Regnault, date à laquelle seront situées les éditions censées dater de 1560-1561. Ce sont ces mêmes vignettes reprises en 1588 par la Veuve Nicolas Roffet, dans son édition du « premier volet » de centuries que l’on retrouvera dans la production des contrefaçons troyennes pour les années 1550.
A ces trois générations de contrefaçons et d’éditions- le sens anglais (edit) sous-tend une idée de retouche, de mise en forme, en page, il convient d’ajouter une quatrième, qui correspond, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIIe siècle, lequel est marqué par un nouvel élan du nostradamisme, du commentaire, et dont le produit le plus emblématique est la production des éditions Pierre Rigaud 1566 qui va éclipser les grosses compilations du XVIIe siècle, au lendemain de la mort de Louis XIV (1715). Désormais, il n’est plus besoin des additions aux VIIe et VIIIe Centuries, plus besoin des sixains et de l’Epitre à Henri II ; plus besoin des Présages issus des almanachs de Nostradamus, lesquels apportaient, au moins, une certaine présence authentique de Nostradamus –encore que les dits quatrains ne soient probablement pas formellement son œuvre propre mais une compilation versifiée de ses « présages prosaïques-, on assiste à une sorte de repli stratégique, voulu en 1656 par Giffré de Réchac, au nom d’une « critique » nostradamique pendant, en quelque sorte, de la critique biblique qui se développe dans la seconde partie du XVIIe siècle chez certains membres des ordres religieux (cf. notre post doctorat, EPHE Ve section, 2007, sur le site propheties.it). C’est cette fois Avignon qui prend le relais, avec l’imprimeur Toussaint Domergue qui n’hésite donc pas à faire le grand écart en produisant des documents qui ne sont pas antidatés de quelques décennies mais carrément d’un siècle et demi, pour le cent cinquantième anniversaire de la mort de Michel de Nostredame. Mais, comme le note Robert Benazra, l’illusion n’existe que dans les éditions tronquées dans lesquelles un portrait dument daté de 1716 figurait le plus souvent disparu. On y a placé des éléments liés à la mort de Nostradamus, comme la reproduction de la pierre tombale, ce qui manquait chez Benoit Rigaud 1568, dont on a vu qu’il ne s’agissait pas d’une édition censée être liée à la mort de Nostradamus mais une réédition d’un document censé être paru au moment même de la rédaction d’une épître à Henri II, retouchée et redatée, pour les besoins de la cause. L’édition avignonnaise du cent cinquantième anniversaire est ainsi la seule véritable édition posthume, d’où sa date qui est celle même de la mort de Nostradamus. Mais, au XIXe siècle, les éditions troyennes prendront leur revanche, dans la seconde moitié du siècle, avec notamment la réédition parisienne, cent cinquante ans plus tard, de la version Chevillot 1611 qui, tout en étant moins ample que la version Du Ruau – elle ne prend pas en compte les « présages » dont chacun est lié à un mois et à une année, ce qui fait problème face à des centuries dont les quatrains ne sont pas datés. Rappelons en en effet le titre dans l édition de 1605 : « Présages tirez de ceux faictz par M. Nostradamus, es années 1555 & suyvantes iusques en 1567 ». Paradoxalement, ces présages qui auraient du être le cœur du dispositif nostradamique, sa matrice, sont ainsi passés par-dessus bord. D’aucuns avaient d’ailleurs douté de leur authenticité en comparaison avec les quatrains centuriques…
Le XVIIe siècle se présente à nous, dans son rapport au siècle précédent, du moins au regard de l’entreprise nostradamique, comme celui qui met en forme ce qui a été produit par le XVIe siècle. On l’a vu, plus haut, un Pierre Du Ruau aura recueilli précieusement la moindre bribe de ce qui portait la marque, réelle ou fictive, de Nostradamus, ordonnant chaque élément de l’ensemble en un certain nombre de volets, tout en veillant à ce qu’à cette synchronie structurelle fasse pendant une diachronie d’éditions antidatées C’est ce siècle qui aura ainsi établi la présentation en deux volets des centuries, avec ses deux épîtres censées être introductives et qui surtout confèrent leur datation interne aux dits volets, outre le fait que des éditions datées des années des épîtres sont également mises en circulation. La résistance de la part des modernes seiziémistes à cette OPA troyenne un XVIIe siècle qui débute en fait avec l’avènement de la dynastie Bourbon, dans les années 1590, autour de l’édit de Nantes (1598) sur « leur » siècle nous semble assez manifeste. Nostradamus se voit ainsi revendiqué tant par le monde valois que par le monde bourbon, poursuivant ainsi la guerre civile qui aura clivé le discours centurique et dont témoigne encore l’existence des deux volets.
16 Sur la date de la première impression des Centuries VIII-X (« second volet « )
A l’occasion de la parution de Nostradamus et l’éclat des empires, de Patrice Guinard
En centrant son ouvrage (paru chez BoD, en Allemagne) sur la centurie VIII, Patrice Guinard nous donne l’occasion de faire le point, une fois de plus, sur le statut de ce qu’on appelle généralement le second volet des Centuries, bien qu’il ne consacre que fort peu de pages à cette question du contexte dans lequel parurent les Centuries VIII à X.
Il est un point sur lequel nous serons d’accord avec Guinard (p.14) – à moins que ce ne soit plutôt l’inverse- à savoir qu’il a du exister une édition, « introuvable » du second volet chez Antoine du Rosne. Cela tient notamment, de notre point de vue, à la similitude entre la page de titre de l’édition Du Rosne 1557(Bibl. Utrecht) et celle du premier volet des éditions Benoist Rigaud 1568. La différence, c’est que pour nous toutes ces éditions furent réalisées dans les dernières années du XVIe siècle et non en 1558 ou 1568, elles sont donc antidatées. Cette édition du second volet était-elle datée ? C’est peu probable comme l’atteste l’édition Benoist Rigaud 1568, qui en est la réédition, dont le second volet n’est jamais daté, ce qui a l’avantage de pouvoir servir à la fois pour une édition antidatée que pour une édition non datée. Elle devait en revanche comporter le nom d’Antoine du Rosne.
Dans le cas de l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht, nous dirons qu’il est sensiblement plus tardif que l’exemplaire de la Bibliothèque de Budapest qui, lui ne concerne que le premier volet, comme il ressort également de la page de titre. Le dessin de la vignette de l’exemplaire de Budapest (voir les fac similis édités successivement par Robert Benazra, en 1993 et par Gérard Morisse, en 2004) diffère de toutes les vignettes nostradamiques représentant un homme devant une table (sur le modèle du mois de janvier dans les almanachs), par sa facture, qu’il s’agisse des pronostications de Nostradamus ou des éditions Macé Bonhomme 1555 ou ligueuses (Paris, 1588-1589) ou encore de celle des faux almanachs produits dans les années 1560 par Barbe Regnault. Vignette qui diffère également de celle d’une pronostication de Jean Sconners, parue chez le même Antoine du Rosne.(cf Catalogue Thomas Scheler, 2010, p. 32) ..
Il est notamment intéressant de revenir sur le fait que l’édition Macé Bonhomme 1555 comporte la même vignette que l’édition « Utrecht ». Or, comme le note Guinard, il y a de fortes similitudes entre l’édition Utrecht 1557 et les éditions Benoist Rigaud 1568 et nous dirons qu’elles sont contemporaines. On notera que les éditions Rigaud 1568 ne comportent pas le type de vignette que nous avons décrite plus haut, ce qui nous conduit à penser qu’elles ne visaient pas à prendre l’apparence des éditions nostradamiques de l’époque de Nostradamus, à la différence de l’édition qui en dérive, Antoine du Rosne, 1557/1558 Utrecht.
Il faut comprendre qu’aucune édition comprenant les deux volets n’a du paraitre avant la réconciliation nationale correspondant au sacre d’Henri IV, donc reconverti au catholicisme romain- autrement dit les deux volumes Antoine du Rosne 1557 (dont la Bibliothèque d’Utrecht ne conserve que le premier volet) ne sauraient être antérieures à cet événement. Nous n’avons pas d’ailleurs la certitude d’une parution antérieure aux premières années du XVIIe siècle pour les éditions à 2 volets. Si le Janus Gallicus(1594) reprend certains quatrains du second volet, rien ne nous assure que c’est issu d’une édition à deux volets, tout comme le dit recueil commente des quatrains des almanachs alors que ceux-ci n’étaient pas parus depuis le temps de Nostradamus si ce n’est éventuellement sous la forme d’un Recueil des Présages Prosaïques, dont le titre même ne renvoie d’ailleurs pas à des quatrains, recueil qui fut peut être imprimée mais dont le manuscrit a été conservé (Bibl. Lyon La Part Dieu).
A partir de là, il nous faut nous interroger sur la date de fabrication de l’édition Macé Bonhomme 1555 dont nous avons dit que la vignette ressemblait fortement à celle de l’exemplaire Utrecht. Il nous semble très improbable en effet que cette fausse édition ait été réalisée avant Antoine du Rosne, 1557 Budapest, du fait de la différence des vignettes et même si selon une logique chronologique primaire, l’édition 1555 devrait être antérieure aux éditions du Rosne 1557, tant Budapest qu’Utrecht. Selon nous, il dut y avoir d’abord une édition 1555 à 7 centuries (signalée dans l’édition Anvers St Jaure, 1590) reprise par l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest et qui devait porter la même vignette qu’Antoine Du Rosne Budapest qui en serait la copie.
On ne doit pas ici négliger l’apport des éditions troyennes, à commencer par celle datée de 1605. Chez ces libraires – et notamment chez Pierre Du Ruau, la connaissance des éditions ligueuses est attestée par les annexes à certaines centuries, réalisées à partir de quatrains des dites éditions ligueuses, éliminés par la suite et d’ailleurs empruntant aux quatrains de l’almanach de Nostradamus pour 1561..Or, dans ces éditions ligueuses, la marque d’addition après le 53e quatrain de la Centurie IV aura mis sur la piste d’une édition initiale s’arrêtant à IV 53, d’où, selon nous, l’idée de fabriquer ce premier état et de le dater de 1555, comme état antérieur de l’édition 1557 Utrecht, avec la même vignette. Nous aurions ainsi d’ailleurs deux « couples » d’édition dont deux éléments nous manquent (1555 à 7 centurie et Utrecht Second volet, 1558, date de l’Epitre à Henri II) :
Premier couple ;
Une édition à 7 centuries, non conservée, mais attestée en 1590 et correspondant d’ailleurs à un état qui ne saurait être antérieur à cette date, du fait que l’édition d’Anvers n’a encore que 35 quatrains à la VII, alors que sa réédition Du Rosne 1557 Budapest a 40 quatrains à la VII, et qu’elle n’a plus, à l’instar d’Anvers 1590, de centième quatrain à la VI ni d’avertissement latin.
Second couple
Une édition à 4 centuries, dont 53 à la IV, Lyon Macé Bonhomme que nous daterons vers 1600-1605, couplée avec l’édition Antoine du Rosne Utrecht regroupant toutes sortes de quatrains de type nostradamique et que l’on avait donc collecté et rassemblé, à commencer par le second volet. Le second volet a disparu. On ne le connait que par son « original » daté de 1568, qui en est en quelque sorte la réédition.
Quelques observations sur ce second volet dont est issue la Centurie VIII commentée par Patrice Guinard. Nous noterons que certains quatrains semblent relever d’un autre mode de communication que d’autres, les uns étant « cryptés », recourant à des anagrammes tandis que d’autres sont « en clair ».
Comment se fait-il, en effet, que l’on trouve au sein du même « volet » des quatrains recourant aux anagrammes Mendosus (pour Vendôme) et (pour Lorrain) Norlaris (IX, 50 cf aussi IX 45 et VIII, 60)- cf Guinard, p. 104- ?
« Mandosus tost viendra à son hault régne
Mettant arrière un peu de Norlaris » Notons que dans ses almanachs, Nostradamus se servait d’une autre anagramme pour Lorrain, à savoir Lorvarin (présage d’octobre 1562), ce qui permet de douter sérieusement, au niveau du texte, de sa paternité sur les quatrains concernés du second volet.(cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, p. 155)
et d’autres annonçant directement la victoire d
X, 18 « Le rang lorrain fera place à Vendosme »
Autre exemple de ce double niveau de langage, au cœur même de la VIIIe Centurie.
Guinard s’interroge (p. 111) sur le quatrain VIII, 67 :
PAR CAR NERSAF, à ruine grand discorde
(…)Nersaf du peuple aura amour & concorde
Il note que Nersaf est l’anagramme de France. Mais il ne fait pas le rapprochement avec VIII, 4, tout au début de la VIIIe Centurie :
Dedans Monech le coq sera receu
Le Cardinal de France apparoistra
Par Logarion Romain sera déceu
Foiblesse à l’aigle & force au coq naistra
Or, il nous semble bien que ce Car Nersaf – en capitales- renvoie au Cardinal de France. Quant à PAR de VIII 67, on pourrait le rapprocher de VIII 4 : Par, se trouvant dans « apparoistra » suivi de par. Guinard, quant à lui, rapproche PAR de Paris et CAR de Carcassonne.
A quoi bon dans ce cas, comme pour Norlaris et Mendosus, avoir à la fois des anagrammes et leur clef ? Nous expliquerons cette bizarrerie de la façon suivante : le second volet serait une compilation hybride et un peu désordonnée de toute une littérature nosrtradamique favorable à Henri IV, dont l’anagramme est Chyren (VIII, 54, cf Guinard, p. 96 qui y voit Henri II), d’où le regroupement de données redondantes et formulées dans des styles divers. On aura complété un tel assemblage par des quatrains fabriqués un peu à la va vite, empruntés à la Guide des Chemins de France d’Henri Estienne (cf. Guinard ; p. 12) – nous avons montré qu’il fallait se servir d’autres guides du même auteur, comme les Voyages – et à d’autres récits régionaux. La mise en évidence de tels emprunts par Chantal Liaroutzos est d’un intérêt inépuisable. Cela nous aura permis d’étudier la façon dont certains de ces quatrains géographiques avaient été retouchés, notamment IX, 86, avec Chartres remplaçant Chastres. Mais, si l’on en reste à la centurie VIII, on remarquera (cf. Guinard, pp. 20-21) que le quatrain VIII 20 est extrait des Voyages de 155288. mais l’on voit aussi que ce quatrain a été interpolé et vise les Lorrains, dont la capitale est Nancy.
Au fort chasteau de Viglanne & Resviers
Sera serré le puisnay de Nancy
Dedans Turin seront ards les premiers
Lors que de dueil Lyon sera transy.
Signalons aussi VIII, 52, qui semble recopier de quelque atlas de la France89 :
Le roy de Bloys dans Avignon régner
D’Amboise & Séme viendra le long de Lyndre
Ongle & Poitiers sainctes aesles ruiner
Devant Boni
Guinard (p. 94) relève quelques noms de villes mais n’en repère point d’autres : il ne note pas la référence à la Ville de Saintes, ni probablement à Saumur (Sème). « Ongle » est probablement une corruption d’un nom de lieu, peut être Orléans ? Quant à Boni, il pourrait bien s’agir comme le note Guinard de « Bonny sur Loire (sous Briare et à hauteur de Blois) ». L’existence d’un verset manifestement incomplet dans les diverses éditions, y compris celle marquées Benoist Rigaud 1568, nous fait souligner le fait que les éditions prétendument les plus anciennes des centuries ne différent guère de celles jugées plus tardives par les bibliographes, ce point a visiblement été négligé par les faussaires.
Là encore, n’a –t-il pas eu retouche du quatrain initial avec l’introduction d’Avignon (référence au pape) qui n’appartient pas à cette région. Le premier verset semble comporter un message politique pas plus que Chartres n’appartenait à la région parisienne. On notera le quatrième verset tronqué, ce qui vient confirmer le caractère rétrospectif d’archivage de l’entreprise post-centurique du début du XVIIe siècle.
Nous voudrions terminer en mettant en avant un critère qui ne semble guère avoir retenu l’attention de P. Guinard, à savoir le recours aux lettres capitales (majuscules). L’on notera que l’édition Budapest ne comporte pas de mots en capitales du moins dans les quatrains alors que l’exemplaire Utrecht en comprend un certain nombre – et cela vaut pour les deux volets dans les éditions Benoist Rigaud 1568. Or, l’édition Macé Bonhomme 1555 dispose aussi de quatrains dont certains mots sont en capitales. Il suffit de s’arrêter aux premiers quatrains de la première centurie pour en convenir. ¨Par exemple le BRANCHES de II, 2/ Voilà qui vient confirmer la parenté que nous proposions entre Macé Bonhomme 1555 et Utrecht 1557 avec Benoist Rigaud 1568 et nous conclurons que l’exemplaire Antoine du Rosne 1557 Budapest est d’une autre mouture. Quant aux raisons d’un tel procédé, elles devaient correspondre à un certain mode de cryptage, mettant en avant une certaine série de mots. Ce cryptage n’était pas encore de mise lors de la fabrication de l’édition Budapest pas plus d’ailleurs que dans les éditions parisiennes ligueuses, ou de Rouen/Anvers 1588/1589. Nous daterons ce procédé d’une période plus tardive autour de 1600-1605.90
En forme de conclusion, nous relèverons que dans ses « repères biographiques » qui mélangent fâcheusement données biographiques et bibliographiques, ces deux domaines relevant de méthodologies distinctes, (pp. 166 et seq), Guinard propose :
« 1555 ; parution en mai, à Lyon, chez Macé Bonhomme de la Ière édition des «Prophéties ». (353 quatrains). Retirage en juin 1555
« 1557 : Parution en septembre, à Lyon, chez Antoine du Rosne, de la 2e édition des « Prophéties » (642 quatrains). Réédition en novembre 1557
-Parution à Lyon, chez le même imprimeur de la « Paraphrase de C. Galien. » Réédition postdatée de 1558
1558 Parution à Lyon, probablement toujours chez Antoine du Rosne du second livre des « Prophéties » (300 quatrains)
(…) 1568 Parution à Lyon, chez Benoist Rigaud de l’Ière édition complète des Prophéties (942 quatrains)
Prudemment, Guinard ne mentionne pas le cas d’une édition pour 1561 à 39 articles à la dernière centurie et dont nous avons montré ailleurs qu’il s’agissait non seulement d’une contrefaçon antidatée mais probablement correspondant à un état antérieur aux éditions Antoine du Rosne 1557 (Budapest et Utrecht). On n’a gardé de ces éditions que des pages de titre utilisées de façon assez étrange par les libraires parisiens de la Ligue. En effet, ces éditions 1561 indiquent pour cette date la mise en place de la centurie VII, appendice à la Vie centurie qui fut un temps conclusive donc « dernière » terminée par l’avertissement latin. On n’a pas conservé d’édition à six centuries mais elle a du exister, dans les années 1580. Ces éditions 1561 complètent l’édition à six centuries. On peut ainsi penser – milieu 1580 – à un premier « train » de contrefaçons sur la base de 600 + VIIe centurie, qui sera suivi d’un deuxième train de contrefaçons – début 1590- comportant Antoine du Rosne Budapest 1557 et d’un troisième train, début XVIIe siècle, comportant Antoine du Rosne Utrecht à 2 volets et Benoist Rigaud 1568. On ne peut évidemment pas souscrire à l’indication de P. Guinard, dont, selon la quatrième de couverture, « les études bibliographiques et (les) recherches sur l’histoire du texte nostradamique font autorité en France et à l’étranger »- sur la seule base des mentions finales, plaçant la parution d’Antoine du Rosne Utrecht avant Antoine du Rosne Budapest, position d’autant plus intenable qu’il considère que cette dernière édition était complétée par un second volet, ce qui n’était pas le cas de la première. Quant à sa mention (1557/1558) de la Paraphrase de Galien, laquelle comporte la même vignette que celle d’Utrecht 1557 chez le même libraire, nous ne pensons pas qu’elle date davantage de cette période, il s’agit probablement d’une traduction manuscrite trouvée dans la bibliothèque de Michel de Nostredame et imprimée également vers 1600, conjointement avec l’exemplaire Utrecht…
Il faut bien comprendre que les contrefaçons ne restituent aucunement tout le cours de la production centurique tel qu’il se développe à partir des années 1580 avec un « revival » de Nostradamus, personnage d’une autre époque mais bien qu’elles n’en reprennent que quelques états. Il est donc regrettable que ce sont ces contrefaçons bien partielles qui sont présentées comme le commencement de la genèse des Centuries. Ce faisant, l’on parvient peut être à sauver la paternité de Nostradamus sur les centuries mais par ailleurs, l’on donne naissance à une genèse assez invraisemblable de cette œuvre qu’il vaut mieux qualifier de collective – les deux volets sont liés et marqués par des camps opposés – qui fut le vecteur de sa postérité91.
17 Les filiations improbables des recherches astrologiques et nostradamologiques.
Le débat autour de l’astrologie et de Nostradamus est délibérément faussé par certains de ceux qui prétendent défendre les couleurs de ces deux domaines qui ne sont pas sans traits communs quant aux pathologies dont ils sont victimes par delà ce qui peut les rapprocher quant à leur extraordinaire fortune à travers les siècles.
Le tort que font nombre de chercheurs et de commentateurs marqués par une certaine tendance apologétique tient au fait qu’ils sont en quête de filiations improbables. Tout serait tellement plus simple si les spécialistes des centuries renonçaient à démontrer que celles-ci sont dues à Nostradamus ou si les experts en astrologie cessaient de placer leur pratique sous le signe de l’Astronomie. On sait que la tentation est forte de se placer sous la houlette d’une autorité prestigieuse mais cela se révèle le plus souvent assez contre-productif et génère des amalgames fâcheux.
Tout comme l’astronomie s’est séparée de l’astrologie- nous renvoyons à la polémique de Videl – ce qui ne suffit nullement à expliquer le déclin de cette dernière- Colbert a bon dos ! – de même les spécialistes de Nostradamus n’ont pas grand-chose à voir avec les interprètes des Centuries. Certains ont cependant tenté de faire le grand écart et d’affirmer une unité de l’astrologie tout comme – car ce sont parfois les mêmes- une unité du nostradamisme..
LE XXIe siècle devrait voir entériner le clivage entre des plans que d’aucuns voudraient à tout prix voir converger. Dans le cas de Nostradamus, on voit encore mener des combats d’arrière garde, assez désespérés et désespérants, pour valider les manipulations des éditeurs de la fin du XVIe siècle qui ont monté le «canular » d’un Nostradamus auteur des Centuries. Dans un premier temps, nos libraires ont joué la carte de publications tardives, que l’on fait émerger sous la Ligue, jamais encore « imprimées ». C’est d’ailleurs la formule utilisée : « dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées » et par la suite, « Centuries VIII, IX X Qui n’ont encores iamais esté imprimées ». Puis ils s’enhardirent – tout en gardant les mêmes intitulés ! – et n’hésitèrent plus à dater certaines éditions en indiquant l’année des épîtres : puisqu’il y avait une préface de 1555 eh bien on dirait que les Centuries sont de cette année là et puisqu’il y a une épître de 1558, qu’à cela ne tienne, on produirait des Centuries parues en la dite année.(Du Rosne, Bibliothèque Utrecht – le second volet est manquant mais la page de titre témoigne). Même l’édition Benoist Rigaud 1568 n’est pas posthume –elle n’en a pas le style en son titre- mais n’est qu’une supposée réédition de celle (perdue) de 1558. [1]
Ce qui n’était au départ qu’un stratagème de libraire rencontra un écho considérable chez certains chercheurs et ce dès le XVIIe siècle, qui se persuadèrent que les Centuries ne faisaient véritablement sens que si elles étaient l’œuvre de Nostradamus, preuves à l’appui, d’où leur attachement en quelque sorte viscéral à toutes les éditions des années 1550-1560 des Centuries et par voie de conséquence une forme d’hostilité, de mépris affiché à l’encontre des éditions « ligueuses » et «post-ligueuses » des années 1580-1590. Leur idée est asses simple et circulaire : les centuries sont prophétiques parce qu’elles sont l’œuvre d’un « prophète » et si elles se vérifient, c’est bien que leur auteur méritait bien ce nom de prophète. CQFD. Il ne leur suffit pas d’interpréter les quatrains, il leur faut aussi que ces quatrains soient impérativement l’œuvre de Michel de Nostredame. Si on leur dit que ces quatrains n’ont pas besoin d’être de Nostradamus pour être prophétiques –puisque eux-mêmes nous donnent des « preuves » de leur validité prophétique – ils répondent que leur joie serait singulièrement compromise, entachée, si l’on devait découvrir un jour que l’ensemble ne se constitua qu’en plusieurs temps, après une éclipse de 20 ans entre la mort de Nostradamus en 1566 et les toutes premières éditions des Centuries. Evidemment, si les quatrains ne sont pas de Nostradamus, ils pourraient aussi bien avoir été composés après coup. Mais qu’est ce que cela change ? De toute façon, on a encore trois siècles (1700-2000) pour déployer l’exégèse, même en considérant que les Centuries ont continué à se former au XVIIe siècle. En fait, nous savons que les Centuries constituent une addition à l’œuvre de Nostradamus, qu’elles en sont le prolongement, à telle enseigne que sur l’ensemble considérable des documents manuscrits et imprimés, dont l’authenticité ne fait point problème, on ne trouve pas de mention des quatrains centuriques du vivant de Nostradamus..
Mais passons à l’astrologie que nous avons placée en parallèle. Tout, là encore, serait tellement plus simple, si les astrologues avaient la sagesse de ne pas confondre l’axe central de l’astrologie avec ses divers prolongements et avatars se prêtant à une appréhension du réel dans ses plus infimes méandres. Là encore, même syndrome, même obsession de valider des additions successives en faisant croire qu’elles font partie intégrante d’un plan initial. Même incapacité, impuissance, à séparer, à dégager ce qui est au centre, à l’origine et ce qui est à la périphérie. Là encore, qu’est ce qu’il en couterait de ne pas parler d’astrologie pour des techniques qui ne sont qu’un simulacre que l’on peut traiter à sa guise, à l’instar des quatrains ? Si ces procédés « marchent », eh bien tant mieux mais quel besoin de les qualifier d’astrologiques ? Déjà il y a 800 ans Ptolémée mettait en garde dans la Tétrabible : « Beaucoup d’individus appâtés par le gain abusent le profane en exerçant sous le couvert d’art astrologique un autre art »(Livre I ; trad. Pascal Charvet, Paris, Ed Nil, p. 33)
Il est vrai qu’il n’est pas si simple de dégager le vrai du faux. Et quand nous employons ces termes, nous ne disons pas que les centuries ont « tout faux » mais qu’elles sont des contrefaçons. Or un texte peut être un faux et être « dans le vrai ». Un astrologue peut désigner pour astrologique ce qui ne l’est pas – et usurper un certain titre- et néanmoins être « dans le vrai ». Inversement, quelqu’un peut dire des choses « vraies » mais se les attribuer faussement, commettre un plagiat. Etrangement, le contraire du plagiat est aussi répréhensible, quand on attribué à autrui ce qui est notre propre œuvre ! Il faudrait trouver un mot pour désigner un tel forfait. Dans les deux cas, il y a un problème de paternité usurpée. Est-ce qu’attribuer à quelqu’un ce qu’il n’a pas fait n’est pas un acte condamnable, quand bien même cela pourrait être considéré comme flatteur. Peut être que ceux qui attribuent ces « merveilleux » quatrains croient se libérer la conscience en se disant que c’est plutôt flatteur pour l’intéressé, qu’ils lui font un beau cadeau. C’est pourquoi plus ils pratiquent l’interprétation des quatrains ou des thèmes, avec succès, plus ils se sentent dans leur bon droit de pouvoir associer tel personnage ou tel savoir à leurs pratiques présentées sous leurs parrainages.
On ne sera donc pas surpris de voir Patrice Guinard se hasarder dans le champ exégétique, par le biais de son Nostradamus ou l’Éclat des Empires - « Nostradamus et ses visions passées et à venir »- édition BoD, 2O11) « L’objet de cet ouvrage, écrit-il, est de montrer, voire démontrer, la réalité des visions du prophète provençal, mal lu, mal interprété, mal compris, depuis plus de quatre siècles » mais Guinard n’en revendique pas moins le statut de bibliographe expert dans les premières éditions, de façon à pouvoir consolider l’historicité de Nostradamus, comme si celle-ci était fonction des ouvrages qui lui étaient attribués. Ce faisant, PG , en voulant jouer sur plusieurs tableaux, hypothèque son discours, le fragilise, le mettant à la merci de la critique alors qu’il pourrait se contenter de montrer, puisqu’il prétend pouvoir y parvenir- que les Centuries ont vu « juste », quelle qu’en soit la provenance. En fait, tout se passe comme si la validation du texte nostradamique au regard des événements validait ipso facto le lien ainsi instauré, bibliographiquement, entre Nostradamus et« ses »centuries.
De même, il serait beaucoup plus simple, pour tout le monde, que l’on ne confondît pas le tronc central de l’astrologie avec des prolongements aléatoires et souvent déformés avec le temps – et que le même Guinard, dans sa production astrologique laquelle obéit à la même problématique que sa production nostradamique- qualifie pompeusement de « structures » alors qu’il ne s’agit que d’échafaudages amovibles – ce qui ne les empêche d’ailleurs nullement, de «marcher ».
Cette affirmation unitaire : une Astrologie – et l’emploi du singulier est ici crucial- un Nostradamus. Si l’on devait psychanalyser un tel rejet de ce qui pourrait séparer, défaire, déconstruire, on songerait au syndrome d’une famille se décomposant, au traumatisme d’une unité défaillante. En s’évertuant à plaider l’unité d’un corpus, d’un savoir, l’on vient ainsi au secours d’un enfant terrorisé par une unité parentale à la dérive. A partir de là, la dimension proprement scientifique du travail devient très relative, elle ne sert plus que de prétexte à la résolution d’une problématique existentielle et les personnes ainsi affectées s’efforcent de faire partager à autrui leurs fantasmes unitaires.
Au vrai, quand on examine de plus près les dossiers ainsi présentés, il nous est bien difficile de nous extasier face à des mises en relation d’un corpus et d’une certaine réalité du terrain, quand celles-ci laissent à l’interprète une si grande latitude. Mille quatrains pour chaque fois rendre compte d’un événement et peu importe quel quatrain l’on choisira….. Quant au dédale protéiforme de l’étude des configurations astrales, il est bien évident que plus on connait l’astrologie, moins on est dupe, contrairement à l’idée, démagogique, selon laquelle ceux qui n’y connaissent rien seraient mieux placés pour en juger.
Nous pensons que Saturne doit dévorer ses enfants, légitimes ou non, autrement dit que tout ce qui émane d’une source ne doit pas se maintenir indéfiniment mais doit être évacué périodiquement. Sinon ce serait garder le bébé avec l’eau du bain.
18 L’étude négligée des épîtres centuriques en prose
Daniel Ruzo est l’auteur d’un ouvrage bien connu des chercheurs, Le Testament de Nostradamus (Ed. du Rocher, 1982) et l’on sait que Patrice Guinard s’est beaucoup intéressé au « testament » laissé par Michel de Nostredame, dont il tire toutes sortes d’enseignements et de renseignements, la succession des éditions et des découpages centuriques obéirait à un plan d’ensemble, ce qui poursuit, semble-t-il, la démarche d’un Ruzo..
Par définition, un testament se rédige de son vivant et parfois longtemps avant le décès. Nostradamus, né en 1503 eut un fils, en 1553, César, quand il atteignait la cinquantaine. On sait qu’il s’adressa à lui par un texte auquel fait écho Antoine Couillard, en 1556, dans texte satirique intitulé « Prophéties » et dont il semble concevable que le dit Couillard ait pris connaissance non pas du fait d’une quelconque parution mais du fait de quelque « fuite ». D’ailleurs, quel intérêt y aurait-il eu à reproduire largement un document qui venait d’être mis en circulation par voie d’impression ? C’est l’occasion de rappeler l’importance des manuscrits dans la communication des années 1550-1560 et au-delà parallèlement à celle des imprimés. On connaît le cas assez étrange des « emprunts » d’Antoine Crespin ainsi que notre lecture de la lettre de Jean de Chevigny à Larcher
Nous voudrions revenir ici sur un mot synonyme de testament qui est celui de mémoire, qui existe également en anglais. Dans son adresse à son très jeune fils César, datée de 1555, Michel de Nostredame, évoque l’existence ou en tout cas le projet d’un « mémoire ». Cette adresse sera reprise dans les années 1580 en tête des premières éditions imprimées des Centuries, qui ne comportaient initialement que 4 sections. (cf l’édition de Rouen de 1588, chez Raphaël du Petitval, malheureusement introuvable, mais dont la description fut transmise par Ruzo à Robert Benazra, lors du Colloque de Salon de Provence de 1985, il y a donc un bon quart de siècle) mais cette description ne fournit pas de précision sur le contenu exact de la Préface qui nous intéresse ici). Dans les années 1580, César de Nostradamus parvenait à la trentaine. Il est possible qu’il ait eu en mains un « mémoire » que son père lui aurait laissé et qu’il ait souhaité le publier, d’où la présence de la dite Préface à lui adressée par son père car nous n’excluons aucunement que César ait participé peu ou prou à ce revival nostradamique des années 1580. Son nom est cité par Jean Aimé de Chavigny à la fin de sa biographie de Nostradamus, en tête du Janus Gallicus (1594) d’une façon qui laisse entendre une certaine proximité. D’ailleurs César publiera des textes touchant, par endroits, aux « prophéties » paternelles.
Le mot « mémoire » figure expressément dans les premières lignes de la « Préface » mais il est souvent mal interprété, y compris par Pierre Brind’amour, auteur d’une édition des 4 premières Centuries, sous leur forme à 353 quatrains. (Droz, 1996). Le plus souvent la forme « délaisser mémoire » n’est nullement interprétée comme renvoyant à un quelconque mémoire et ce, en dépit du contexte :
« referer par escript, toy délaisser mémoire, après la corporelle extinction de ton progéniteur (….)vu qu’il n’est possible te laisser par escript ce que seroit par l’injure du temps oblitéré. »
Nous reproduisons ici le texte « classique » mais nous avons déjà par le passé signalé des versions quelque peu différentes et selon nous sensiblement plus fiables comme la version – certes tardive (fin XVIIe siècle) du libraire lyonnais Antoine Besson- « vu qu’il n’est loisible te laisser par trop clair escript », où l’on trouve carrément « à toy laisser un mémoire ». ce qui correspond à l’anglais de Theophilus de Garencières (1672) « a memorial », on est bien loin de la mémoire dont on se satisfait habituellement, ce qui occulte la question de l’existence d’un document. Peu nous importe ici que ces impressions soient tardives tout comme nous était indifférent que Crespin ait ou non été un faussaire : ce qui compte ici c’est le texte et le fait que si l’on compare les versions en question de la fin du XVIIe siècle à celles de la fin du siècle précédent, force est de constater que les sources des unes nous apparaissent comme moins corrompues que celles des autres. Nous ne reviendrons pas en détail ici sur l’inconsistance des premières lignes de la Préface en rapport avec la naissance « tardive » de César, dans les versions du XVIe siècle.
Mais revenons au texte et que faut-il entendre par le fait que d’une part il soit question d’ un mémoire et de l’autre de ce qu’on peut laisser par écrit. On a d’abord un développement où il semble assez évident que Nostradamus envisage de laisser une sorte de testament qui sera transmis à sa mort. Précisons que nous ne sommes pas ici en train de commenter un document authentique mais bien celui qui émerge dans les années 80 et qui est inspiré d’une version recueillie partiellement par Antoine Couillard dès 1556. Il semble d’ailleurs assez patent que les 353 quatrains qui font suite à la Préface pourraient bel et bien constituer le dit mémoire, en précisant que si une telle édition à 4 centuries parait en 1588, c’est parce qu’il n’y a pas eu d’édition à 7 ou à 10 centuries antérieurement car quel intérêt y aurait-il eu, vingt ans après, à restituer la genèse des éditions successives alors même que l’on était censé disposer d’une édition compléte à 10 centuries ou en tout cas à 640 quatrains, depuis 1557 ?. Nous pensons d’ailleurs que l’idée d’une Epître à César accompagnée de diverses notes prises lors de « vigilations nocturnes » et mises par la suite en quatrains, par d’autres, est en gros acceptable, vu que nous pensons que la première présentation des Centuries fut posthume avant qu’il y ait un revirement en faveur d’une thèse selon laquelle une partie des textes serait parue du vivant de Nostradamus, ce qui est en contradiction avec le contenu de la Préface tel que nous venons de le décrire.
On est en effet un peu perplexe par les formes négatives que l’on trouve à propos de la mise par escript. En fait, comme le note la version Besson, ce n’est pas l’impossibilité de mettre par écrit qui est posée mais celle d’une présentation par trop directe, « par trop clair ». En supprimant délibérément ou par mégarde « par trop clair », on produit une contradiction et nous rappelons que le texte « canonique » de la Préface souffre de telles suppressions. On s’est souvent plaint de l’obscurité des quatrains mais celle des textes en prose n’a guère à leur envier alors que, d’une façon générale, l’on est en droit d’ être plus exigeant à leur égard. Il semble que les quatrains ont contaminé les préfaces et aient conduit à un certain laxisme de la lecture des dites Epîtres. Une des retombées fâcheuses –du moins pour certains- de nos observations est évidemment de mettre en cause les premières éditions des deux volets, encore que l’on puisse toujours penser que les éditions du XVIIe siècle signalées viendraient d’un manuscrit d’origine.
On notera cependant que Garencières est également victime de cette suppression du « par trop clair » : « since it is not possible to leave thee in Writing », on n’y trouve pas le « too clearly ». Revenons à Brind’amour qui traduit « mémoire », dans son édition critique –il n’a visiblement pas lu Garencières ni Besson dont il ne mentionne pas les « variantes » – par « souvenir » (p. 2). On ne voit pas très bien ce que cela pourrait avoir signifié. Quant à la négation devant « possible », le chercheur québécois préfère la considérer comme un »ne explétif » (p.4) et de proposer « vu qu’il est possible de te laisser par écrit. »
En conclusion, nous dirons que certaines erreurs méthodologiques ont été commises par divers chercheurs, ce qui a conduit à une fausse représentation de l’historique du processus de formation du corpus centurique. On n’a pas pris la peine de comparer les diverses versions des Epitres, sous quelque prétexte, alors que celles-ci étaient disponibles et accessibles, mais non décrites par Chomarat ou Benazra. Michel Chomarat va même, cependant, jusqu’ à reproduire (p. 165 de sa Bibliographie Nostradamus, 1989) le frontispice de l’édition Besson. (Voir aussi sa notice sur Garencières pp. 144-145). Quant à Benazra, l’année suivante, (pp. 265-268) en dépit d’une assez longue notice, il ne signale aucunement à quel point les deux préfaces différent des éditions françaises précédentes. Pour Garencières,¨( pp 246-247), pas un mot sur les importantes différences entre le texte anglais et un original français qui ne semble pas être celui des éditions françaises connues des Centuries. Rétrospectivement, il nous parait assez évident qu’il fallait commencer par une étude rigoureuse des textes en prose. Or, nos bibliographes se sont exclusivement intéressés à la question des quatrains et de leur interprétation, au nombre de quatrains de chaque édition voire à certaines variantes d’un même quatrain mais ils ont fait totalement l’impasse sur les deux grands textes en prose qui ouvraient les 10 centuries.
Encore conviendrait-il de ne pas négliger la « troisième » Préface, celle adressée à Henri IV et placée en tête des « Sixains », en date de 1605. C’est elle qui vraisemblablement donne son nom à l’ouvrage de Garencières, « Prophecies or Prognostications ». On y trouve enfin une dimension posthume qui évidemment ne figure pas ou plus dans les autres préfaces, rédigées par Michel de Nostredame. Mais cela vaut la peine de s’y attarder : « Ayant (…) revouvert certaines Prophéties ou pronostications faites par feu Michel Nostradamus (…) par moy tenues en secret iusques à présent & vu qu’elles traitaient des affaires etc »
Un tel scénario nous semble, en effet, avoir été calqué sur celui qui présida aux toutes premières éditions : au départ, on se référait à « feu Michel de Nostredame » et l’on exhumait un texte, un « mémoire » adressé à son fils César qui aurait été conservé « en secret ». On notera d’ailleurs la bévue de Benoist Rigaud quand il publie des éditions datées de 1568 et ne prend même pas la peine, au titre, de signaler que Nostradamus vient juste de mourir, ce que l’on n’aurait pas manqué de faire si c’était vraiment paru en 1568 comme l’attestent de vraies parutions « nostradamiques » de cette année, dans certains cas des faux authentiques en quelque sorte. La mention d’une dédicace au Roi ne figure même pas. Or, encore une fois, le XVIIe siècle vient à notre secours avec la parution chez Sylvestre Moreau d’une ‘ »Nouvelle prophétie de M. Michel Nostradamus…. DEDIE AV ROY »et qui ne comporte que l’Epitre à Henri II et le second volet de quatrains » (Sylvestre Moreau, cf Benazra, pp. 153-154). Il semble donc que le second volet des Centuries serait d’abord paru séparément sous la Ligue – on n’a pas gardé l’impression d’origine mais elle est reprise, on l’a vu, au siècle suivant – ce qui se conçoit puisqu’il émanait du camp d’Henri de Navarre – puis repris, sans la mention « Au Roy » par Benoist Rigault.
Rappelons que nous avons montré que les 58 sixains en question parurent, en tant que « Prophéties », sous le nom de Noel Léon Morgard sans aucune référence à Nostradamus, en 1600 (1) ce qui laisse entendre que les sixains n’étaient pas encore parus à cette date, avec la dite Epître, ce qui alimente évidemment la thèse selon laquelle on aurait attribué à Nostradamus des textes qui n’étaient pas nécessairement de sa plume et qui n’appartenaient même pas initialement à la mouvance pseudo-nostradamique. Mais l’on peut aussi penser, dans le cas de Morgard, qu’il ait pu « pirater » un manuscrit nostradamique-comme celui conservé à la BNF, qui n’avait pas encore de circulation officielle.
Ajoutons que si ces deux épîtres à César et à Henri II furent retouchées – on a l’original de l’Epitre à Henri II en tête des Présages Merveilleux pour 1557 – il convient d’étudier d’autres épîtres de Nostradamus, moins suspectes d’avoir été retouchées –et elles ne manquent pas – lesquelles ne mentionnent jamais l’existence des Centuries, si ce n’est dans le cas, que nous avions signalé à Brind’amour – des Significations de l’Eclipse de 1559, qui sont une sorte de longue épître, dont le contenu est en partie repris de Léovitius comme l’avait déjà remarqué Torné-Chavigny, au XIXe siècle, où il est question d’une « seconde centurie » sans que l’on sache de quoi il pouvait s’agir. On ne peut exclure cependant que ce terme de « centurie » ait correspondu à un travail que menait parallèlement Nostradamus ou dont il avait en tout cas le projet. Car il n’y a pas de fumée sans feu. Le travail des faussaires reprend autant que possible certaines données authentiques ou du moins jugées telles. Le mot de « Prophéties » ne devait pas être étranger à l’activité de Nostradamus mais il ne désignait point des quatrains ou pas seulement. Rappelons que les almanachs de Nostradamus comportaient des quatrains dont il n’était d’ailleurs pas forcément l’auteur. Nous avons déjà évoqué l’existence d’une véritable bibliothèque nostradamique dont les faussaires firent grand usage, non sans parfois se fourvoyer, confondant allégrement les éditions authentiques etles contrefaçons déjà abondantes du vivant de Nostradamus. C’est la mésaventure de l’arroseur arrosé.
19 La culture de l’’imposture dans le champ nostradamique
Nostradamus est à l’honneur dans la Revue Française d’Histoire du Livre (n° 129, fin 2008) et accueille une grosse étude de Patrice Guinard, directeur du CURA, bien connu du milieu astrologique, notamment par son Manifeste et son site trilingue (Cura.free.fr), mais depuis quelques années, (re) converti aux études nostradamiennes, suivant en cela, en partie, notre propre exemple, ce qu’il faut prendre à la lettre en raison de la masse de documents que nous avons mises à sa disposition (voir en décembre 2000, sur teleprovidence, le Colloque « Frontières de l’astrologie »).
Son étude volumineuse – et qui correspond à une certaine consécration dans une revue publiée par les éditions Droz, qui font référence au niveau académique- a été parrainée par Gérard Morisse (voir son exposé sur teleprovidence, Colloque de novembre 2004).
Ceux qui connaissent le monde des nostradamistes savent que nous divergeons sur l’essentiel, à savoir la question de la paternité des Centuries et il eut été plus équitable de la part de M. Morisse de nous laisser nous exprimer sur ce point, ce qui fait que le dossier présenté est loin d’être placé dans une perspective suffisament documentée au point d’ailleurs que notre nom ne figure nulle part, pas même en note, si ce n’est indirectement dans certaines études auxquelles Guinard renvoie et qui me citent. C’est ainsi que notre post doctorat de 2007 « Le dominicain giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamiene au XVIIe siècle » n’est même pas mentionné alors que Guinard y avait fait écho sur son site, de façon d’ailleurs diffamatoire.Il ne semble d’ailleurs pas qu’il l’ait lu alors qu’il est accessible sur Internet, sur le site propheties.it. Guinard ne cite pas davantage des travaux plus anciens comme notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, formation et fortune, dont un tiers environ est consacré à Nostradamus pas plus que l’ouvrage publié aux Ed. Ramkat, en 2002 « Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus
Nous reviendrons sur deux points:
-le premier est l’absence remarquable des vignettes des pronostications et des almanachs de Nostradamus ou pseudo-nostradamiques – sans parler de la vignette de la Paraphrase de Galien. On nous répondra que ce n’était pas le sujet qui était de traiter des Centuries si ce n’est que précisément tout le probléme tient à l’interférence entre les Centuries et ces publications annuelles. Et il eut été équitable de signaler que les vignettes différent pour les mêmes années entre celles des pronosications et celles des Prophéties (Centuries).
- le second point tient à la question de la « vraisemblance » d’éditions antidatées réalisées dans les années 1580 et se présentant comme parues trente ans plus tôt environ. Sans nous citer, Guinard passe son temps à nous répondre mais en se gardant bien de développer de façon satisfaisante nos positions qui sont évoquées le plus vaguement du monde et nous donnerons ici, préalablement, quelques échantillons de ces allusions qui ne nous semblent pas dignes d’un travail universitaire quand elles ne prennent même pas la peine d’exposer ou de référer:<
« Quelques récentes études refusent d’accorder à Nostradamus la paternité des quatrains au profit de supposés clans organisées de faussaires ».
On confond le débat sur la paternité de Nostradamus sur les quatrains et le probléme d’éditions antidatées. La première question restant évidemment en partie ouverte et l’on peut parler de quatrains retouchés mais dont l’origine reste obscure.
Autre exemple:
« Cette étude invalide définitivement le hypothèses tendant à disqualifier les premières et authentiques (sic) éditions au profit d’éditions ultérieures (…) Quelques amateurs ici ou là le plus souvent débarqués dans le champ miné des études nostradamienes, mal informés, ou n’ayant pas effectué les recherches et vérifications nécessaires ont pu mollement prété l’oreille à ces tentatives »
Que l’on se mette à la place du lecteur de la dite Etude parue dans la vénérable Revue Française d’histoire du Livre. On est en plein obscurantisme, on ne sait pas de qui ni de quoi il est question, on est dans l’allusion, dans la rumeur…..
Donc voilà Patrice Guinard réfutant des thèses dont il ne dit ni où ni quand elles ont été émises, ni par qui ni si elles sont toujours soutenus par l’auteur des dites thèses. En fait, Guinard choisit de s’en prendre à un point que nous avons depuis belle lurette reconsidéré mais cela lui convient d’en rester là. On appréciera le procédé!
Guinard met en avant l’argument selon lequel on ne peut avoir mis en circulation un nombre excessif de faux documents antidatés et notamment de publications annuelles:
« Peut-on considérer l’ensemble des impressions Regnault comme des contrefaçons antidatées parues à la fin des années 80 ou au début des années 90? C’est peu vraisemblable (..) Le scénario parfois soutenu est plus qu’invraisemblable ». Ce qui est amusant, c’est que précisément l’argument des éditions Regnault que nous avions, il y a quelques années insuffisamment exploité est au coeur de notre dossier- puisque le « scénario » en question serait nôtre- mais plus du tout sous la forme relatée par P. Guinard
Pour notre part, nous ne soutenons absolument plus que ces éditions d’almanachs aient pu être antidatées et nous tenons tout à fait compte des révélations bibliographiques de la Collection Ruzo, vendue avant la soutenance de notre post-doctorat. En fait guinard se comporte comme si nous étions morts autour des années 2005 en se refusant à prendre connaissance de notre….production en quelque sorte posthume, ce qui est assez ironique compte tenu du fait que précisément les Centuries, selon nous, se sont d’abord présentées comme une oeuvre posthume.
Rappelons notre position actuelle : les faussaires, disposant de bibliothèques remplies de toutes sortes de publications portant le nom de Nostradamus ou un anagramme assez transparent, notamment chez ses adversaires, mais aussi chez ses imitateurs, ont été victimes des contrefaçons! En voulant faire du Nostradamus à partir de la bibliothèque ainsi constituée et conservée, ils ont utilisé, par mégarde, du pseudo-Nostradamus, ignorant que des générations de faussaires se sont succédé avant eux. Ce faisant, ils ont pris les faux almanachs de Nostradamus, publiés par Regnault, pour de vrais almanachs et ils en ont adopté les vignettes, ces fameuses vignettes que M. Guinard se garde bien de montrer à ses lecteurs.
Guinard fait preuve d’une certaine naiveté ce qui hypothèque une grande partie de ses conclusions et de ses datations. Il cite (p. 40) une édition datée de 1588 et qui se référe en sa page de titre à une édition de 1557 et de conclure « Cette indication ne peut être l’invention d’une édition tardive parue une trentaine d’années après l’original ». Or, précisément, tout le débat est là : puisque précisément il existe des éditions bel et bien datées de 1555, 1557, 1568 et que selon nous elles sont calquées sur des éditions datées des années 1580, cela signifie que les libraires des années 1580 avaient toutes les raisons de mentionner de fausses éditions anciennes qui leur étaient d’autant plus connues qu’ils en étaient les maitres d’oeuvre!
Si on lit entre les lignes, l’on se rend compte que le bilan de M. Guinard est bien maigre et ce en dépit de la vente Ruzo qui n’a nullement apporté de confirmation relative aux Centuries et Guinard de promettre (p. 43) des « surprises » qui n’ont pas encore eu lieu qui mettraient définitivement un terme aux « dénégations hasardeuses », à la « mise en doute par certains ». (p. 66)
On connait le maigre dossier des tenants d’éditions parues du vivant de Nostradamus et notamment le fait que Nostradamus ait pu de son vivant publier des « prophéties », ce qu’a bien montré Gérard Morisse, au vu d’archives de librairie mentionnant ce titre, d’ailleurs assez peu vendu. Mais le probléme, c’est que nous ignorons tout de ce qui parut sous ce titre d’une part et que d’autre part, la logique des faussaires ne consiste-t-elle pas – on a vu qu’ils sont profusément -même un peu trop-documentés- à fabriquer du faux avec du vrai.?
C’est pourquoi, ironie du sort, le principal mérite qui restera des effots de M. Guinard, consistera à avoir montré comment les faussaires procédérent, leur volonté d’éviter au maximum les anachronismes, en recyclant des éléments d »époque, réalisant ainsi un travail « scientifique » de reconstitution d’un passé, comme de nos jours, l’on produit des films de fiction en costume.
. Il est évident que le passé ne nous est connu que par rapport à ce qui nous en est connu et que nous projetons ce qui nous est parvenu du passé sur le dit passé. D’ailleurs, ne dit-on pas que l’on ne décrypte les quatrains qu’après coup ? C’est le futur qui nous éclairerait sur ce que « Nostradamus » a « prophétisé » .
Dans son article consacré à Pierre Brind’amour, sur le site du CURA, Patrice Guinard s’en prend à la question des sources, qui était un sujet d’intérêt du chercheur québécois. Il insiste sur le fait que d’une façon générale les sources ne sont pas reprises exactement telles quelles dans la production nostradamique et que même quand elles le sont, elles peuvent revêtir un sens bien différent, hors du contexte de départ. Autrement dit, celui qui emprunte, qui reçoit serait plus à l’image d’un conquérant que d’un disciple, il se sert de ce bon lui semble, à sa guise.92. Ce serait une façon de dédouaner Nostradamus de certaines accusations de plagiat qui vont mal avec l’image, la légende dorée, d’un prophéte inspiré.
Certes, il y a bien Chantal Liaroutzos qui nous apprend que plusieurs quatrains sont repris de la Guide des Chemins de France. Mais peut-être est-ce là, à en croire P. Guinard, quelque code mystérieux qui aura permis de citer le nom de Varennes? Pour notre part, profitant des observations de Chantal Liaroutzos, parues en 1986 dans la revue Réforme Humanisme Renaissance, nous avons montré d’ailleurs que certains noms de lieux avaient été modifiés, comme Chastres en Chartres (VIII, 86). Mais ne pourrait-on nous rétorquer que cette « coquille » a valeur prophétique en vue d’annoncer le couronnement d’Henri IV dans la cathédrale de Chartres et non de Reims ? Il est vrai que l’enjeu est de taille puisque si jamais ce changement avait bien eu lieu à l’approche du dit couronnement, les éditions 1568 comportant « Chartres » ne pourraient être antérieures à 1593.La seule solution dans ce cas est la fuite en avant : Nostradamus était prophète et donc il savait ce qui allait se passer, plus de 25 ans à l’avance.
Le grand reproche que nous ferons, pour notre part, à Brind’amour est paradoxal, c’est celui d’avoir recherché ses sources en amont et non pas en aval. Il est vrai qu’en général, une source se place chronologiquement avant et non après. Mais précisément, il convient d’aborder cette problématique sans idées préconçues, c’est-à-dire en gardant un doute sur la date du document étudié, lequel peut avoir été antidaté. Avouons que le cauchemar du chercheur dans le domaine du prophétique est double : selon qu’il rencontre des « collègues » qui considèrent que tel auteur pouvait savoir ce qui allait se passer bien après sa mort ou d’autres qui voient partout des contrefaçons, des faux aux dates suspectes. P. Guinard correspond plutôt au premier type, et nous-mêmes plutôt au second.
Il reste que Brind’amour n’aura à aucun moment envisagé que certains quatrains – notamment post eventum – s’origineraient non pas avant mais après la date de certaines éditions dument datées. Pour lui, comme pour bien d’autres bibliographes du champ nostradamique, ce qui est daté – comme c’est marqué – d’après vient après. Si une édition de 1588 ressemble à une édition 1557, c’est forcément que celle de 1588 aura « copié » sur celle de 1557. Si l’on objecte que l’on voit mal pourquoi on aurait publié sous la Ligue des états antérieurs à l’édition de 1568, comme telle édition à 4 centuries ou telle autre à six ou sept centuries, alors que l’on avait déjà à sa disposition un volume de 10 centuries, chez Benoist Rigaud, l’on est tout disposé à expliquer que des quatrains se sont perdus en route ou ont été confisqués, séquestrés pendant vingt ans puisqu’aucune édition des Centuries ne nous a été conservée, dument datée en tout cas, entre 1568 et 1588.
A propos de « sources », d’aucuns n’hésitent pas à souligner que ce n’est pas par hasard que l’on appelé certaines éditions des Centuries du nom de « prophéties » car Nostradamus a bien publié des ouvrages sous ce titre. Mais n’oubliait-on pas alors que le mot « prophéties » pouvait désigner non pas des textes obscurs et sans rapport avec une année précise mais tout au contraire, des prédictions –éventuellement sur plusieurs années comme le sont les « vaticinations perpétuelles » évoquées dans la préface à César. ? De là à conclure que ce que Nostradamus a publié sous ce titre coïncide forcément à ce qui paraitra par la suite sous ce même titre, il n’y a qu’un pas assez vite franchi, apparemment. De même, ne sait-on pas que Nostradamus a publié des quatrains dans ses almanachs, n’est-ce pas assez pour que l’on puisse, sans état d’âme, lui attribuer d’autres quatrains paraissant sous son nom dans le cadre de Centuries ? On trouve dans une bibliographie des années 1580 mention de quatrains à l’article Nostradamus, c’est forcément des Centuries qu’il s’agit et si en plus le mot « centurie » est employé dans telle autre « bibliothèque », le doute n’est plus permis. Il est impératif, entend-on, que Nostradamus soit à la source de tout ce qui est paru en matière d’éditions centuriques. Même la répartition des quatrains dans telle ou telle édition aurait été programmée par le dit Nostradamus.
Il y a dans de tels comportements une certaine méconnaissance du travail des faussaires quand ceux-ci sont payés pour œuvrer avec art. Il est assez évident qu’ils se documentent, qu’ils font du vrai avec du faux, qu’ils récupèrent éventuellement du papier d’une autre époque, que s’ils attribuent tel ouvrage à tel libraire, ils ne procèdent pas n’importe comment mais dans les règles à telle enseigne que de modernes bibliographes n’y voient que du feu, à plus de trois siècles de distance. Ici, la « source » n’est plus mise en doute quand elle vient conforter telle position et on n’est même pas très regardant à son endroit.. Mais parfois, ces faussaires commettent des bévues, se trompent de modèle ou bien prennent des libertés. Il est vrai qu’ils ne songent pas à nous modernes chercheurs, ayant réuni des collections impressionnantes de documents permettant des recoupements mais ne songeaient qu’à satisfaire un public certes exigeant mais pas omniscient. Qui, sous la Ligue, irait ergoter sur le fait que des éditions Antoine du Rosne datées de 1557 ne correspondaient pas tout à fait – mais suffisamment pour authentifier la source – de par leurs vignettes à celles que le dit Antoine du Rosne utilisait, ce que montre obligeamment le récent catalogue de nostradamica de la librairie Thomas Scheler 2010 à la planche de la page 32 ou encore que les vignettes des éditions de 1555 et de 1557 différaient de celles des pronostications authentiques publiées par Michel de Nostredame ? Qui irait, alors, montrer que l’Epître à Henri II a été reprise, largement retouchée, d’une précédente épître de Nostradamus en tête des Présages Merveilleux de 1557, dont déjà l’authenticité se discute ? Mais là encore, certains se satisfont d’approximations pour certifier la source. Et ceux là sont souvent les mêmes que ceux qui contestaient le droit d’un Brind’amour à situer telle ou telle source des quatrains centuriques.
On aurait dit à Pierre Brind’amour que l’état le plus ancien de la préface à César était à chercher dans la traduction anglaise de Théophile de Garencières, de 1672, il aurait- nous l’avons bien connu – gentiment haussé les épaules. Quelle idée d’aller chercher si loin et si tard- une « source » de ce texte en prose daté de 1555 ? Et si l’on avait ajouté que le texte français ayant servi de modèle à Garencières n’était attesté que vers 1690, chez le libraire Antoine Besson, cela n’aurait vraisemblablement pas accru notre crédit. Aurions-nous dit que le texte était nettement meilleur et cohérent, aurait-il soutenu que c’était du fait du zèle de certains « éditeurs » par trop zélés du XVIIe siècle. ? En tout cas Brind’amour ne signalera même pas ces variantes dans son édition critique parue chez Droz en 1996 !
Ah, nous confiait l’autre jour un « nostradamologue », que ne peut-on dater les documents au moyen de quelque produit chimique ?, avouant ainsi son impuissance à s’orienter dans un tel dédale.
En conclusion, nous prônons une nouvelle méthodologie concernant des corpus comportant un grand nombre de pièces, d’éditions. Il importe de ranger celles-ci selon un odore logique sans tenir compte du moins, dans un premier temps, des dates indiquées. On s’apercevrait ainsi que les éditions Antoine du Rosne se placent – selon leur stade d’achèvement- postérieurement aux éditions parisiennes de 1588. en cela qu’elles n’indiquent même pas l’addition survenue après le 53e quatrain de la Ive centurie, ce qui est en revanche signalé en 1588. Par quel extraordinaire concours de circonstance une édition de 1588 serait-elle dans un état d’ancienneté plus marqué qu’une édition de 1557 où la centurie IV est d’un seul tenant alors même qu’une telle présentation n’est pas attestée antérieurement ? Peut-on sérieusement affirmer que l’édition Antoine du Rosne 1557 (que ce soit l’exemplaire de Budapest ou celui d’Utrecht) serait la « source » des éditions Pierre Ménier, Veuve Nicolas Roffet ou Charles Roger, apparues trente ans plus tard ? Comment se fait-il que les éditions se référant à 1561 annoncent une addition à la « dernière centurie », ce qui correspond à la VIIe, ajoutée à la sixième se terminant par un avertissement conclusif en latin alors même que la dite VIIe centurie est déjà « attestée » en 1557 ? Selon nous, après une période de mise en chantier assez brouillonne donnant lieu à la contrefaçon à 4 centuries, et à diverses additions subséquentes, le mot d’ordre aura été de mettre en place une édition finale à sept centuries et datée de 1555, comme l’atteste le colophon de l’édition St Jaure d’Anvers 1555. Cette édition de 1555 à sept centuries n’a pas été retrouvée mais elle était certainement très semblable à l’édition Antoine du Rosne 1557 qui en serait, en quelque sorte, la réédition. Ironie de l’Histoire, l’édition à 4 centuries Macé Bonhomme n’avait pas été totalement supprimée : on en a retrouvé quelques exemplaires sans compter celle de Raphael du Petit Val datée de 1588, pièce à conviction. Quand dans les années 1980, Robert Benazra retrouva l’exemplaire de la bibliothèque d’Albi et localisa celui de la bibliothèque de Vienne- puis un peu plus tard quand il éditera l’édition 1557 Budapest, il ne lui viendra pas à l’esprit que la seconde contredisait jusqu’à l’existence de la première alors même qu’en 1588, l’on avait pris la peine –avant le revirement stratégique- d’indiquer l’ajout au-delà du 53e quatrain. .Cette découverte des éditions 1555 aurait du, il y a près de 30 ans maintenant, sonné le glas de l’édition 1557. Or, tout au contraire, il semblait tout à fait normal que l’on soit passé d’une édition à 4 centuries à une édition à sept centuries et l’on n’avait vaiment aucunement à se soucier de « sources » se situant trente ans en aval ! Attitude d’autant plus étonnante chez l’auteur du Répertoire Chronologique Nostradamique (1990) qui était parfaitement au courant de l’existence des éditions successives, vu que sa recension remonte jusqu’à la fin du XXe siècle. Elle ne saurait donc être mise sur le compte de l’ignorance des documents. Il y a là, aurait dit Gaston Bachelard, un sérieux ‘obstacle épistémologique » qui a fait perdre des décennies à la recherche nostradamologique. Mais, au vrai, si la méthodologie que nous préconisons avait été en usage pour d’autres corpus littéraires, pourquoi n’aurait-elle pas été aussi appliquée dans le nostradamique ? Pourquoi dans ce cas des historiens du XVIe siècle auraient-ils adopté, encore jusqu’à nos jours, des exposés bibliographiques obsolètes et décalés concernant Nostradamus et l’œuvre à lui attribuée ? That is the question.
On ne saurait trop insister, en effet, sur le fait qu’aucune biographie de Nostradamus n’est envisageable sans avoir résolu les questions bibliographiques. La dernière biographie de Nostradamus, chez Payot, en 2011, Un médecin des âmes à la Renaissance de Denis Crouzet, , dans une collection dirigée par Sophie Bajard, ne prend aucune précaution méthodologique. Il est clair que dans le cas de Nostradamus, une biographie valable doit traiter ou en tout cas signaler les questionnements quant à l’authenticité et à la datation d’une œuvre à l’évidence collective. Le fait d’attribuer d’office à Nostradamus la paternité de tout le corpus nostradamique, tel qu’il se présente dans des éditions à dix centuries, en approchant le dit corpus comme étant d’un seul tenant avec une unité d’inspiration, fait de cet ouvrage un travail scientifiquement obsolète avant même sa sortie. Rien ne nous est évidemment épargné quant à la date exacte de parution de la première édition à 353 quatrains chez Macé Bonhomme. (p. 21) d’autant que la biographie se dote d’une chronologie, où se côtoient faits historiques et dates de publication des Centuries, 1555, p. 422, 1557, p. 424 et cela se termine par 1568, p. 432 avec une énorme bévue : « Lyon, Chez Antoine du Rosne (sic), 1568 Il eut été bien plus prudent de se référer au corpus centurique sans l’inscrire impérieusement dans le cadre d’une biographie à moins de le présenter dans une partie consacrée à la fortune posthume du personnage, étant entendu qu’il importait de travailler avec les textes en vers et en prose des almanachs et pronostications (notamment celui rendu par B. Chevignard9394), en laissant prudemment de côté les épîtres intégrées dans le dit corpus.
20 Les titres des éditions et la question des 39 articles ajoutés à la « dernière « centurie
La vigilance est de rigueur, dans le domaine nostradamologique, probablement plus qu’ailleurs, en ce qui concerne la terminologie. Un même mot peut recouvrir des acceptions diverses, un même titre peut concerner des contenus bien différents, il en est ainsi pour les mots « centuries » ou ‘prophéties » dont d’aucuns voudraient qu’ils renvoient nécessairement à des quatrains nostradamiques… Bien des erreurs d’appréciation ont été dues à une certaine précipitation à conclure que tel terme renvoie nécessairement à tel type d’ouvrage.
Le chercheur dans le champ nostradamique ne peut pas ne pas avoir été intrigué, de temps à autre, par le décalage entre le titre d’un volume et son contenu, tel qu’au premier abord en tout cas il lui apparaît. On pourrait parler de découplage entre ces deux niveaux. Un des cas les plus flagrants concerne les éditions parisiennes parues sous la Ligue, dans les années 1588-1589 et dont le titre a déjà fait couler pas mal d’encre.
Ces éditions comportent en effet un intitulé fort alambiqué à propos duquel on ne peut que s’interroger.
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont encores est imprimées, lesquels sont en ceste présente édition. Reveues & corrigées par l’Autheur, pour l’an mil cinq cens soixante & un, de trente-neuf articles en la dernière centurie »
D’entrée de jeu, pourquoi un tel luxe de détails à l’attention du lecteur des Centuries ? Pourquoi ce besoin, en 1588 de renvoyer à une édition vieille de près de 30 ans, pourquoi indiquer une telle addition de 39 « articles » ? On observe là en tout cas un souci bibliographique assez remarquable pour une littérature somme toute populaire. Et l’on sait que les contrefaçons étaient réalisées avec le plus grand souci du détail « vrai », ce qu’atteste sans le vouloir nécessairement Gérard Morisse, dans son Nostradamus, cet humaniste, (Budapest, 2004) et à sa suite un Patrice Guinard.
Mais quand on ouvre le livre, y trouve-t-on ce qui correspond à un tel titre ? Où sont donc les 39 articles, c’est-à-dire des quatrains ? Où commence l’addition pour 1561 ? On trouve bien une addition, non datée, à la Ive centurie, après le 53e quatrain mais il reste alors 47 quatrains pour finir la centurie « Prophéties de M. Nostradamus adioustées outre les précédentes impressions » et plus loin « Prophéties de M. Nostradamus adioustées nouvellement. Centurie septième » . Quid des 300 prophéties, c’est-à-dire des quatrains, dont on nous dit, au titre général, qu’elles ont été ajoutées à un premier lot ?
On notera le recours à des synonymes : le mot quatrain n’est même pas employé, il est remplacé par « prophétie », par «article », chaque centurie comporte un certain nombre de « prophéties » si bien que l’on a affaire ainsi à des centaines de « prophéties ». Un autre terme sera également employé par la suite, à la place de quatrain, celui de ‘présages ». La chose semble en tout cas entendu, on attribue à Nostradamus non pas une prophétie, mais, comme l’indique le pluriel, déjà au titre, des Prophéties, terme sous lequel il semble bien que l’on désigne des quatrains, dont on sait qu’il en figurait dans ses almanachs, ceux là mêmes que l’on désigne, dans les éditions compilatoires du XVIIe siècle, sous le nom de « présages ».
Tout se passe comme si le titre de ces éditions ligueuses avait été emprunté à d’autres éditions dont le contenu était plus conforme au titre. Peut-on identifier de telles éditions correspondant au dit titre mais qui pourraient nous être parvenus sous un autre titre ? Prenons justement le cas de l’édition Antoine du Rosne, 1557 de la Bibliothèque Nationale de Budapest, dont Gérard Morisse fournit le fac simile, dont la brochure citée plus haut est un commentaire. Cette édition porte le titre : Les prophéties de M. Michel Nostradamus dont il en y a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées. Arrêtons-nous sur une anomalie du titre « dont il en y a » que l’on retrouve dans l’édition de Rouen de 1589, chez Raphaël du Petit Val, mais sous un titre différent » Les Grandes et merveilleuses prédictions » et cette fois on donne »prédiction » pour quatrain. En effet, les éditions parisiennes de la Ligue ne comportent pas cette inversion et ont bien «dont il y en a ». Voilà donc bien quatre façons de désigner un quatrain : prophétie, présage, prédiction et très probablement article. Le mot « prophétie » ne nous apparait plus ainsi que comme un terme interchangeable, sans que l’on comprenne bien les raisons de telles circonvolutions. Bientôt, d’ailleurs, c’est le mot même de «centurie » qui parfois désignera un quatrain comme si le mot quatrain n’était pas assez explicite ou était réservé à quelque usage, dans un autre domaine.!
Mais revenons à l’exemplaire de Budapest dont Gérard Morisse nous dit (p. 23) qu’il comporte 639 quatrains. En relisant ce nombre il y a peu, nous n’avons pu en effet, nous empêcher de faire le rapprochement avec les « 39 articles » des éditions ligueuses et des prétendues éditions de 1561 auxquelles leur titre est censé renvoyer. Récemment, le catalogue « Nostradamus en son siècle » de la librairie Thomas Scheler (2010) a fourni un document remarquable (p. 49) : Prophéties (..) reveues & additionnées (…) de trente huict articles à la dernière centurie », Veuve N. Buffet, 1561. A première vue, nous aurions là le type d’édition auquel il aurait été fait allusion en 1588, en tout point conforme, par son contenu, à celui des éditions ligueuses, avec le même type de vignette représentant un personnage dans son étude, si ce n’est qu’au titre, ce ne sont pas 39 mais 38 articles qui sont annoncés. Michel Scognamillo, qui introduit le dit catalogue Scheler a raison de situer cette pièces sous la Ligue mais ce faisant il laisse entendre que l’on pouvait donc tout à fait produire à cette époque des éditions antidatées. Il était en effet de bonne guerre, tant qu’à faire, de produire conjointement, la copie et son prétendu original.
Il nous semble, en tout cas, que le titre de ces éditions ligueuses, toutes parisiennes, et dont les libraires avaient accès à des archives de leurs prédécesseurs – on restait sur Paris- décrive assez bien le contenu de l’exemplaire de Budapest dont nous pensons par ailleurs qu’il s’agit également d’une contrefaçon datant de la Ligue. D’abord, en ce qui concerne les 300 « prophéties » ajoutées, l’on peut penser que cela concerne les centuries IV à VI. On nous objectera, un peu naïvement, que l’on ne peut prendre les 100 quatrains de la IV puisqu’ils étaient déjà parus précédemment. Mais on notera que dans l’édition Budapest, il n’y a justement pas la marque d’addition après le 53e quatrain de la IV. Le lecteur se trouve donc face à deux lots de 300 quatrains. Mais en plus, il y a une septième centurie à 40 quatrains, ce qui n’est pas sans faire songer non plus aux « 39 articles à la dernière centurie », à un quatrain près (et à deux si l’on se réfère au titre, mais non au contenu, de l’édition 1561 Buffet (cf Catalogue Scheler) ; c’est qu’en effet, le contenu des éditions ligueuses est sensiblement différent de celui de l’exemplaire de Budapest : il indique l’addition dans la Ive centurie, il comporte des centuries VI et VII bien moins fournies et qui d’ailleurs récupèrent certains quatrains de l’almanach de Nostradamus pour la dite année 1561, conservé à la Bibliothèque Sainte Geneviève mais aussi dans les Présages et le Recueil de présages prosaïques, édité partiellement par Bernard Chevignard (Présages de Nostradamus, Seuil, 1999) Autrement dit, l’édition 1557 semble paradoxalement bien plus achevée que celles qui seraient parues trente ans plus tard ! Bien plus, cette édition 1557 serait plus accomplie que l’édition 1561 alors qu’en son titre elle n’annonce aucune addition d’articles » à la dernière Centurie, qui serait logiquement la sixième, concluant, par un avertissement latin, un ensemble de 600 « prophéties ».
En d’autres termes, l’édition 1557 Antoine du Rosne Budapest- l’exemplaire d’Utrecht comporte 42 quatrains à la VII- serait plus récente par son contenu que les éditions ligueuses mais plus ancienne par son titre. En quelque sorte, on aurait affaire à une double contrefaçon : d’une part en ce qu’elle se présente comme parue du vivant de Nostradamus et d’autre part parce qu’elle comporte l’année 1557 alors qu’ont précédé des contrefaçons datées de 1561. Que s’est-il passé ? Un revirement dans la politique éditoriale des faussaires qui ont préféré mettre fin à des rajouts successifs en produisant une édition « compacte » et en la plaçant probablement en 1555, comme l’indique l’édition 1590 d’Anvers (Saint Jaure) en sa dernière page.
Mais revenons au décompte de Gérard Morisse quant à ces 639 quatrains. D’où vient-il ? Si l’on a 600 quatrains disposés en six centuries plus une centurie VII à 40 quatrains, ne devrait-on pas en arriver plutôt à 640 quatrains ? C’est que la fin de la Vie centurie comporte certaines particularités. Il y a manque le quatrain 100 ! Dans l’exemplaire d’Utrecht, on trouve un quatrain latin, l’avertissement qu’étudie d’ailleurs d’assez près Gérard Morisse. D’aucuns y ont vu un 100e quatrain mais il est bien plus probable qu’il clôtura initialement un ensemble de six centuries pleines (c’est-à-dire complétées par rapport à une première édition à 353 quatrains, on y reviendra). Or, ce quatrain 100, il va réapparaitre en 1594 dans le Janus Gallicus de Chavigny et de là dans les éditions troyennes et autres du XVIIe siècle.(Fille de l’aure etc , allusion à Catherine de Médicis, fille de Laurent)‘. On nous dira que tout cela n’explique pas pourquoi l’on annonce une addition de 39 articles. Selon nous, il doit s’agir d’une erreur de lecture. Voyant le nombre recensé quelque pat de 639 articles, quelqu’un aura probablement pensé que cela devait se décomposer logiquement en 600 + 39, sans aller voir le contenu, comme de toute façon, il y avait un décalage entre le titre et le contenu, une telle éventualité nous semble somme toute envisageable.. Quant à la mention de 38 articles qui figure dans la contrefaçon de 1561, il doit s’agir de quelque initiative, de surenchère, visant à laisser entendre qu’il s’agissait d’une édition plus ancienne.
Mais pourquoi des éditions parisiennes de la Ligue purent-elles adopter des titres correspondant à un état plus tardif de leur contenu ? Nous proposerons l’explication suivante : les titres ont été rajoutés par la suite à partir d’éditions aux contenus plus « complets ». Voilà donc encore une autre catégorie de faux : ayant des stocks à écouler, les libraires parisiens auraient changé le titre de leurs parutions pour « fourguer » ce qu’ils avaient sur les bras. Ils optèrent non pas cependant pour la forme finale type Budapest (reprenant on l’a vu des éléments du titre de l’édition de Rouen de 1589) qui n’était probablement pas encore en circulation mais pour une forme intermédiaire supposant une addition pour 1561. On ignore donc quel fut le titre d’origine des éditions ligueuses, portaient-elles même le titre de « Prophéties » ? On peut en douter et penser qu’elles s’intitulaient, initialement, comme les éditions de Rouen et d’Anvers, Grandes et merveilleuses Prédictions.
Rappelons enfin que ces contrefaçons furent, de surcroit, elles-mêmes victimes des contrefaçons du temps de Nostradamus – qu’évoque Gérard Morisse, avec notamment les almanachs publiés par Barbe Regnault. Et il se passa la chose suivante : ne sachant pas faire la différence, les faussaires prirent modèle non pas sur les vignettes des pronostications de Nostradamus mais sur celles des almanachs de Barbe Regnault., que l’on retrouve donc tant en 1588, à Paris (mais pas à Rouen ni à Anvers) que pour les contrefaçons de 1555 (Macé Bonhomme) et 1557 (Antoine du Rosne). On nous objectera que l’on a deux éditions (1557 et 1558) de la Paraphrase de Galien, traduite par Nostradamus. Il est probable que cette édition ne date pas de ces années là. Il s’agit au mieux d’une traduction manuscrite de Nostradamus- à l’instar de celle d’Horapollon- qui sera produite en même temps que les fausses éditions Antoine du Rosne des centuries. A ce propos, le catalogue Scheler (p. 32) nous fournit la page de titre d’une pronostication d’un autre astrologue (Jean Sconners), parue bel et bien chez Antoine du Rosne en 1558, avec une vignette assez différente de celles des fausses éditions Antoine du Rosne, mais dont on aura pu tout à fait s’inspirer. On peut suivre ainsi les faussaires à la trace, compulsant une bibliothèque et des archives assez considérables mais devenant victimes d’une telle richesse au point de ne pas pouvoir distinguer, eux-mêmes, le vrai du faux. C’est ce qu’on appelle l’arroseur arrosé.
On aura compris que nous avons là trois niveaux bien distincts : celui des titres, des contenus et bien entendu des dates. Croire que les trois coïncident appartient à un autre temps, désormais obsolète, de la recherche nostradamologique dont les bibliographies parues en 1989-1990 furent le chant du cygne.
21 Fil d’Ariane pour le dédale de la chronologie centurique
(A propos d’une étude de la littérature nostramique du XXe siècle)
Si l’on peut parler de ‘notre « thèse », elle pourrait se résumer en une formule : les centuries nostradamiques sont le résultat d’un travail collectif, étalé dans le temps qui ne trouva sa forme « officielle » et « définitive » qu’au milieu du XVIIe siècle, à la suite donc d’un siècle de tribulations. Un processus en vérité assez complexe qui n’était nullement programmé au départ,- et certainement pas par Michel de Nostredame – ce qui rend l’usage de certains termes quelque peu artificiel. C’est ainsi que certains usages pour décrire certaines éditions des Centuries nous semble poser problème par ce qu’il présuppose et induit notamment quant à l’emploi de l’épithète ‘complet « et de son contraire « incomplet », généralement au féminin, associé à « centurie »
Anatole Le Pelletier fournit une ‘Dissertation bibliographique sur les éditions les plus connues des Centuries de Nostradamus » in‘Les Oracles de Michel Nostradamus » (1867) : « La première édition des Centuries de Nostradamus et par conséquent la plus ancienne est de 1555 (…) ce volume contient 1° la Préface de Michel Nostradamus à ses prophéties 2° l’Epitre à César datée du Ier mars 1555 et 3° les trois premières centuries complètes et cinquante trois quatrains de la quatrième. Sur la dernière page du volume on lit « ce présent livre a été achevé d’imprimer le IIIIe jour de may MDLV » (p. 38). Bizarrement, Le Pelletier présente comme deux textes distincts (la Préface et l’Epître), ce qui n’en fait qu’un en réalité. On peut donc se demander s’il a bien eu entre les mains comme il le prétend le volume. Il semble que le niveau de connaissance des éditions des Centuries ait singulièrement baissé par la suite. Jusque dans les années trente du siècle passé, il apparaît que la plupart des nostradamologues se contenteront de rapporter les mentions figurant sur certaines pages de titre du XVIIe siècle et se référant à diverses éditions. A part cela, ils avaient les dates de la Préface à César et de l’Epitre à Henri II, telles qu’elles étaient reprises jusque dans les éditions les plus récentes, respectivement 1555 et 1558. Ainsi en 1650, dans l’édition de Leyde – mais aussi en 1668 à Amsterdam – trouve –t-on « Revues & corrigées suyvant les éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 ». Mais dans les années 1690, les titres renoncent aux dates en contrepartie de toute une série de lieux d’éditions, dans cet ordre « Paris, Rouen, Lyon, Avignon, Troyes, Hollande » En tout état de cause, au début du XXe siècle, on se contente de reprendre de telles informations sans accès aux éditions du XVIe siècle.
Si l’on prend le cas de l’ouvrage (conservé à la Bibliotheca Astrologica) de Jean Blanchard et Ch. Reynaud-Plense, conservateurs des Musées de l’Empéri. Salon de Provence, La vie et l’œuvre de Michel Nostradamus, 1933 Salon, on note que les auteurs ne mentionnent pas (p. 14) d’édition à 4 centuries mais seulement à 7, dont la septième incomplète (à 42 quatrains) puis encore 3 autres centuries. Ils mentionnent des Présages mais sans préciser que ceux-ci sont issus des almanachs de Nostradamus, ce qui les fait englober les dits Présages parmi les « additions » suspectes. « « comme provenant de ses papiers », trouvés à sa mort, et en tout cas très inférieures aux prophéties publiées par Nostradamus lui –même », En fait, ces auteurs se contentent de décrire quelque édition du XVIIe siècle et d’en tirer quelque enseignement rétrospectif, ignorant de toute évidence l’existence d’une édition à 4 centuries qui, il est vrai, ne saurait être « devinée » à partir d’éditions tardives.
Or, en cette même année 1933, dans la collection « Les grands Illuminés », Jacques Boulenger . Nostradamus Paris, Excelsior, 1933, place à 1554 la date de rédaction des Centuries.(p.99)/ En ce qui concerne les sources, Boulenger (pp. 103 et seq) associe les premiers quatrains de la première Centurie à Jamblique. On nous donne le nom du libraire lyonnais, Macé Bonhomme (p. 109) et visiblement l’auteur a eu sous les yeux l’édition datée de 1555 « les trois premières centuries seulement (..) plus cinquante-trois quatrains de la quatrième » avec la date de l’achevé d’impression. Il semble donc mieux informé que les conservateurs de Salon. Il est fait référence au système de Piobb (p. 162) En appendice, nous trouvons une liste assez bien fournie des éditions d’œuvres de Nostradamus ou à lui attribuées (pp. 183 et seq) Il déclare que les « bibliothèques publiques françaises n’en possèdent guère » . Certaines de ses descriptions, souvent prises de Brunet, comme il le reconnaît, n’en sont pas moins assez justes : il cite celle d’Antoine du Rosne, 1557, en précisant qu’elle est à 7 centuries, mais avec seulement 40 quatrains à la VIIe, ce qui correspond à la description de l’exemplaire de Budapest.
En 1939, P. Edouard ; publie le Texte original et complet des prophéties de Michel Nostradamus. De 1600 à l’an 2000. Deuxième édition, Paris, Les Belles Editions. On y peut lire : « Les Prophéties de Michel Nostradamus parurent pour la première fois en 1555, chez Macé Bonhomme à Lyon. Cette édition contenait les trois premières centuries complètes et quelques quatrains de la quatrième. En 1557, parurent chez Antoine du Rosne à Lyon également les six premières Centuries et quelques quatrains de la septiéme.En 1560, parurent chez Barbe Regnault, à Paris, les sept premières centuries complètes. C’est probablement en 1568 que parurent chez Rigaud à Lyon les Centuries telles que nous les connaissons actuellement » (Avertissement, p. 5). Etrangement P. Edouard suppose qu’en 1560, on aura « complété ». En fait, il suppose que l’édition Antoine du Rosne 1557 ne comporte que « quelques quatrains » et que c’est l’édition 1560 qui arrive à l’état « complet » de la VIIe, dans les 40 quatrains. En cela, P. Edouard adopte une certaine logique, si ce n’est qu’il ne soupçonne pas que l’édition 1557 est plus tardive dans sa présentation que celle de 1560 ! De même avait-il décrit l’édition Macé Bonhomme sans la connaitre, en ne donnant pas le nombre de quatrains de la Ive centurie, information pourtant fournie en 1933, six ans plus tôt, par Boulenger.
Dans les années Quarante, Jean de Kerdeland, dans son De Nostradamus à Cagliostro, Paris, Ed. Self, 1945 précise bien (p. 58) le nombre de quatrains de l’édition Macé Bonhomme 1555 ; « Le 4 mai 1555, le libraire lyonnais Macé Bonhomme pouvait mettre en vente (. …) les Prophéties de Maistre Michel Nostradamus. Retenons cette date : 4 mai 1555 presque aussi importante que celle de la première représentation du Cid, elle marque le début d’une blague immense et géniale dont le succès, après quatre siècles écoulés, est fort loin d’être épuisé (…) trois cent cinquante-trois quatrains (…) Tels quels les quatrains prophétiques du Salonais remportèrent un succès immense »
Dans la même décennie, Maurice Alliaume, Magnus Rex de Nostradamus et son drapeau, Sur les oracles des Centuries, chez l’auteur, 1948, Chartres, connait l’existence de l’édition Macé Bonhomme mais croit qu’elle est à 7 centuries ( chapitre VI « Sur les premières éditions des Centuries et sur leur dédicaces » (pp. 77 et seq) : « Les sept premières portent la date du Ier mars 1555 : c’est le jour où elles ont été remises à l’imprimeur pour la première édition chez Macé Bonhomme à Lyon. » Il poursuit « Les trois dernières ont été éditées un peu plus tard et portent la date du 27 juin 1558 », cela de toute évidence sur la base de la date de l’Epître à Henri II. Quant à la date du Ier mars 1555, elle n’est en réalité que celle de la préface à César. Il ne cite pas le 4 mai 1555 qui ne figure que dans les exemplaires Macé Bonhomme.
C est en 1948 qu’Edgar Leroy termine le manuscrit qui ne paraitra qu’en 1972, à Bergerac, sous le titre « Nostradamus. Ses origines, sa vie, son œuvre ». Il signale (P. 153) : « Les spécialistes signalent une édition qui serait la première intitulée Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, à Lyon, chez Macé Bonhomme (dont) cinquante-trois quatrains d’une quatrième inachevée » et de mentionner le 4 mai 1555 pour l’achevé d’imprimer. Il ajoute « Il n’existe plus, semble-t-il d’exemplaire de ces Prophéties imprimées chez Macé Bonhomme » Et de se référer à l’édition d’Amsterdam 1668 qui mentionne 1556 en son titre (cf supra). Il n’est pas question de l’édition Macé Bonhomme 1557 mais de celle de Pierre Rigaud 1566 (utilisée par Anatole Le Pelletier)
A la décennie suivante, Georges Madeleine. dans La prochaine guerre mondiale vue par Nostradamus. Ed Provencia, Toulon, 1952, écrit (p. 23) « En 1555, parait la première édition de ses prophéties, édition réduite puisqu’elle ne comprend que trois centuries et demie (353 quatrains) ; elle n’en connait pas moins un succès inouï (…) les éditions se succèdent à la cadence d’une au moins par an : elles s’augmentent successivement » On relève la surprise de l’auteur qui ne peut s’empêcher de parler d’une « édition réduite ». pour désigner ce qui se présente comme une première édition.
En 1959, Jean-Charles Pichon signe « Nostradamus et le secret des temps » (Ed. Les productions de Paris) en s’appuyant sur F. Parker.(p. 150) : « De 1555 à 1566, année de la mort de Nostradamus, on reléve de nombreuses éditions des Centuries, deux certaines en 1557 et 1558, deux probables (je ne les ai pas eues en main) en 1560 et 1562. Chacune est enrichie de plusieurs poèmes de telle sorte que des 358 (sic) quatrains de 1555 on en arrive par additions successives au chiffre de 942 ; dans l’édition de 1566 (la septième centurie demeurant inachevée » Et de se référer au jugement d’Eugène F. Parker : « Cet ensemble de circonstances fait planer un doute sérieux sur la valeur prophétique des Centuries V, VI et VII (..) Quant aux dernières Centuries, il vaut mieux n’en point parler »
Il faudra, on le sait, attendre, les années quatre vingt du siècle dernier (1984, Les Amis de Michel Nostradamus, Roanne (42)) pour que les chercheurs aient à nouveau accès à l’édition « originale » de Macé Bonhomme 1555. Mais il ne semble pas que l’on ait partagé ou prolongé le questionnement de Jean-Charles Pichon concernant le caractère additionnel des centuries au-delà de l’état de la dite édition 1555.
Que nous dit Robert Benazra dans sa présentation du fac simile (p. 26) ? « La première édition (…) comprenait quatre centuries dont la Ive incomplète (sic) à 53 quatrains. (…) L’édition suivante (…) publiée chez Antoine du Rosne en 1557 ajoutait 286 quatrains (…) Enfin, l’édition de Benoît Rigaud à Lyon en 1568 ajoutait 303 quatrains (soit sept centuries dont la VIe incomplète (sic) à 99 quatrains et la VIIe incomplète (resic) à 40 quatrains »
Dans la plupart des cas signalés – et notre recension ne se prétend pas exhaustive mais se limite à nos collections actuelles, quant aux livres de la Bibliotheca Astrologica- on nous parle d’une édition « incomplète », au regard des éditions suivantes qui vont « compléter » la Ive centurie, ce qui la rend « incomplète » rétrospectivement, bien que Benazra désigne également la VIIe centurie comme étant « incomplète » et au bout du compte, ces éditions à 7 centuries seraient elles-mêmes « incomplètes » par rapport à un ensemble à dix centuries. Dans le Répertoire Chronologique Nostradamique, Ed. La Grande conjonction-Trédaniel (pp. 10-11) R. Benazra use d’une autre formule : « Le livre contient les trois premières centuries renfermant chacune 100 strophes de 4 vers de 10 syllabes (quatrains) et les 53 premiers quatrains de la Ive centurie »
Si dans le cas de la Vie centurie, l’on peut en effet juger qu’elle est incomplète (encore que l’avertissement latin entre la VI e et la VIIe centurie ait pu servir de 100e quatrain pour certains nostradamologues comme Patrice Guinard95)par l’absence du 100e quatrain, il semble assez problématique d’employer une telle expression dans les autres cas, y compris d’ailleurs dans celui des éditions ligueuses de 1588-1589. Voyons comment R. Benazra mais aussi Chomarat décrivent les dites éditions.(RCN (pp. 118 et seq) : signalons en passant l’usage de « complet » à propos de l’édition 1568 : « l’édition complète de Benoist Rigaud » ou encore à propos de l’édition de Rouen, Raphaël du Petit Val, de 1588, à 4 centuries : « il manque les quatrains 44, 45, 46, 47 de la centurie IV qui se termine par le quatrain 53. » . Cet exemplaire n’étant pas disponible – bien que probablement existant quelque part, ce qui est un cas assez exceptionnel- on ne sait pas si par «quatrain 53’ Benazra désigne ce qui correspond au quatrain 53 ou si la centurie se termine par un quatrain ainsi numéroté96. Nous supposons probable que cette centurie comportait des quatrains numérotés jusqu’à 49. Signalons aussi le cas de la centurie VII dans l’édition 1590 d’Anvers de François de Saint Jaure : (RCN p. 127) : « VII 1-35. Il manque les quatrains 3, 4, 8 ; 20 et 22 de la centurie VII de sorte que le quatrain numéroté 35 correspond ainsi au n°40 »
Il est assez amusant de comparer les descriptions parallèles des éditions 1555-1557 d’une part et de l’autre les deux éditions 1588 et 1590. Dans les deux cas, on a des choses qui manquent, qui ont été « ajoutées », qui sont « complètes « ou « complétées ». A priori, dans le second cas, l’affirmation d’un manque semble plus légitime que dans le second, puisque 30 ans séparent ces deux groupes. En fait, selon nous, une telle formulation est fâcheuse en tout état de cause. Pour le premier groupe, l’état de la Ive centurie pourrait fort bien correspondre à un premier stade qui n’était pas fatalement voué à subir une addition. Comment savoir si une telle addition dans le cours de la Ive centurie était pertinente ? Les éditions ligueuses d’ailleurs signalent bien qu’il y a eu addition, ce qui n’est pas le cas, étrangement, de l’édition prétendument plus ancienne de 30 ans qui ne comporte pas une telle mention d’ajout. Que la marque d’un ajout puisse disparaitre en cours de route peut se concevoir mais l’inverse beaucoup moins, quand cette mention se présente aussi tardivement. Pour le second groupe, est-on certain que la centurie IV à 53 quatrains n’a pas d’abord été à 49 quatrains seulement ou que la centurie VII à 40 ou 42 quatrains n’en a pas d’abord compté seulement 35 ?
D’ailleurs, R. Benazra se demande si les éditions parisiennes de 1588 ne reflètent pas un état intermédiaire (p. 121) : « On peut légitimement se demander s’il n’a pas existé après la publication du premier recueil de 1555 (s’arrêtant justement au 53e quatrain de la Ive Centurie) et avant l’édition de 1557 (s’arrêtant au 40e quatrain de la VIIe centurie) une autre édition comprenant justement cette seconde partie’(s’arrêtant au 71e quatrain de la Vie centurie). Nous soumettons au lecteur cette hypothèse »
Qui de la Bibliographie Nostradamus de Michel Chomarat et Jean-Paul Laroche (Valentin Koerner,Baden-Baden, 1989). Reprenons à 1555 : (p. 16) : « Centuries I, II, III complètes (…) et 53 quatrains pour la Ive »/ Peut être l’adjectif se réfère t-il au principe selon lequel une centurie doit comporter 100 unités ? Pour 1557 (p. 23) : « Les Centuries I à V sont complètes ; la VI ne comprend que 99 quatrains et la VII 40 quatrains » . Cas délicat, on la vue que celui de la Vie centurie dont nos auteurs ont quelque difficulté à qualifier d’incomplète car elle l’est encore dans l’édition « complète » de 1568 à moins que cela ne soit celle des années 1590 quand les choses sont « rétablies »
Passons aux éditions ligueuses, vues par M. Chomarat : (pp. 78 et seq) : « Centuries I à V complètes, 71 quatrains pour la Vie, les quatrains 72 à 83 de la VIIe Centurie et 6 quatrains de la VIIIe Centurie » (notice 145). Pour l’édition 1590Anvers St Jaure : « les centuries I à V complètes, 99 quatrains pour la Vie centurie et 35 quatrains pour la VIIe centurie »
On rappellera que la notion d’addition est récurrente dans les titres des éditions centuriques à la seule exception de l’édition Macé Bonhomme 1555. Déjà dans l’édition Antoine du Rosne, « dont il en y a trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », Prophéties étant ici synonymes de quatrains. » ou dans les éditions Benoist Rigaud 1568 « Centuries VIII, IX X qui n’ont encores iamais esté imprimées ». En revanche, ni Chomarat, ni Benazra ne signalent dans leur description des éditions ligueuses l’indication d’une addition à la Ive centurie, après le quatrain IV 53, mention inexistante, on l’a dit, dans les éditions Antoine du Rosne.
On éprouve un double malaise chez les bibliographes, d’abord à propos des éditions des années 1550 puis à propos de celles des années 1580. Il est vrai qu’entre 1568 et 1588, on ne connait pas d’édition des Centuries, si bien que ces deux périodes se jouxtent en quelque sorte. Qu’est-ce donc que cette édition à 4 centuries dont on se passerait bien mais qui aurait néanmoins refait son apparition à la lecture attentive des éditions parisiennes de la ligue insistant sur une addition effectuée au-delà du 53e quatrain de la IV ? Ne serait-ce pas, comme le pressentait Pichon, alimenter un doute sur la valeur des centuries « additionnelles », selon leur propre aveu, au titre ? On nous objectera que justement en 1588, l’on n’avait pas craint d’indiquer une telle addition. Mais on n’a pas non plus craint de le faire au titre des éditions à 7 et à 10 centuries. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que toutes ces indications d’addition vont disparaitre. On se contente alors de signaler l’existence d’éditions antérieures du XVIe siècle mais sans préciser leur contenu. Tout au plus indique –t-on ce qui ne mange pas de pain « revues et corrigées ». En fait, il n’en est pas tout à fait ainsi : des mentions d’addition subsistent mais pour d’autres endroits : (cf Edition d’Amsterdam, 1668) : » ;
-« autres quatrains tirez de 12 soubz la Centurie septiesme »
- « autres quatrains cy devant imprimez soubz la Centurie Huictiesme »
- « Adiousté depuis l’impression de 1568 »(à la fin de la centurie X)
Il s’agit de quatrains que les libraires troyens du début du XVIIe siècle, comme Pierre Du Ruau, ont cru bon de récupérer, de recueillir, dans les éditions parisiennes ligueuses des années 1588-1589 et dans le Janus Gallicus de Jean Aimé de Chavigny (1594).
Mais la grande question qui subsiste est celle de l’arrivée des Centuries VIII-X. Autant l’on peut suivre les différentes étapes de la formation de ce qu’on appelle généralement le « premier volet » des Centuries (I à VII), autant ne connaissons-nous les trois « dernières » centuries que sous la forme de 300 quatrains, et cette fois sans aucune marque interne témoignant d’un processus progressif et étalé dans le temps. Cependant, certaines sources nous sont connues comme la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, grâce au travail de Chantal Liaroutzos (RHR 1986) qui ne concerne que le second volet. La façon dont certains noms de lieux furent retouchés nous a permis notamment de dater le quatrain VIII, 86 comportant Chartres au lieu de l’original Chastres, le couronnement d’Henri IV ayant eu lieu exceptionnellement dans la cathédrale de cette ville.
Il nous semble assez clair que le passage de sept à dix centuries est tardif et correspond au plus tôt à l’avénement d’Henri de Navarre à la couronne de France. (1593-1594), date de la sortie du Janus Gallicus qui comporte nombre de quatrains issus du second volet. Précédemment, bien qu’on n’en ait aucune trace imprimée, les trois centuries en question durent circuler, annonçant notamment la victoire des Vendôme (Bourbon) sur les Lorrains (Guises). En fait, le Janus Gallicus a fort bien pu emprunter séparément à ces deux ensembles centuriques avant même qu’ils ne soient réunis sous un seul volume. Etant donné que les éditions troyennes, datées de 1605, comportant les sixains et l’épître à Henri IV, datée de 1605, se référent explicitement à 1568 – Prophéties « reveues & corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568 » et « qui n’avaient esté premièrement imprimées & sont en la mesme édition de 1568 » (cf RCN, année 1605, p. 156), l’on peut penser que les diverses éditions Benoist Rigaud 1568 furent réalisées à Troyes, au début du XVIIe siècle, dans la seconde moitié du règne d’Henri le Grand, à partir des deux volets initialement séparés, certes ainsi réunis mais néanmoins maintenus comme deux entités distinctes. Les éditions portant le nom de Benoist Rigaud ne sont pas datées.
On comprend dès lors ce qu’il peut y avoir d’assez dérisoire à parler de « centuries » incomplètes, de quatrains « manquants » au regard d’une forme canonique bien établie certes in fine mais relativement tardive. Selon nous, le projet centurique devait s’en tenir à 3 centuries et nous n’aborderons pas ici ce qu’il doit réellement à Michel de Nostredame, sur le fonds comme sur la forme. Une quatrième centurie – portant ce nom alors même qu’elle ne comportait que quelques dizaines de « prophéties »- a du constituer un premier appendice. Par la suite, on aura jugé bon de « compléter » ces « premières » centuries, avec des éléments qui ne devaient probablement plus grand-chose à Nostradamus ni de près ni de loin, cette fois. Par la suite, multiples furent les tentatives pour préserver une impression d’unité du « corpus », en gommant les marques d’addition. En fait, il semble qu’il y ait eu, à un certain stade, revirement dans la politique éditoriale. On note ainsi que les éditions de Rouen et d’Anvers (1589-1590) ne s’embarquent pas, à la différence des « Prophéties » parisiennes dans des indications d’additions, elles les nient par omission. Elles ne s’intitulent d’ailleurs pas « Prophéties » mais « Grandes et merveilleuses Prédictions ». A contrario, les éditions parisiennes et troyennes- sous le titre de « Prophéties » – ne cessent de signaler des additions, des augmentations. Et les contrefaçons antidatées de 1555, 1557, 1568 bien que se disant toutes lyonnaises obéissent à un tel modèle, se présentant comme constitué d’ajouts successifs et en quelque sorte s’y complaisants. C’est qu’entre temps, la thèse d’une révélation progressive des Centuries se sera imposée notamment dans le Janus Gallicus, à la fin du « Brief Discours sur la vie de M. Michel Nostradamus ». Il n’y a donc pas de problème à faire ressortir un flux de centuries, se libérant progressivement de la « prison » où on les tenait. D’où l’existence de ces éditions hybrides datées de 1557 et de 1568 qui se présentent, en leur titre, comme le résultat d’additions successives et répétées alors même qu’elles sont marquées, dans le texte, par des tentatives de supprimer diverses marques d’additions, notamment à la Ive Centurie. En revanche, les éditions de Rouen 1589 et d’Anvers 1590 – qui ne paraissent pas sous le label « Prophéties » – ne signalent nullement en leurs titres la moindre addition.
En fait, le caractère posthume de l’édition Benoist Rigaud 1568 doit être remis en question. L’exemplaire de l’édition Antoine du Rosne de la Bibliothèque de l’Université d’Utrecht- inconnu de R. Benazra comme de M. Chomarat, lors de la publication de leurs bibliographies – en témoigne. Son titre diffère sur un point important de l’exemplaire hongrois. On y trouve en effet au dessous de la formule « Dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », une autre formule « Adioustées de nouveau par ledict Autheur » ; absente de l’exemplaire de la Bibliothèque Nationale de Budapest. Or, une telle expression est typique des éditions à 10 centuries. Nous sommes en fait en présence de la page de titre d’un ensemble de dix centuries. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la page de titre de ce que l’on appelle le premier volet est en fait celle des deux volets et en récapitule le contenu globale. Par comparaison, l’exemplaire de Budapest correspond à la page de titre du seul premier volet et ne comporte donc pas mention d’une addition supplémentaire qui est celle, précisément, du second volet, qui n’est en fait qu’une annexe, un appendice. On nous objectera que l’exemplaire d’Utrecht ne comporte pas le dit second volet. De fait, celui-ci n’aura pas été conservé mais la seule existence de la page de titre est une preuve suffisamment évidente.
Dès lors, il est clair que l’exemplaire d’Utrecht est sensiblement plus tardif que celui de Budapest. On peut assez bien reconstituer ce qui s’est passé. Quand on a voulu opter pour un ensemble de 10 centuries paru du vivant de Nostradamus et comportant l’Epitre à Henri II de 1558, l’on a songé à l’édition Antoine du Rosne à 7 centuries et à la possibilité de lui adjoindre un supplément. Pour cela, on a remanié la page de titre sur le modèle des pseudo éditions 1568 Benoist Rigaud, et l’on a adjoint les centuries VIII, IX et X. ainsi que la dite Epître au Roi. C’était plus astucieux que de choisir encore un autre libraire. Autant que ce fût le même et probablement le second volet fut-il daté de 1558. Etrangement, la Paraphrase de Galien, également censée parue chez Antoine du Rosne, connaitra deux datations : 1557 et 1558. On peut là véritablement parler du caractère « incomplet » de l’exemplaire d’Utrecht. Cette absence du second volet aura contribué à compliquer encore plus la pseudo-chronologie des Centuries faisant ainsi cohabiter la posture «du vivant de Nostradamus » et la posture, plus ancienne, « posthume », ce qui fera dire à Bruno Petey Girard, dans son édition Garnier Flammarion (2003), que le second volet ne saurait être attribué à Nostradamus. Un tel doute n’aurait probablement pas existé si l’exemplaire Utrecht II avait été conservé. Les éditions Benoist Rigaud 1568 ne seraient donc pas en fait posthumes mais seulement la réédition de l’édition Antoine du Rosne Utrecht (à 42 quatrains au lieu de 40 à la VII). D’ailleurs, aucun caractère posthume ne figure sur les éditions 1568, comme ce sera le cas de divers textes nostradamiques parus à partir de 1566 ; et notamment en 1568 (cf le RCN, op. cit., p. 90 ) ce qui est somme toute assez paradoxal si l’on devait admettre que ces éditions sont autre chose qu’une réédition d’une prétendue édition du vivant de Nostradamus.
Reste la question délicate des vignettes des deux exemplaires Budapest et Utrecht. Celle d’Utrecht est de meilleure facture et semblable à celle de la fausse Pronostication de Nostradamus pour 1562 (Bibl. de Munich) qui orne le RCN de R. Benazra mais aussi de l’édition Macé Bonhomme 1555, différant de celle des vraies pronostications de Nostradamus, comme celles de 1557 et 1558.(Bibl de La Haye)97. Cela nous conduit à penser que l’édition Macé Bonhomme 1555 pourrait être plus tardive, quant à sa fabrication, que l’exemplaire Antoine du Rosne Budapest qui pourrait être la contrefaçon la plus ancienne de toutes celles connues, d’où le caractère assez unique de sa vignette. Cela peut sembler paradoxal, au premier abord. N’aurait-il pas été « logique » de mettre d’abord sur le marché du faux une édition à 4 centuries ? Mais l’on sait qu’une édition à 4 centuries – comme indiqué en son titre, ce qui n’est pas le cas de l’édition Macé Bonhomme- est attestée à Rouen en 1588 – on en a, en tout cas, la photo de la page de titre sinon le contenu intégral (cf RCN, p. X). Comme on l’a dit plus haut, il y eut des revirements. Progressivement, l’idée d’éditions successives et augmentées allait faire son chemin. C’est alors probablement que l’idée de produire une édition à 4 centuries, sur le modèle de l’édition rouennaise de 1588, non sans ajouter quelques quatrains à la Ive centurie, mais cette fois antidatée à 1555, date de la préface à César, sera appliquée, non sans un luxe de détails (achevé d’imprimer, extrait des registres de la sénéchaussée de Lyon, respect du style du libraire, de ses lettrines) que l’on ne retrouve dans aucune autre édition « du vivant de Nostradamus ».
Il reste que notre mode de chronologisation des éditions n’a pas encore été largement accepté par les chercheurs en ce domaine. D’aucuns ont argué du fait que les éditions que nous disons contrefaites n’ont pas leur exact équivalent dans les éditions de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle dont elles seraient issues. Certes, stricto sensu, ils ont raison puisque l’on n’a pas l’original exact des dites éditions. L’édition Anvers St Jaure 1590 est certes très semblable à celle d’Antoine du Rosne Budapest (avec absence du quatrain VI 100 et même de l’avertissement latin) mais elle n’a que 35 quatrains au lieu de 40 à la centurie VII. En revanche, le premier volet de l’édition de Cahors, Jaques Rousseau de la même année 1590 (conservée à Rodez) semble correspondre. Quant à l’édition Macé Bonhomme 1555, elle diffère certes pour quelques quatrains de celle de Raphael du Petit Val, 1588 . On sait par les éditions parisiennes de la Ligue qu’il exista bel et bien une édition à 4 centuries et à 53 quatrains – ce qui n’est pas encore le cas de l’édition rouennaise – du fait qu’il y est indiqué qu’il y a eu « addition » au-delà du dit 53e quatrain. L’édition rouennaise actuellement hors circuit revêt un intérêt considérable. Elle correspondrait en effet au tout premier état des Centuries. Rappelons en le titre qui ne sera pas repris pour l’édition Macé Bonhomme 1555, ce qui disqualifie cette dernière : Les Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quarte (sic) centuries esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde ». On notera la formule «en ce temps », qui se réfère au temps de la publication, c’est-à-dire 1588 comme si l’on avait voulu ainsi montrer que ce que Nostradamus écrivait en 1555, comme l’indiquait la date de la préface à César, valait pour l’époque, ce qui justifiait qu’on exhumât ce texte.
Si la chronologie des Centuries est un dédale, que les chercheurs se méfient donc du Minotaure qu’il s’agisse de celui des contrefaçons ou de celui des disparitions.
22 La postdatation, un nouveau genre de contrefaçons nostradamiques
On connait nos positions à propos d’éditions antidatées. On sait également à quel point les diverses biographies de Nostradamus relèvent à nos yeux de l’imposture. On sait aussi que du vivant de Nostradamus circulaient déjà des fausses éditions sous son nom et que des personnages se présentèrent comme étant ses successeurs avec la bénédiction des libraires, désireux de prolonger le filon. On sait que certains documents ont été interprétés de façon biaisée pour leur faire dire ce qu’ils ne disaient pas, tant le manque de preuves de la circulation des centuries était flagrante jusque dans les années 1580, parfois en acceptant délibérément d’être bernés par des procédés assez grossiers..Il n’est décidément pas aisé de sortir indemne de l’engagement dans le champ nostradamique et la moindre faille expose à des errements.
Mais d’autres stratagèmes peuvent être encore signalés qui compliquent encore un peu plus le travail de bibliographes quelque peu dépassés et débordés. Cela ressort du décalage entre le titre et le contenu de certaines éditions centuriques. On sait ainsi que le titre des éditions ligueuses ne correspond pas à leur contenu bien que cela n’ait pas été suffisamment souligné et signalé par les bibliographes. Nous avons proposé d’expliquer un tel décalage par la volonté d’épuiser un stock de livres devenus obsolètes du fait de plus récents développements en empruntant à des tirages plus récents, c’est-à-dire plus tardifs. Autrement dit, les pages de titres des éditions ligueuses ne correspondraient pas à la première occurrence des dites éditions et cela vaut également pour les vignettes qui s’y trouvent dans nombre de cas (Pierre Mesnier, Veuve Nicolas Roffet, 1588/1589). On ne sait d’ailleurs pas, dès lors, si le contenu des dites éditions fut produit par les dits libraires ou par d’autres. Soit c’est bien une Veuve Roffet qui jugea bon de présenter son ancienne production sous un autre titre plus alléchant, soit c’est un autre libraire qui empruntera l’identité de cette veuve, soit encore, cette libraire récupéra-t-elle d’anciens stocks d’un autre libraire pour les écouler sous son propre nom.
Rappelons pour ceux qui ne seraient pas au courant que le titre mentionnant 39 articles ajoutés à la dernière centurie ne correspond absolument pas au contenu des éditions concernées. En revanche, il correspond au contenu d’autres éditions ou du moins s’en rapproche, à savoir les éditions comportant une septième centurie à 40 quatrains, comme l’édition Antoine du Rosne Budapest 1557 et plus généralement comme le premier volet des éditions lyonnaises Benoist Rigaud 1568, que nous considérons d’ailleurs, les une comme les autres, comme antidatées..Mais inversement, ces éditions comportant une septième centurie, soit 40 quatrains ajoutés à la sixième et dernière centurie (comportant l’avertissement latin dont le caractère semble bien conclusif) n’ont pas, quant à elle, un titre relatif à leur contenu. Ces éditions sont bien « lissées » : pas de marque d’addition au milieu de la Ive Centurie, ni entre la sixième et la septième centurie, dont l’avertissement latin a disparu dans le cas de l’édition Du Rosne Budapest mais pas dans l’édition du Rosne Utrecht ni dans celle de Benoist Rigaud 1568 – les deux éditions étant liées mais nous y reviendrons. Les éditions Rigaud ressemblent assez bien de fait au titre des éditions ligueuses parisiennes (mais répétons –le non pas à leur contenu). Certes, elles n’ont que 40 quatrains à la VII, mais comme la Vie centurie n’a que 99 quatrains au lieu de 100, on peut penser que cela puisse faire sens, quelque part si l’on admet qu’un des quatrains de la VII aurait pu venir jouer le rôle du 100e quatrain, ce qui aurait mieux correspondu au titre du premier volet, impliquant une addition de 300 quatrains et non pas de 299. Il est donc possible que ce titre à 39 « articles » ait correspondu à une édition disparue. Rappelons aussi que le 100e quatrain de la VI réapparaitra au XVIIe siècle dans les éditions troyennes et déjà dans le Janus Gallicus (1594).
Signalons aussi que cette édition avec une addition de 39 articles à la « dernière centurie » est en principe plus ancienne que l’édition Antoine du Rosne qui a déjà en 1557 ses 40 quatrains alors que cette addition n’est censée n’avoir eu lieu qu’en 1560/1561. Tout cela pourrait sembler aberrant si l’on se place du vivant de Nostradamus mais est parfaitement compréhensible au regard des manipulations de faussaires jonglant allégrement avec le temps, comme des démiurges et décidant de changer de stratégie d’une fois sur l’autre. Autrement dit, cette référence à 1560 aura été supprimée du titre des éditions du Rosne et cette option 1560 carrément éliminée si ce n’est qu’elle s’est indument perpétuée par les changements de titre des éditions ligueuses, dont le contenu est véritablement archaïque avec l’indication d’une addition à la IV e centurie, correspondant au contenu des éditions à 4 centuries Macé Bonhomme 1555, édition par ailleurs également antidatée, édition augmentée – et donc plus tardive- par rapport à l’édition de Rouen Raphael du Petit Val de 1588 qui n’atteint pas encore 53 quatrains à la Ive Centurie..
Nous avons également montré que l’édition Utrecht était sensiblement plus tardive que l’édition Budapest comme il ressort de sa page de titre, conforme à celle des éditions Benoist Rigaud 1568, si ce n’est que ces dernières n’ont pas la fameuse vignette d’un personnage dans son étude.. Nous en concluons que le second volet avait du paraitre dans le même cadre Antoine du Rosne, probablement pour 1558- et toujours bien entendu en situation antidatée. Or, la vignette de l’exemplaire Utrecht est très proche de l’édition Macé Bonhomme 1555 comme d’ailleurs de l’édition Veuve Roffet 1588, pour ce qui est de la page de titre mais aussi des faux almanachs Regnault des années 1560. Selon nous, ce sont ces faux almanachs, non perçus comme tels par les faussaires, qui auront introduit par erreur une vignette ne correspondant pas à celles que Nostradamus utilisait dans ses Pronostications annuelles des années 1557-1558.
Quid de l’édition Antoine du Rosne Budapest dont la vignette diffère sensiblement de tout le lot de vignettes sus mentionnées ? Rappelons qu’Antoine du Rosne avait bien publié, en 1558, une Pronostication de Sconners, avec une vignette qui ne correspond exactement ni à Budapest ni à Utrecht mais dont l’édition Budapest a pu s’inspirer puisqu’il s’agissait de fabriquer du faux Du Rosne en se servant d’une bibliothèque assez bien fournie et parfois, on l’a vue, trop bien fournie puisque incluant des faux ayant servi par mégarde de modèles.
Ce qui fait problème, c’est que l’édition Macé Bonhomme 1555 a la même vignette que les éditions Utrecht, Regnault et Roffet. Mais alors comment vient s’intercaler la vignette Rosne Budapest, la « bonne » filiation étant Macé Bonhomme- Rosne-Utrecht au regard des vignettes ? La réponse, selon nous, c’est que la vignette Rosne-Budapest a du être utilisée sur des éditions disparues : d’une part sur les éditions parisiennes ligueuses d’origine avant qu’elles n’adoptent de nouvelles pages de titre et de l’autre sur des éditions 1555 différentes de celle de Macé Bonhomme Albi, éventuellement à 49 quatrains à la IV, sur le modèle de l’édition Rouen Petit Val 1588, provisoirement disparue ( mais bien décrite par Chomarat et Benazra, dans leurs biographies à la suite des données fournies confidentiellement par Ruzo, lors du Colloque Nostradamus de Salon de Provence, 1985) mais attestée par sa page de titre conservée, voire sur une première édition à 7 centuries 1555, référée par François de Saint Jaure, à la fin de son édition d’Anvers, dont l’édition Budapest 1557 ne serait qu’une réédition, tout comme Benoist Rigaud 1568 ne serait qu’une réédition d’Antoine du Rosne Utrecht 1558 disparue mais attestée au titre du premier volet Utrecht..
Résumons-nous : en ce qui concerne les deux éditions Antoine du Rosne 1557. La vignette Budapest a pu servir vers 1588 pour une première édition à 4 centuries 1555, pas forcément à 53 quatrains à la IV. Ensuite, elle a servi pour une nouvelle édition à 7 centuries 1555 mais en fait correspondant à un état tardif, probablement autour de 1590, sur le modèle du premier volet Jaques Rousseau Cahors, et qui a déjà intégré la phase des éditions parisiennes ligueuses ainsi que celle de l’édition de Rouen Petit Val 1589 et qu’elle apparait alors que l’on a déjà renoncé au scénario d’une addition 1561. Rappelons que les faussaires ne reproduisaient pas loin de là, tous les états des éditions centuriques qui se sont succédé entre 1588 et 1590. Un dernier point : il nous semble que les premières éditions ligueuses sont antérieures à 1588. En effet, si elles étaient de 1588-1589 ; elles seraient parues en même temps que l’édition de Rouen 1589, que nous avons en notre possession grâce à Mario Gregorio. La dite édition 1588 Rouen est beaucoup plus achevée et toilettée que les éditions parisiennes. C’est une chance que nous aient été conservées au moins trois éditions parisiennes en chantier.(se référant à trois libraires différents) mais nous pensons que ce sont là les tout premiers états des Centuries, seulement précédés de Rouen 1588 à 4 centuries (IV à 49 quatrains). Il est possible qu’ils aient eu au titre la vignette qui servira pour l’édition antidatée disparue à 7 centuries 1555, dont on connait la réédition 1557 Antoine du Rosne Budapest qui porte la dite vignette. Les éditions parisiennes ligueuses auraient été postdatées lors du remplacement de pages de titre du type 1561. Elles seraient donc plutôt de 1586/1587. Mais inversement, des éditions parisiennes dont on a les pages de titre, on n’a le contenu que par l’édition Budapest.
Le seul obstacle à notre reconstitution est le cas de l’édition Rouen Petit Val 1588, actuellement non localisée mais qui faisait partie de la Collection Ruzo ne serait-ce que sous forme de photocopie (comme les Présages Merveilleux pour 1557, que nous possédons, grâce à Mme Ruzo) ou de microfilm. En effet, que signifie la parution en 1588, à Rouen, d’une édition à 4 centuries, dont 49 à la Ive, juste avant l’édition Rouen 1589 dont la fin est tronquée (cela s’arrête à VI, 96) ? Le laps de temps entre les deux éditions chez le même libraire nous semble bien trop court ! Entre ces deux états, que de chemin parcouru, en effet. On serait passé d’une édition embryonnaire s’arrêtant à 49 quatrains à la IV à une édition très vraisemblablement à 7 centuries mais probablement pas 40 à la VII, vu que l’édition jumelle – rappelons que cette série n’est pas intitulée Prophéties mais Grandes et merveilleuses prédictions- parue à Anvers, l’année suivante en 1590, n’a que 35 quatrains à la VII. Entre ces deux états, il y a du y avoir 1 une édition avec une Ive centurie à 53 quatrains à la IV, puis 2 une édition avec une Ive centurie complète mais avec marque d’addition après le 53e quatrain type Paris mais avec une centurie VI incomplète, puis 3 une édition à six centuries complètes (non conservée), terminée par un avertissement latin, puis 4 une édition avec indication pour 1561 d’une addition de 39 articles (titre attesté par les éditions parisiennes de la Ligue et par une contrefaçon Buffet, datée 1561, cf. catalogue Scheler 2010) et l’on en arrive enfin à l’édition Rouen 1589 et Anvers 1590. Si l’on n’a pas de raison de considérer l’édition Rouen 1589 comme antidatée puisqu’elle est probablement très proche d’Anvers 1590. Selon nous, il s’agit de la reprise d’une édition sensiblement plus ancienne puisque antérieure à l’état des éditions parisiennes qui se présentent comme la complétant (non pas au titre, mais au sein de la centurie IV). On aurait eu comme pour les éditions parisiennes, un procédé de postdatation mais qu’est ce souvent qu’une réédition sinon une édition post datée ? Nous pensons que le libraire rouennais avait cru bien faire en récupérant une édition à 4 centuries de ce type, qu’il l’aura publiée comme étant récente (1588) avant de s’apercevoir qu’elle était complètement dépassée et publiant dès l’année suivante une édition beaucoup plus d’actualité.9899.
23 Méthodes de datation des documents antidatés
Si, initialement, nous n’avions dans notre collimateur que les éditions centuriques nous avons progressivement acquis la conviction de la nécessité d’étudier de près d’autres pièces se référant plus ou moins ponctuellement au corpus centurique, quatrains ou épîtres et servant ingénieusement de « garant », un faux en cautionnant un autre. Il nous est apparu, en effet, que non seulement on avait pu fabriquer des éditions antidatées mais qu’en plus, on avait également produit des contrefaçons d’autres ouvrages attribués à Nostradamus pour accréditer les dites éditions. Il importe cependant de distinguer les faux d’époque et les faux antidatés. Si, en effet, l’on sait que dès le début des années 1560 parurent des almanachs avec des quatrains différents de ceux que publiait Nostradamus pour l’année concernée, souvent repris d’almanachs antérieurs, il y a aussi le cas de faux d’époque qui ont donné lieu à des contrefaçons tardives de la part de faussaires qui n’étaient pas avertis de l’existence de tels procédés déjà du temps de Nostradamus, ils ont ainsi pris de mauvais modèles pour exemple, ce qui ressort notamment au niveau iconographique. Au fond, il aurait presque été préférable d’inventer des présentations totalement différentes car ces contrefaçons d’époque s’inspiraient, mais d’assez loin quand même, de la production réellement attribuable à Nostradamus. C’est ce qui s’est passé avec les fausses éditions 1568 qui évitent systématiquement de recourir aux vignettes campant un personnage à sa table de travail encore que l’on puisse retrouver dans certains cas des motifs extraits de telles vignettes. (cf. reprint Ed. Chomarat, Lyon, 2000, p. 25).
Ce qui nous intéresse le plus actuellement est la datation des éditions antidatées et plus largement des documents contrefaits. Si Patrice Guinard a publié, dans la Revue Française d’Histoire du Livre, un « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555 – 1615) n° 129 2008), en évitant d’aborder la question de la véritable chronologie des éditions centuriques pour s’en tenir à une chronologie « factuelle » fondée presque systématiquement sur les dates figurant sur les pages de titre ou celles correspondant aux activités des libraires ainsi désignés sur les dites pages, suivant en cela l’exemple de Chomarat et de Benazra, à l’exception du cas des éditions Pierre Rigaud 1566 qui sont désormais datées du XVIIIe siècle et qu’encore au XIXe siècle, un Torné Chavigny et un Anatole Lepeltier croyaient authentiques. Cet exemple aurait du rendre prudent mais apparemment on en a fait une exception laissant entendre justement que pour les « autres » éditions centuriques datées des années 1550 ou 1560, on pouvait se fier aux données indiquées et ce même dans le cas de faux.
Il nous apparait que dans le cas de Crespin, le document daté de 1572 que nous avions mis en avant est fort probablement un faux datant du début du règne d’Henri IV. Selon nous tout ouvrage qui comporte des quatrains appartenant tant au premier qu’au second volet ne saurait être antérieur au temps des Bourbons. Dans le cas de l’épître de Chevigny à Larcher (1570) qui comprend un élément du seul premier volet, l’on doit se situer dans le cours des années 1580, et correspondre au moment où l’on publie les œuvres de Dorat. Enfin, reste le cas d’Antoine Couillard. A-t-il vraiment existé une parution en 1555 d’une quelconque préface à César, telle que reprise par le « Seigneur du Pavillon les Lorriz » dont on sait qu’en 1560 il publia des Contreditz aux fausses et abusives prophéties de Nostradamus. Tout comme Crespin, Couillard était ainsi associé au nom de Nostradamus, figurant dans une sorte de bibliothèque nostradamique dans laquelle puisèrent les faussaires de la fin du XVIe siècle. Quand cette préface est apparue en tête des Prophéties ligueuses, dans un premier temps, on aura voulu lui donner un certificat d’authenticité en faisant jouer le dit Couillard avant de trouver une meilleure solution qui consistait carrément à produire une fausse édition datée de 1555. On ne saurait ignorer l’apport du XVIIe siècle à la mise en place du canon centurique à partir de la récupération de documents du siècle précédent. D’une part, il y eut le travail des libraires troyens, notamment de Pierre Du Ruau100, qui collecta énormément de pièces dispersées et de l’autre la traduction de 1672 de Théophilus de Garencières qui restitue un état premier de la Préface centurique à César, bien moins corrompu que les versions qui nous sont parvenues par ailleurs. Rappelons que l’on dispose du texte français d’origine ayant servi à la dite traduction grâce à une édition d’Antoine Besson, libraire lyonnais qui fut en activité dans les années 1690.
Nous avons signalé à plusieurs reprises dans nos études les revirements des faussaires quant à leur réinvention du passé. Reste le cas de Significations pour 1559, largement traité dans notre post-doctorat (cf. le reprint édité par B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit) et qui est un cas d’école, tant on peut retrouver les procédés utilisés, dont la récupération de l’Eclipsium de Leovitius, déjà signalé par l’abbé Torné Chavigny, en 1879 (voir la lettre reproduite dans l’édition Chevignard p. 446) mais aussi d’une attaque contre Nostradamus que l’on présente comme une attaque de Nostradamus contre ses adversaires qui s’en prennent à ses Présages Merveilleux . (cf. p. 457 de l’édition Chevignard). : « avec tes pronostiques que tu dis estre merveilleux » , la date de ce qui se présente en fait comme une épître est le 14 août 1558 alors que celle adressée à Henri II est du 27 juin 1558 (rappelons que l’Epitre authentique au Roi est datée de janvier 1556. On pourrait y voir une épître jumelle de la fausse épître à Henri II. Or, c’est dans ces Significations qu’il est fait mention d’une « seconde centurie » (cf. p.455 de l’édition Chevignard) : « comme plus amplement est déclaré à l interprétation de mes Prophéties ». On peut même se demander si ce texte n’avait pas été envisagé précédemment au choix de l’Epitre à Henri II (qui avait pour inconvénient de reprendre une version précédente, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, pour introduire le second volet –et si cette seconde centurie ne visait pas celle qui par la suite, au sein de l’ensemble à 10 centuries, deviendrait la centurie IX . Ces Significations auraient donc introduit le second volet avant qu’il ne soit réuni au premier sous le règne d’Henri IV. On aurait gardé quasiment la même date, à quelques semaines près. Ce qui distingue d’ailleurs ce document de ceux produits par le camp de la Ligue, c’est le fait qu’ils utilisèrent une vignette différente de celles des éditions parisiennes et des contrefaçons qui les calquaient, à savoir qu’ils avaient pris modèle sur la « bonne « vignette, celles des Pronostications de Nostradamus et notamment celle pour 1558 – que nous avons été le premier à retrouver à la Bibliothèque Royale de La Haye (ce dont témoigne Brind’amour, dans son Nostradamus, astrophile). En effet, le libraire est le même, le parisien Guillaume Le Noir si ce n’est qu’alors que, dans les deux cas, la page de titre porte la mention « avec privilège », dans le cas de la Pronostication pour 1558, il y a in finé le texte du privilège (cf. Ed Chevignard, p. 442) et non à la fin des Significations (cf. éd. Chevignard, p. 460). On notera que la lettrine M qui commence la brève épître à Guillaume de Gadagne, en tête de la Pronostication pour 1558 n’est pas identique à la même lettrine M de l’épître en tête des Significations., d’autant que le premier mot est le même dans les deux cas, « Monseigneur » Il est assez clair que la dite Pronostication pour 1559 ne s’intéresse pas à Antarès par hasard (cf. Chevignard, p. 451) car cette étoile fixe menace les yeux. Or, rappelons qu’Henri II est mort des suites d’une blessure à l’œil, en 1559. En revanche, l’épître à Henri II ne reprend pas cette prédiction, ce qui tendrait à montrer que la nouvelle épître ne s’intéressait qu’à des événements plus tardifs.
Signalons certaines similitudes entre les deux épîtres datées de 1558, c’est ainsi qu’elles se terminent par la même formule :
A Monseigneur Jacobo-Maria Sala, evesque de Viviers et Vice légat d’Avignon M. Nostradamus, son humble serviteur envoye salut & félicité
De Salon ce 14. d’Aoust 1558. Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae, 1558 pro anno 1559 & 1560
Et A Henri Second (-…) Michel Nostradamus, son très humble, très obéissant serviteur & subject, victoire & félicité
De Salon ce XXVII. De juing Mil cinq cens cinquante huit. Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae
Il y a toutefois une différence notable :
Dans l’Epitre à l’évêque de Viviers, il est indiqué à la suite pour quelles années le texte vaut, alors que dans l’Epitre à Henri II, rien n’est précisé. Pourtant dans le cours de l’épître, on a souvent le sentiment que le texte concerne une période donnée. « Et sera au moys d’Octobre que quelque grande translation sera faite » (p. 161, Ed. Chomarat, 2000). On y trouve également des indications de latitude (50 ; 52, 48 pour la lettre à Henri, 37, 38, 39, 40, 41, 42 & 45 degrez » donc plus au Sud pour la lettre à Jacobo Maria Salla.
Le problème de cette Epistre à l’évêque de Viviers est qu’elle n’introduit plus aucun texte. Il est vrai qu’avec Crespin, la mode des Epîtres se suffisant à elles-mêmes- et qui ne sont donc plus des préfaces- fut considérablement développée entre 1571 et 1578 (cf RCN, p. 100, 105, 106, 114) si ce n’est qu’ici, le nom du dédicataire ne figure nullement au titre. En fait, certaines épitres semblent avoir été converties ultérieurement en préfaces, au prix de quelques interpolations à moins que des préfaces n’aient été augmentées sensiblement pour tenir lieu d’épîtres, puis encore reconverties en préfaces par la suite.
. On comprend mal dès lors la formule « prendre en gré le petit présent » alors que l’Epitre à Henri II mentionne « ces trois centuries du restant de mes prophéties » tout en se référant à des « Offres & présens ». Tout se passe comme si cette épître avait été détachée du document qu’elle introduisait initialement, vraisemblablement les Centuries VIII-X, ce qui donnerait sens au passage signalé à propos de la « seconde centurie de mes prophéties ». On notera que normalement, seules les Pronostications de Nostradamus portaient une vignette représentant un personnage à sa table de travail. On n’en trouve pas sur ses almanachs, du moins pas pour les années Cinquante. A contrario, ce sont les faux almanachs de Barbe Regnault, au début des années 1560, qui porteront une vignette différente de celle comportant l’écusson « M. de Nostre Dame ». Dans le cas des Significations, la présence de la vignette ne se serait pourtant point imposée, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une pronostication annuelle mais sur deux ans. Dans les deux cas, une échéance pour les premières années du XVIIe siècle (1605-1606) est fournie, directement ou indirectement, ce qui fait sens pour des textes appartenant à la fin du XVIe siècle. Cette date coïncide d’ailleurs avec celle de l’Epitre à Henri IV en tête des sixains dans les éditions troyennes.
Nous avons très peu de documents concernant l’historique du second volet. On ne connait ce texte, dans ce qui nous est parvenu pour le XVIe siècle, en tout cas, que des éditions où il est déjà en position de second volet et comporte des Centuries numérotées de VIII à X. Il nous semble très improbable que le second volet, comme on l’appellera par la suite, ait eu ses centuries ainsi présentées, d’autant plus que la stabilisation à 7 centuries fut relativement tardive. Il est par ailleurs assez évident que les dites centuries connurent une certaine circulation sinon à quoi bon les constituer ? On pense notamment au quatrain IX, 86, ce qui correspond à la « seconde » centurie du second volet. Mais ces états n’ont pas été conservés. On ne sait pas davantage si le dit volet parut dès le départ avec l’Epître à Henri Second, laquelle épître d’ailleurs ne se réfère aux centuries que globalement et avec déjà une référence à la Préface à César du premier volet, ce qui ne fait sens qu’au sein d’un ensemble à deux volets. Qu’on en juge « Dedans l’Epistre que ses (sic) ans passez ay desdiée à mon fils Caesar Nostradamus, j’ay assez appertement déclaré aucuns poincts sans présage ». En fait, nous serions tentés de penser que cette épître à Henri II n’a été composée que lors de la mise en place d’un volume à dix centuries. Il n’en est pas de même de l’Epitre à Jacques Maria Sala, laquelle, signalons le quand même, ne fait aucune allusion à une Epitre antérieure de peu à Henri II, l’une étant de septembre et l’autre de juin 1558. On peut penser raisonnablement que l’épître à Mgr Sala introduisit les centuries ‘anti-ligueuses » et qu’elle fut ensuite remplacée, tout en poursuivant une carrière sous le titre de Significations.
Dès lors, que dire de la formule figurant dans l’Epitre à Henri II ? Nous la reproduisons plus amplement :
« Aviendra l’an 1605, que combien que le terme soit fort long, ce nonobstant les effets de cestuy (an) ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle année (1559), comme plus amplement est declaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties ». La référence est explicitement liée ici à des éditions centuriques parues sous le nom de Prophéties ». On notera que les positions planétaires qui figurent dans l’Epître à Henri II sont celles de l’an 1606 : « mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 à commençant depuis le temps présent qui est le 14 de Mars 1557 ». On relèvera cette mention de l’an 1585 qui correspond selon nous assez bien à la période de la Ligue ; au lendemain de la mort du Duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de Médicis, laquelle mort plaçait ipso facto Henri de Navarre, le cousin réformé, en position de « dauphin » d’Henri III. La vignette de l’édition Rigaud (1568) dont nous disions qu’elle comportait sur la page de titre de l’ensemble du volume, des motifs issus de la vignette « M. de Nostredame » ne se référé-t-elle pas à la vignette des Significations ? On y retrouve les luminaires, les cinq étoiles (probablement les planètes, formant «septénaire » avec le soleil et la lune-, une main, sortant d’un vêtement, tenant une sphère et l’autre un compas. Apparemment, les faussaires, au service du camp Bourbon furent mieux inspirés ou mieux informés que leurs adversaires. Ils optèrent pour la vignette propre aux pronostications de Nostradamus, avec la mention « M. De Nostredame » et non pour celle des faux parisiens. Apparemment, les différences entres les vignettes de l’un et l’autre camp conduisirent à leur abandon et la mise en place d’une nouvelle vignette
Le caractère tardif de la rédaction ultime de l’Epitre à Henri II est attesté par le fait qu’elle se référe explicitement à la Préface à César, ce qui n’est pas le cas de l’Epître à Jacques-Marie Sala. Etant donné que cette préface figurait en tête des éditions ligueuses, il est tout à fait improbable que le camp d’Henri IV se soit référé à la dite préface. La référence ne peut donc avoir été introduite que lors de la mise en place d une édition à 10 centuries, au lendemain du couronnement du premier roi Bourbon. Imaginer que ce « second volet » n’ait vu le jour qu’à ce moment là ne ferait guère sens. Le choix de cette Epitre, isssue d’une épître ayant existé (Présages Merveilleux pour 1557) fut d’ailleurs plus probablement le fruit d’un consensus entre les parties car il est bien moins polémique que certains quatrains qu’il introduit, faisant annoncer par Nostradamus la déconfiture lorraine. Quant à l’origine des Significations de l’éclipse, s’agit –il d’un texte réalisé de toutes pièces pour la circonstance centurique ou bien de la retouche d’un texte réellement paru à cette époque adressé à l’évéque de Viviers, ce point n’a pas été encore éclairci. Nous tendrions à penser qu’’une partie du document est authentique mais que l’emprunt à Leovitius est interpolé, qui créditait Nostradamus d’une allusion à la mort d’Henri II, tout comme le passage (cf supra) – qui est annoncé au titre( « avec une sommaire réponse à ses détracteurs ») emprunté à un adversaire des Présages Merveilleux, lequel ouvrage aura d’ailleurs servi par la suite à réaliser l’Epître à Henri II ; du fait qu’il comporte lui-même une épître adressé à ce souverain. On n’a pas retrouvé le document dont le dit passage est extrait. On sait que Nostradamus à cette époque n’était pas épargné par les attaques, de Laurent Videl à Hercule le François.(cf l’article d’Olivier Millet, « Feux croisés sur Nostradamus », 1986)
25 Essai de Dictionnaire du nostradamisme
Nous organiserons notre « Dictionnaire » autour de 8 entrées correspondant à des éléments déterminants de la bibliographie centurique, en procédant à une sorte de déconstruction en vue de parvenir à une synthèse récapitulative et donc cyclique, parvenant ainsi à une représentation radicalement nouvelle par rapport aux représentations biobibliographiques actuelles.
Chacune de ces entrées fera le point sur l’état des recherches – et singulièrement des nôtres. La formule alphabétique du « Dictionnaire » a certes des inconvénients, en ce qu’elle est cloisonnante mais elle nous permettra d’aborder le sujet sous autant d’angles différents, quitte à ce qu’il y ait des redondances, chaque entrée comportant, en tout état de cause, des renvois aux autres. Bien évidemment, autour de chacune des 8 entrées viendront se placer, se greffer, divers dossiers qui seront mis à contribution d’une entrée à l’autre, comme celui des éditions parisiennes sous la Ligue ou celui de la traduction anglaise de 1672 par Théophile de Garancières ou encore le cas des « Prophéties » d’Antoine Couillard, de Noel Léon Morgard ou encore d’Antoine Crespin. On s’intéressera notamment à l’édition troyenne de Pierre du Ruau (1605) ou à celle d’Antoine Besson (c 1690). Ce qui vient compliquer notre tâche tient au fait que même parmi ces contrefaçons, toutes ne nous sont point parvenues, ce qui est un autre défaut des bibliographies signalées : non seulement, elles s’en tiennent à la signalisation indiquée sur les pages de titre – dont on verra à quelle point celle-ci est suspecte et pas seulement au niveau des dates—mais qu’elles se gardent bien de considérer la possibilité, l’éventualité de chainons manquants, dont on peut logiquement conclure à l’existence. C’est tout cela qu’implique notre travail de restauration.
César (Préface à (1555)
Ce texte introduit le « premier volet ». En fait, cette notion est tardive car on ne connait d’abord qu’un seul ensemble qui s’est étoffé progressivement jusqu’à atteindre, par étapes, sept centuries. Mais la Préface figure déjà en tête d’éditions comportant un moindre nombre de centuries. En l’occurrence, les éditions parisiennes de 1588 semblent aller dans le sens d’une première version à 4 centuries dont la Ive ne comporterait qu’une quarantaine de quatrains.
Cette préface datée le plus souvent de 1555 est-elle parue cette année là comme le laisse entendre l’existence d’éditions Macé Bonhomme indiquant au titre cette année là ? Certes, l’on signale la reprise de pans entiers de la dite préface au sein des Prophéties dues à Antoine Couillard, seigneur du Pavillon, dès 1556, connu par ailleurs comme l’auteur de Contreditz visant Nostradamus (1560). Ce document aura largement servi à accréditer la thèse de l’authenticité de l’édition Macé Bonhomme 1555, encore que certains points du dit document apportent des éléments ne figurant pas dans les éditions connues de la Préface, ce qui s’expliquerait par le fait que l’état premier de la dite préface ne nous est pas parvenu (cf notre post doctorat 2007). Nous soupçonnons qu’il puisse s’agir d’un faux, paru en paralléle avec de fausses éditions antidatées, à commencer par le titre qui évoque le nom sous lequel parurent les centuries sous la Ligue, à Paris, titre que l’on ne retrouve pas notamment dans les éditions rouennaises de 1588-1589, intitulées Grandes et Merveilleuses Prédictions.
Que Nostradamus ait pu, à la rigueur, rédiger une adresse à son fils, au lendemain de la naissance de celui-ci, à la fin de 1553, ne signifie pas que celle-ci ait été imprimée à cette date. Cette préface annonce, en effet, un «mémoire » qui ne pourra être compris par César que par la suite. Mais ce n’est que dans la traduction anglaise que l’on trouve cette formule, laquelle date de 1672. On pourrait croire à une erreur de traduction s’il n’était paru encore plus tardivement le texte français d’origine (chez le libraire lyonnais Antoine Besson, dont la période d’activité se situe dans la dernière décennie du XVIIe siècle). Rappelons que le texte « classique » comporte la forme « délaisser mémoire » qui a rarement été compris comme renvoyant à un document, voire à un testament.
. Le texte de la Préface tel qu’il figure dans le canon centurique est fort défectueux en comparaison du texte Besson, aussi tardif fût-il. Cette version correspond probablement à la première édition- perdue – des premières centuries qu’il faut situer autour de 1586. Il est remarquable qu’un texte aussi lacunaire et défectueux ait été ainsi indéfiniment reproduit. Les nostradamologues anglophones ont la chance de bénéficier d’une version plus satisfaisante de la dite Préface.
Etant donné que cette préface devait être initialement la possession du dit César, cela laisse d’ailleurs présupposer que le dit César joua un rôle non négligeable dans le revival du nom de son père et qu’il confia l’épître que son père lui avait laissée à des libraires, de façon à conférer aux quatrains centuriques. leurs lettres de noblesse. Jean Aimé de Chavigny cite le nom de César dans son introduction au Janus Gallicus.
Mais nous défendons depuis peu une position plus radicale quant à la composition de la dite Préface. Nous ferons remarquer que le nom de César n’apparait que dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon. Il est notamment absent de la Déclaration de Videl de 1558 laquelle s’en prend pourtant à un texte qui recoupe celui de Couillard et celui de l’Epitre à César. Se pourrait-il que ce texte perdu, tout en étant de Nostradamus, n’ait rien à voir avec César, l’héritier de Michel de Nostredame ?
Il nous apparait que la première occurrence de la Préface à César a du être dans un contexte qui se voulait posthume. Le premier scénario- suivi il est vrai de bien d’autres- fut probablement – mais on n’a pas l’édition d’origine comme semble l’attester l’émergence au XVIIe siècle d’un état plus satisfaisant de la dite Préface- que cette préface en quelque sorte posthume de Nostradamus, même si elle était rédigée en 1555 mais comme le serait un testament spirituel – était ainsi divulguée pour la première fois –vers 1586- 1587 accompagnée d’un certain nombre de « centuries », probablement 300 quatrains car la Ive centurie est un appendice qui aura été rajouté peu après- On connait les états successifs des dites éditions en examinant notamment les éditions parisiennes- dont la date au titre n’est pas forcément la bonne – car elles semblent avoir cette fois été postdatées – précédées de la dite préface –en faisant abstraction de la page de titre qui nous induirait en erreur- nous avons 5 centuries pleines (avec la Ive complétée) et l’esquisse d’une centurie VI qui joue à son tour le rôle de la centurie IV (et annonce celui de la centurie VII), avec 71 quatrains. Cette centurie VI sera à son tour complétée, puis suivie à nouveau d’une addition constituant la centurie VII (Ed. de Rouen, tronquée (on ignore le nombre de quatrains à la VII dans l’édition de 1589 et d’Anvers 1590, à 35 quatrains à la VII).
A quel moment vint l’idée de réaliser des éditions du premier volet carrément datées de 1555, abandonnant dès lors le scénario de la divulgation posthume ? On sait que ce sera chose décidée en 1590 au vu de ce qui est indiqué dans l’édition St Jaure d’Anvers mais déjà les pages de titre des éditions parisiennes – pas celles de Rouen d’ailleurs- se référent à une édition augmentée pour l’an 1561. Mais selon notre thèse, leur contenu est plus ancien que leur titre. Nous aurions donc tendance à penser que la fabrication des éditions parisiennes –titre exclus- est sensiblement antérieure à celle des éditions de Rouen 1589 et Anvers 1590. La preuve en est que la centurie IV des éditions parisiennes comporte mention d’une addition alors que l’édition de Rouen 1589 ne mentionne pas cette addition- et ce bien qu’il existe une édition Rouen 1588 à seulement quatre centuries – et présente la Ive centurie comme étant d’un seul tenant. Il y a là une manipulation qui ne fait évidemment qu’ajouter à la confusion de la chronologie bibliographique. On conclura, assez raisonnablement que les deux années –en gros- qui précédèrent 1588 virent paraitre les dites éditions « parisiennes » mais en fait elles ne parurent pas nécessairement chez les dits libraires parisiens qui se contentèrent peut être d’y apposer une page de titre permettant une post-datation à des fins purement d’écoulement de stocks. C’est peut être un tel déguisement qui leur aura permis de parvenir jusqu’à nous.
Quid donc de cette première édition rouennaise datée de 1588, chez le même libraire ? Un écart important, au niveau du contenu sépare ces deux éditions. La première édition rouennaise nous semble en effet se situer bien plus haut dans la chaîne des éditions avec une centurie iV qui n’atteint même pas les 53 quatrains. Là encore, on assisterait à un phénomène de post-datation, qui génère une forme d’anachronisme. Il s’agirait d’une réédition d’une édition plus ancienne, puisqu’elle précéderait par son contenu celui des éditions « parisiennes » de la Ligue. Rapidement, le libraire rouennais aurait rattrapé l’écart avec le nouvel état des centuries, d’où la faible marge de temps entre les deux éditions.
Henri Second (Epître à (1558)
A la différence de la Préface à César, il apparaitrait que Nostradamus aurait publié une adresse à Henri II, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, que nous avons reproduite pour la première fois dans son intégralité (Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002). L’épître figurant en tête de ce qu’on nomme habituellement le second volet des Centuries a été sensiblement retouchée, sa date n’est plus de l’année 1556 mais de l’année 1558, elle comporte un référence à la Préface à César, censée lui être antérieure puisque datée de 1555. Rappelons que ce second volet annonce la victoire de la maison de Vendôme (Bourbon) sur celle de Lorraine(Guise) et même le couronnement de Chartres.
Nous avons, pour notre part, émis l’hypothèse selon laquelle les Significations de l’Eclipse de 1559 ; constituée en fait d’une longue épîtres à Jacques-Maria Sala, et datée d’août 1558- alors que l’épître dédiée à Henri Second est datée de juin de la même 1558 – auraient pu constituer la première épître au second volet. Ce qui est plus que probable en tout cas est le fait que ces Significations, parues chez Guillaume Le Noir, à Paris, dont la page de titre nous apparait comme calquée sur la Pronostication pour 1558, sont une contrefaçon.
Nous pensons que l’Epitre centurique, à Henri II, du moins telle que nous la connaissons n’a pu être imprimée que dans le cadre d’une édition à 10 centuries, du fait même qu’elle cite la Préface à César. Signalons que la première Epitre à Henri II, de 1556, ne signale aucunement de préface à César. Pendant la guerre civile, il était hors de question de citer la préface à César qui ouvrait le « premier » volet ligueur. L’Epitre à J-M. Sala ne prête pas le flanc à une telle critique.
Le second volet devait initialement ne pas être numéroté de VIII à X, mais de I à III. Ce n’est que lors de la réunion des deux ensembles qu’une numérotation suivie fut établie.
Selon nous, la réalisation de cette Epitre, datée désormais de l’Eté 1558, ainsi remaniée, fut tardive, lorsque parut ce que nous appelons l’encyclopédie troyenne des prophéties, autour de 1605. Sa présence dans les éditions Benoit Rigaud 1568 souligne le caractère antidaté de telles éditions.
Le texte de l’Epître à Henri II est, comme celui de la Préface à César, quelque peu défectueux, si on le compare à l’édition anglaise de 1672 et à l’édition Antoine Besson.
Nous connaissons certaines sources des quatrains propres au second volet, grâce à Chantal Liaroutzos qui, en 1986, signala les emprunts à la production géographique de Charles Estienne. Cette fois, ce que nous voulons signaler, ce n’est pas tant la corruption du texte, par quelque inadvertance ou désintérêt de comprendre et de corriger éventuellement, qu’une stratégie consistant à retoucher un texte en soi insignifiant, à savoir des listes de noms de lieux, dans un périmètre assez restreint pour faire passer quelque message par certains quatrains. Le quatrain IV, 86 représente, parmi d’autres, une telle démarche en changeant le nom de Chastres en Chartres et en en faisant le quatrain annonciateur du couronnement d’Henri IV non pas à Reims mais à Chartres. On a relevé d’autres exemples dans la centurie VIII comme le 53e où le deuxième verset « Sera serré la puisnay de Nancy », laquelle ville est celle de l’ennemi dynastique – la maison de Lorraine qui se prétend d’origine carolingienne et ayant des droits à ce titre à la couronne de France- est décalé par rapport aux autres versets traitant de l’Italie. De même Avignon, cité de l’ennemi pontifical, apparait-il, dans VIII, 52, alors que l’on traite des villes de la Loire. :
Les centuries introduites par l’Epitre à Henri Second sont en elles-mêmes une compilation de divers quatrains ayant circulé séparément. On en a la preuve du fait que certains quatrains sont fournis en « clair » et d’autres sont cryptés, ce qui ne ferait pas sens au sein d’un même ensemble, sinon dans une perspective compilatoire forcément plus tardive. On y trouve d’une part des anagrammes, des abréviations et de l’autre des quatrains qui donnent la clef de ces codes : Norlaris mais aussi Lorraine, Mendosus mais aussi Vendôme, Par Car Nersaf, mais aussi Cardinal de France.101
Henri IV (Epître à (1605 )
Cette troisième épître, datée de 1605, et signée Vincent Scève, introduit ce que l’on pourrait appeler un troisième volet mais il semble exclu que celui-ci et l’édition qui le comporte, appartienne à cette année.. Elle est placée avant les sixains. Nous avons retrouvé ces 58 sixains, imprimés sous le nom de Noël Léon Morgard. Il existe d’ailleurs un manuscrit comportant un plus grand nombre de sixains . Le seul fait qu’il s’agit de sixains et non de quatrains a généré un consensus des nostradamologues pour l’exclure du canon nostradamiqe, à la demande d’ailleurs, dès 1656 du dominicain Jean Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement des véritables quatrains. En fait, ce qui fait problème dans ces 58 sixains, c’est leur excès de précision qui devient suspect. Ce qui tend à montrer qu’il existe quand même quelque limite à la crédulité. Il reste que l’on ai tenté de voir dans les 58 sixains une tentative pour compléter la septiéme centurie, qui dans nombre des ses versions, est à 42 quatrains.
Cette édition à trois volets constitue une tentative de rassemblement systématique, selon nous d’origine troyenne, de tout ce qui comporte, de près ou de loin, un caractère nostradamique. On y retrouve notamment les Présages, issus des almanachs de Nostradamus mais aussi quelques quatrains des éditions ligueuses non retenus dans les éditions à deux volets.
Le texte de cette épître mérite qu’on s’y arrête car il nous semble emblématique plus que celui des deux autres. Il se réfère notamment à l’idée selon laquelle on aurait découvert à la mort de l’auteur divers documents. Il représente donc la thèse d’une parution « posthume » d’au moins une partie des Centuries et de la mise sur le marché d’une succession de pièces qui sont intégrées tour à tour, au fur et à mesure, dans le « canon ».
Avec cette épître, nous pénétrons dans le monde du nostradamisme troyen qui joua un rôle absolument déterminant tant dans la conservation d’éditions antérieures, notamment celles de la Ligue, que dans la troisième génération d’impressions antidatées, ce qui concerne l’édition Macé Bonhomme 1555, l’édition Antoine du Rosne 1557 (Utrecht) et l’édition Benoist Rigaud 1568.
Rappelons que c’est tout le second volet qui fut mis au service de la cause du Bourbon réformé et que le dit volet ne sera adjoint au premier, que dans le cadre des éditions troyennes. Et ce second volet est suivi de la dite Epître à Henri IV
Macé Bonhomme (Edition 1555)
Si l’on en croit l’édition du libraire anversois François de Saint Jaure, il aurait existé une édition à 7 centuries datée de 1555. Cette édition Macé Bonhomme est la seule qui comporte une permission d’imprimer en bonne et due forme.
Etrangement, elle ne comporte en son titre aucune indication de contenu, à la différence de l’édition à 4 centuries parue à Rouen en 1588 et qui comporte quelques quatrains en moins à la Ive centurie. Celle-ci signale qu’elle comporte « quarte (sic) centuries ». Elle serait antérieure par son contenu à celle réalisée au nom de Macé Bonhomme.
En 1588, les éditions ligueuses parisiennes se référent implicitement à une édition à 53 quatrains à la Ive Centurie. Or, une telle marque ne figure plus dans les éditions Antoine du Rosne (qui reprennent une édition 1555 à sept centuries (cf supra) lesquelles comportent une quatrième centurie complétée. Ce qui nous conduit à situer la fabrication de ces éditions après 1588.
La vignette de cette édition est probablement tardive –elle a 53 quatrains à la IV, ce qui n’est pas encore le cas de Rouen Petit Val 1588, car elle correspond non pas à celle de la première édition Antoine du Rosne (Budapest) mais à celle sensiblement plus tardive à deux volets.(Utrecht)
Il est probable que la première édition des Centuries n’ait pas comporté 353 quatrains mais 349, si l’on tient compte de l’édition de Rouen, 1588 à 4 centuries. Le quatrain IV, 46 ne figure pas dans l’édition de 1588 alors qu’on le trouve dans l’édition 1555. Or, ce quatrain vise Tours et la Touraine, au centre du camp des partisans d’Henri IV
Mais l’édition rouennaise à « quarte » (sic) centuries, de 1588, comportant la préface à César de 1555, ne se présentait pas comme parue du vivant de Nostradamus. Le lecteur comprenait que si la préface avait été rédigée en 1555, elle avait du rester, jusqu’à ce jour, parmi les papiers de Michel de Nostredame. César en 1588 est âgé de 35 ans environ.
Cette édition Macé Bonhomme représente dans l’imaginaire des nostradamologues le premier état des Centuries. C’est une idée qu’il importe de dénoncer, notamment en raison du recours à des mots en capitales dans les quatrains que l’on retrouve dans les éditions Antoine du Rosne 1557 Utrecht ainsi que dans les diverses éditions Benoist Rigaud 1568 mais qui ne s’observe ni dans les éditions Rouen, Paris, Anvers 1588-1590 ni dans l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. Une telle pratique des capitales est également propre au Janus Gallicus.
Nous avons signalé à plusieurs reprises la non-conformité entre le titre et le contenu d’une édition –cela vaut pour les éditions parisiennes de la Ligue tout comme pour les éditions Benoist Rigaud mais cela vaut aussi pour ces éditions Macé Bonhomme 1555 à quatre centuries. En fait, le titre de cette édition ne donne pas la moindre information quantitative à la différence de l’édiition de 1588, Rouen, Raphaël du Petit Val qui précise qu’elle comporte 4 centuries. Il reste que cet intitulé s’inscrit, en quelque sorte, par avance- si l’on s’en tient aux titres sinon aux contenus- dans une série à trois stades, le deuxiéme stade annonçant 3 centuries de plus et le troisiéme encore une addition de 3 centuries. Tout se passe comme si par avance – puisque l’on sait que ces éditions ont été réalisées après coup – on faisait abstraction d’une quatriéme centurie vouée à terme à se fondre dans le deuxiéme ensemble de 3 centuries. L’intitulé rouennais en prend, par comparaison, toute sa valeur car il semble bien ainsi correspondre à un premier projet centurique qui aurait pu en rester là si, du fait du succés de l’entreprise, il n’avait pas, tout comme danns le cas d’un film, génére des « sequels », on devrait alors numéroté ces éditions, Centuries I, Centuries 2, Centuries 3 et ainsi de suite.
Un trait remarquable de cette édition qui montre qu’elle est marquée par les années 1590 et au-delà est la présence de nombre de mots en lettres capitales et ce dès les premiers quatrains de la première centurie, notamment BRANCHES (I, 2) ce qui est un code qui revient dans tout ce qui touche à Chavigny, l’éditeur du Janus Gallicus (1594) et que l’on retrouve dans les éditions Benoist Rigaud 1568. En revanche, cette pratique n’est attestée ni dans les éditions ligueuses (1588-1590, Paris, Rouen, Anvers) ni dans l’édition Antoine du Rosne 1557( Bib. Budapest). Ce facteur n’est pas signalé dans les bibliographies nostradamiques.
Antoine du Rosne (Editions 1557-1558)
Les éditions 1557 ne seraient que des rééditions d’une édition à 7 centuries datée de 1555, référée en 1590 dans l’édition Saint Jaure (Anvers) à 7 centuries.
On connait deux éditions qui différent à plus d’un titre et dont nous pensons qu’elles ne sont nullement contemporaines l’une de l’autre. Certes, ce libraire a bien existé, d’ailleurs, comme tous les libraires choisis pour avoir publié quelque édition des Centuries. On a récemment signalé (catalogue Thomas Scheler) l’existence d’une pronostication de Sconners parue chez Antoine du Rosne, et comportant une vignette assez proche, mais tout de même distincte, de celles des éditions du Rosne des Prophéties.
Leurs vignettes notamment différent assez nettement, bien qu’ayant un air de famille. L’exemplaire d’Utrecht est évidemment plus tardif – ou en tout cas voulu tel- que l’exemplaire de Budapest. Il serait la première édition de l’édition Benoist Rigaud à dix centuries alors que l’exemplaire Budapest est conçu sur le modèle des éditions à un seul volet. On n’en a conservé que le premier volet.
Ces éditions Antoine du Rosne à 7 centuries seraient logiquement postérieures à l’édition 1560 qui annonce en son titre une addition à la « dernière centurie ». Cela nous semble témoigner d’un revirement.
Le cas de la Paraphrase de Galien est intéressant en ce qu’il comporte la même vignette que les Prophéties censées être parues chez le même libraire. On en connait deux éditions respectivement datées de 1557 et 1558. Nous ne pensons pas que cet ouvrage soit paru à cette époque pas plus que les Prophéties d’ailleurs.
L’exemplaire Du Rosne Utrecht est d’un enseignement appréciable – on retrouve cela dans les éditions Benoist Rigaud 1568- par la présence à la fin de la Vie centuries un appendice d’une quarantaine de quatrains séparée de la centurie VI d’un avertissement latin. Nous pensons que cela témoigne d’une édition, perdue, à six centuries, dont les éditions ligueuses en leur titre signalent une addition à la dernière centurie. On notera qu’aucune édition par la suite n’indiquera une quelconque addition de ce type, alors même qu’elle comporte une Centurie VII, donc adjointe à la VI.
Si l’édition Antoine du Rosne Budapest appartient aux ateliers de contrefaçon des années 1580, l’autre édition Du Rosne-Utrecht est plus tardive d’une vingtaine d’années et comporte un second volet. Il est intéressant de noter à quel point l’absence d’une pièce du dossier peut influer sur les représentations. Cette édition Du Rosne 1557 Utrecht, inconnue d’ailleurs des bibliographes comme Ruzo, Chomarat et Benazra (1982-1990) et par ailleurs incomplète, eut-elle émergé plus tôt et dans son intégralité (mais la page de titre atteste déjà en soi de l’existence d’un second volet), aurait relativisé l’importance de l’édition Benoist Rigaud 1568.
Il nous faut resituer l’émergence de l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. Elle correspond à un deuxième temps de ce que nous avons appelé la deuxième génération de contrefaçons. La phase 1 est celle correspondant en gros à Barbe Regnault et à ceux qui gravitent autour d’elle, dans les années soixante. Elle ne s’occupe aucunement des centuries, lesquelles ne sont pas encore en circulation. En revanche, elle modifie éventuellement l’ordre des quatrains des almanachs, leur donnant l’apparence d’une nouvelle production ; c’est un pas vers la fabrication de quatrains totalement inédits. La phase 2- correspondant aux années 1584-1594- comporte trois temps : le premier est celui correspondant à la thèse d’une émergence non seulement posthume mais tardive des Centuries, introduite par une préface de Nostradamus à son fils ainsi qu’au contenu (mais pas au titre) des éditions parisiennes mais aussi, antérieurement, à celui de l’édition de Rouen à 4 centuries, toutes ces éditions – ayant été postdatées à 1588. Le deuxième temps est celui des antidatations censées parues du vivant de Nostradamus avec probablement une édition (non retrouvée) à six centuries, clôturée en 1561 par d’ultimes additions à la Vie et « dernière » centurie. Puis succède un troisième temps de cette même deuxième génération avec la production d’éditions à 7 centuries datées de 1555 (non retrouvée mais signalée en 1590 dans l’édition d’Anvers) et 1557. Ces éditions ne correspondent évidemment pas au scénario d’un processus ne se terminant pas avant 1561. Plus question d’additions successives, toutes les marques d’ajouts sont évacuées : on est avec l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest, probable réédition – toujours dans le cadre d’une chronologie fictive- de celle de 1555 à 7 centuries.
L’absence de mots en capitales indique selon nous que l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest appartient à une génération plus ancienne que celle des éditions Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557 Utrecht. Le fait de mettre certains mots en capitales avait probablement pour objet un certain message. Etant donné que l’on trouve cette pratique dans les deux volets de l’édition Benoist Rigaud, il s’agit là d’un procédé qui n’est apparu que tardivement, probablement au tout début du XVIIe siècle.
Il ne fait pas de doute que l’édition 1557 Utrecht s’inspira de l’édition 1557 Budapest. On y retrouve la même faute au titre :: « dont il en y a « au lieu de «dont il y en a », ce qui sera corrigé dans les éditions Benoist Rigaud 1568, avec le même intitulé. Cette faute, elle-même, est observable dans les éditions Rouen 1589 et Anvers 1590. La similitude entre le contenu d’Anvers 1590 – la fin de Rouen 1589 est tronquée et Antoine du Rosne Budapest est flagrante, si ce n’est un supplément de 4 quatrains à la VII. Or, cette édition d’Anvers n’a pas pour titre « Prophéties » mais « Grandes et merveilleuses prédictions » tout comme l’édition à 4 centuries, Rouen 1588, ce qui confère à ce titre plus long une certaine antériorité. L’idée d’appeler « Prophéties » ces Centuries pourrait n’être venue que dans un deuxiéme temps, ce qui désamorcerait l’argument selon lequel la production de « Prophéties » – et donc de centuries – serait attestée du temps même de Nostradamus. Non pas qu’il n’y ait pas eu de « Prophéties » de Nostradamus à cette époque, comme cela semble bien attesté par les recherches de Gérard Morisse, mais cela ne désignait très vraisemblablement pas les Centuries et pour cause..
Il y a certainement une « filiation » entre les éditions rouennaises et l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. En ce qui concerne la « seconde » édition antoine du Rosne (Utrecht), le lien avec les éditions rouennaises (ou anversoises) peut n’avoir existé qu’indirectement, de par l’utilisation de la dite édition Du Rosne-Budapest.
Ce qui distingue ces deux éditions tient notamment au fait que l’exemplaire Budapest ne recourt pas aux mots en lettres capitales alors que l’exemplaire Utrecht pratique ce code initié, vraisemblablement, au milieu des années 1590, notamment dans le Janus Gallicus de Chavigny.
Barbe Regnault (Edition 1560) et les contrefaçons des années 1580/
Cette libraire publia du vivant même de Nostradamus des almanachs contrefaits comportant une vignette ressemblant d’assez loin à celle des vraies Pronostications de cet auteur. On notera ce passage de l’iconographie des pronostications vers celle des almanachs lesquels, chez Nostradamus, n’ont pas droit à la moindre vignette. Elle incarne la première génération de faussaires nostradamiques, dans les années soixante, la deuxième génération ayant pour théâtre les années 1580 et la troisième le début du XVII e siècle.
Pour réaliser leurs contrefaçons, quelques décennies plus tard, les faussaires prirent modèle, par erreur, sur la production Regnault et notamment en ce qui concerne les vignettes, négligeant ipso facto les vraies vignettes se trouvant sur les pronostications.
Ces faussaires situèrent ainsi des éditions des prophéties en 1560, puisque désignant l’année suivante 1561. On a récemment retrouvé une fausse édition antidatée, censée publiée par la veuve Buffet, une contemporaine de Barbe Regnault. (cf. catalogue Thomas Scheler), dont le contenu est semblable à celui des éditions parisiennes de la Ligue.
L’existence de cette édition 1560 ne s’inscrit cependant pas dans une chronologie cohérente des Centuries. Elle relève des aléas d’une chronologie fictive avec ses revirements anachroniques ou a-chroniques.
La première stratégie semble avoir consisté à reconnaitre une sorte de croissance progressive du nombre de quatrains et de centuries, on n’hésite pas alors à parler d’additions – « additionnées » – et d’ailleurs cette notion d’addition se retrouve encore dans les sous titres des deux volets de l’édition 1568.
Les éditions des Prophéties se référant, en leur titre, à une pronostication pour 1561, ont un contenu qui n’est pas en adéquation avec le titre/ Selon nous, les titres ont été rajoutés pour faire croire à des éditions plus récentes. Mais ce contenu nous est d’un enseignement précieux, en ce qu’il correspond à un état encore très en chantier des centuries VI et VII. Et le titre est l’aboutissement du processus engagé dans le contenu.
Un autre type de contrefaçon qui vient ajouter à la confusion tient au fait que certains libraires parisiens ont jugé bon, selon nous, de se faire passer pour ce qu’ils n’étaient pas en vendant leur stock sous des titres d’éditions plus tardives. On ne peut donc de façon certaine déterminer si le nom des libraires est celui de ceux qui ont fait imprimer le contenu ou bien celui de ceux dont a récupéré la page de titre mais pas le contenu.
Les faussaires de la deuxième génération (années 1580) se servirent des almanachs nostradamiques de Barbe Regnault, lesquels comportaient d’ailleurs une douzaine de quatrains, souvent aux versets intervertis pour qu’on ne reconnût pas leur origine et une vignette pouvant incarner l’auteur à sa table de travail. Ils supposèrent qu’elle avait été le libraire ayant publié une suite à une édition à six centuries, elle-même complétant une édition à 4 centuries dont la dernière à moins de 50 quatrains. Cela suppose une première édition à 4 centuries que l’on n’a pas retrouvée et qui devait comporter une vignette semblable à celle de l’édition Antoine du Rosne-Budapest 1557 qui en est la réédition et qu’il ne faut pas confondre avec l’édition Macé Bonhomme 1555–Albi/Vienne, laquelle appartient selon nous à la troisième génération de faussaires du début du XVIIe siècle. Mais ce qui vient compliquer sensiblement les choses, c’est que cette édition Barbe Regnault 1560 pour 1561, ne tenait pas compte de l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest, qui correspond à un état postérieur à la dite édition Regnault. On assiste à un chevauchement des contrefaçons qui jongle avec les dates.
Il convient d’essayer de rétablir une certaine chronologie des contrefaçons :
Premier état : une édition à 4 centuries (encore que l’on puisse imaginer qu’il y ait eu une édition à 3 centuries augmentée par la suite, ce qui aurait été la matrice d’une édition à 6 centuries suivies d’une septième. On n’a pas conservé cette édition 1555
Deuxième état : une édition à 6 centuries, terminée par un avertissement latin (on n’a pas conservé une telle édition, ni antidatée, ni pour la période de la Ligue mais il n’est guère douteux qu’elle ait existé, du moins en tant que contrefaçon….
Troisième état, une édition à 7 centuries, 1560, signalée par les éditions ligueuses parisiennes de 1588-1589, dont elle est la réplique antidatée. On n’a conservé que la page de titre de ces éditions, avec un contenu non conforme. R. Benazra décrit une telle édition disparue (RCN, p. 51 et seq) avec le même intitulé que les éditions ligueuses mais avec cette fois indiqué « Paris, pour Barbe Regnault, 1560. Il écrit bien à tort que la dite édition « « est connue par des reproductions, sans doute fidèles de 1588 à 1589. Pour son contenu, le lecteur se reportera à l’édition 1568 ». Il semble, en réalité, que cette page de titre ait été récupérée et ait pu se substituer à une précédente page de titre, correspondant à un état archaïque de la fabrication des sept premières centuries et n’ayant pas fait l’objet de répliques antidatées…
Quatrième état, une édition à 7 centuries. Edition Antoine du Rosne, 1557, (Bibliothèque de Budapest.). A la lecture de l’édition anversoise –François Sainct Jaure, nous apprenons qu’une édition semblable à celle de la dite édition à sept centuries (mais seulement 35 à la VIIe) serait parue dès 1555. Il y aurait donc eu revirement et les éditions à six centuries ou celles datées de 1560 sont évacuées au profit d’un état en quelque sorte terminal du premier volet qui aurait été publié dès 1555. La dite édition Du Rosne Budapest serait une réédition de l’édition signalée par St Jaure et censée être parue en 1555.
On ne connait pas le contenu de l’édition 1561 Barbe Regnault. Est-ce que cela correspond au contenu des éditions parisiennes 1588-1589 ? Dans ce cas, nous aurions le même étrange décalage entre le titre et le contenu ou bien y trouverait-on réellement un contenu correspondant au titre avec une septiéme centurie à 39 quatrains ?
Benoist Rigaud (Editions 1568) et les éditions troyennes du XVIIE siècle.
Cette édition à deux volets se présente, selon sa date, comme parue au lendemain de la mort de Nostradamus. Mais quand on regarde de plus près, elle ne comporte aucun des traits propres à une édition posthume : on ne signale pas au titre que l’auteur est décédé et pas plus n’indique-t-on qu’elle comporte une épître à Henri II.(décédé en 1559). Il semblerait qu’il s’agisse en fait, officiellement si l’on peut dire, d’une réédition d’une impression datant de 1558, donc datant de la veille de la mort du roi Valois en tournois. On n’a gardé de cette première édition que la page de titre du premier volet. (Utrecht, Antoine du Rosne). On, notera que l’on n’a identifié aucune édition des Centuries entre 1568 et 1588, soit une « mort » littéraire de 20 ans suivi e d’une sorte de résurrection.
Pour notre part, une telle édition en quelque sorte œcuménique ne saurait ‘être antérieure à l’abjuration d’Henri IV. Paris vaut bien une messe. L’existence même de deux volets témoigne de deux origines différentes. De même que l’on aura tenté masquer les retouches successives, on aura voulu faire oublier le temps de la guerre civile.
Elle serait d’origine troyenne mais ne comporterait que deux volets au lieu de trois. L’édition 1605 – généralement attribuée à Pierre du Ruau – à trois volets mentionne en son titre une édition 1568 Benoist Rigaud. On se demandera si ces éditions à 10 centuries ne sont pas une invention troyenne. En effet, ces libraires s’étaient évertués à réunir tous les quatrains et même sixains à profil peu ou prou prophétique. Ils auraient pu à cette occasion récupérer les trois centuries liés à Henri de Navarre –et qui avaient d’abord circulé séparément, les sixains, les quatrains figurant dans les éditions ligueuses parisiennes, délaissés par les éditions suivantes, les présages.
Elle connaitra au XVIIIe siècle une nouvelle carrière, sous le nom du libraire Pierre Rigaud, fils de Benoist, ce qui correspond à une quatrième génération de faussaires, situés, cette fois en Avignon et qui n’hésitent pas à produire une édition non pas datée de 1568 mais de 1566. C’est cette édition qualifiée de « princeps » comme étant la première à dix centuries, qui servira de base aux exégètes du XIXe siècle (Torné Chavigny et Anatole Lepeltier).
L’édition Du Rosne 1557 Utrecht met en perspective l’’édition Benoist Rigaud. Au lieu que Rigaud soit un acteur majeur du processus de réunion des deux volets, au lendemain de la mort de Nostradamus, – on est là en tout état de cause dans le domaine des chronologies virtuelles antidatées, ne l’oublions pas- il ne fait plus désormais figure que d’un libraire substituant en quelque sorte son nom à celui d’un prédécesseur tout comme cela se produisit sous la Ligue, si l’on admet que les libraires parisiens qui publièrent des éditions assez particulières des Centuries n’ont fait que mettre un titre, un lieu d’édition et une date sur des documents plus anciens. En fait, Benoist Rigaud, comme nous l’avons montré dans notre post doctorat (EPHE 2007), est surtout présent dans la production nostradamique des années 70 et 80 par la publication de divers almanachs pseudo-nostradamiques.
Nous avons mis en avant le recours à des mots en capitales dans les Centuries. Cette pratique n’est pas appliquée dans l’édition troyenne de 1605 mais l’est dans les éditions Benoist Rigaud 1568 et Antoine du Rosne 1557 Utrecht. Cela renvoie à un supposé message figurant dans la série Macé Bonhomme 1555-Antoine du Rosne 1557 Utrecht, 1568 Benoist Rigaud. Cela confirme le caractère tardif de l’édition Macé Bonhomme 1555.
Pierre Rigaud (Editions 1566) et les éditions avignonnaises du XVIIIe siècle.
Cette fausse édition- mais elle est loin d’être la seule aura connu une fortune remarquable chez les exégètes des Centuries du XIXe siècle. Elle sera d’ailleurs la seule à être rejetée au XXe siècle du canon nostradamique avec les sixains. Il s’agit vraisemblablement d’une erreur des faussaires du XVIIIe siècle, n’ayant plus qu’une connaissance très approximative des données de l’époque à laquelle cette édition Pierre Rigaud est censée être parue.
Elle correspond à une volonté d’évacuer certaines additions propres aux éditions du XVIIe siècle, qui avaient été dénoncées par le dominicain Giffré de Réchac dans son Eclaircissement (1656), avec la suppression du troisième volet mais le procédé se retournera contre elle, du fait de la bévue des prénoms.
Les éditions Benoist Rigaud 1568 auraient été ainsi, au sein d’une chronologie fictive, fondée sur les seules dates de publication et sur les années d’activité des libraires, précédées d’une première édition à 2 volets datant de 1566 – année de la mort de Nostradamus- chez Pierre Rigaud. C’est du moins ce que les faussaires avignonnais ont cru bon de laisser entendre. On saisit mieux alors que Nostradamus soit sur son lit de mort et que c’est à cette occasion qu’il aurait transmis son « mémoire » à son fils César. Peut-être avaient-ils perçu ce qu’avait d’insolite l’édition Benoit Rigaud 1568 qui ne référait aucunement à la récente mort de Nostradamus.
Il a certes existé, vers 1600, une édition non datée, au nom de Pierre Rigaud, probablement d’origine troyenne mais l’idée de la dater de 1566, année de la mort de Nostradamus, appartient aux éditeurs avignonnais du XVIIIE siècle (cf. RCN, pp. 295 et seq), correspondant à une quatrième génération de faussaires. Robert Benazra décrit ainsi ces éditions : « Elles reproduisent assez fidèlement les éditions lyonnaises de Benoît Rigaud, publiées à partir de 1568 (…) Daniel Ruzo a apporté un faisceau de preuves pour démontrer que ces trois éditions apocryphes ont été imprimées à Avignon, par François-Joseph Domergue, au début du XVIIIe siècle », soit un an après Du Ruau. On nous indique que l’édition d’origine comportait un portrait daté de 1716, ce qui a été noté dans le catalogue de vente de la collection de l’Abbé Rigaux. Ce n’est donc que la suppression de la gravure qui a pu faire croire qu’il s’agissait vraiment d’une édition de 1566.
Rappelons qu’Avignon avait été désignée comme le lieu de production d’éditions des Centuries, dans les éditions Anvers St Jaure (1590) et Rouen-Pierre Valentin (1611, édition postdatée), ce qui conduira Daniel Ruzo (Testament de Nostradamus, Ed. Rocher, 1982) à supposer l’existence de deux filiations, d’où des intitulés différents : Prophéties et Grande et Merveilleuses Prédictions/
Conclusion
Du caractère caduc de la plupart des bibliographies nostradamiques
On aura compris que l’on ne peut plus se contenter de classer les éditions par date de parution indiquée- R. Benazra a même poussé le zéle, dans son RCN, jusqu’à numéroter les éditions ainsi classées. Quel intérêt pourrait d’ailleurs bien présenter une telle disposition si ce n’est en tant que repérage commode pour retrouver les documents ? Nombre de nostradamologues tendent à reporter à une date ultérieure la question de la datation scientifique. Ils s’en tiennent à une bibliographie « concréte », « brute », c’est-à-dire non travaillée, non réfléchie, ce qui n’exige pas de compétences particulières.
On alignera ainsi, sans état d’âme, pour 1557, les deux éditions Antoine du Rosne, en tenant compte du mois, ce qui fait mettre l’exemplaire d’Utrecht avant celui de Budapest, par Patrice Guinard (y compris dans son Nostradamus ou l’éclat des empires, BoD, 2011), on placera à l’année 1588 l’ édition de Rouen à 4 centuries tout comme les éditions parisiennes dont le titre renvoie à 1561. en plaçant d’ailleurs, comme le fait Benazra l’édition de Rouen en dernier(-RCN, p. 122).
Si l’on veut se livrer à l’exercice de l’inventaire des éditions les plus anciennes qui nous aient été conservées, compte non tenu de la date de parution, mais uniquement quant au contenu, nous dirons que nous disposons d’une première version de la Préface à César en français, chez Antoine Besson, qui semble avoir récupéré le document qui servit à la traduction anglaise de 1672. Nous renverrons à l’édition de Rouen à 4 centuries (introuvable mais dont on a la page de titre et une description assez sommaire, chez Ruzo et Benazra. Ensuite, nous trouverons dans le contenu des éditions parisiennes (mais non dans leur titre), les éditions qui sont venues compléter les premières éditions à trois/quatre centuries, une version antérieure à l’établissement d’un ensemble à six centuries pleines, se terminant par l’avertissement latin (lequel ensemble ne nous a été conservé qu’avec un appendice constituant une centurie VII. Nous avons la page de titre des éditions parisiennes (donc très décalée par rapport au contenu) qui nous parle d’une édition à VII centuries, attestant à la fois de l’achévement de la centurie IV et du prolongement de l’édition à six centuries./.Ensuite nous avons l’édition rouennaise de 1589 dont nous ignorons le ,nombre de quatrains à la VII, peut être inférieur aux 35 quatrains de sa sœur jumelle de 1590, Anvers, par son titre. Et c’est alors qu’entre en scéne l’édition. Antoine du Rosne 1557 Budapest, déjà bien toilettée,- en fait une réédition virtuelle d’une précédente contrefaçon datée de 1555 (référée dans l’édition Anvers 1590) sans marque de cloture précédente au 53e quatrains de la IV, sans même présence de l’avertissement latin, déjà absent en 1590 dans l’édition Anvers des Grandes et Merveilleuses Prédictions, ce qui aurait rappelé l’addition à la VII, au-delà de la cloture, avec 40 quatrains à la VII, mais dépourvue de VI, 100.
Que nous manque-t-il donc dans ce puzzle centurique ? Dans plusieurs cas, nous disposons de bribes, une vignette, une page de titre.l’édition qu’il serait peut être le plus intéressant de retrouver ne serait-elle pas l’édition à six centuries faisant suite au contenu des éditions parisiennes (dont les années 1588-1589 sont postdatées). Cette édition dont nous supposerons l’existence devait se terminer par l’avertissement latin et comporter trois centuries pleines, compte tenu de la centurie IV ayant servi de matrice à cette nouvelle série de trois centuries. Elle précéde les éditions avec addition à la « dernière » centurie, ce qui renvoie selon nous à une septième centurie complétant les six premières. Il est probable qu’elle ne comporte déjà plus l’indication d’ajout à la Ive centurie mais son intitulé nous semble connu, c’est celui du titre de l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest qui ,finalement ne correspond pas à son contenu.
« Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais est imprimées » Ce titre n’indique pas l’existence d’une centurie VII qui pourtant s’y trouve. D’aucuns ont essayé d’expliquer ce nombre de 300 sans vouloir compter les 53 premiers quatrains de la IV, et en incluant les 40 quatrains de la VII. C’est là commettre un contre-sens. On est dans le domaine des faussaires. A un certain stade, il est clair que l’on veut faire oublier qu’il y a eu d’abord quelques quatrains à la IV, ce stade est dépassé. Officiellement, on a deux volets( au sein du »premier volet » et chacun du même nombre de quatrains, ce qui explique probablement pourquoi le «deuxiéme » volet est aussi à 300 quatrains, appelés au titre « prophéties ».Autrement dit, cette première édition Antoine du Rosne a la page de titre de l’édition à six centuries et éventuellement la vignette est la même dans les deux cas. Ajoutons que l’édition Anvers 1590, quant à elle, renvoie à un stade plus tardif à 7 centuries, puisque c’est son cas. Par son contenu, elle précéde le contenu (mais pas le titre) de l’édition Antoine Du Rosne 1557 Budapest…
En fait, en dehors de l’édition 1560 annonçant 39 articles à la centurie VI, les autres éditions, y compris Benoist Rigaud 1568 n’y font pas non plus référence en leur titre, tout en les comportant en leur contenu, si bien que cette centurie VII est une sorte de passager clandestin, la présentation officielle revenant à 3 blocs de 3 centuries chacun. Parler d’un ensemble de dix centuries trahit en quelque sorte l’intention des libraires. Il s’agirait en fait de 9 centuries, de 900 « prophéties » sous forme de quatrains, au regard des titres. La VIIe centurie certes existe puisqu’elle est suivie des centuries VIII , IX et X mais en même temps elle n’est pas parvenue comme pour la IV à se faire absorber dans un troisième lot de 300 « prophéties », ce qui aurait été possible quand on a réuni les divers ensembles. Mais la démarche troyenne ne visait pas à tout fondre en un seul lot mais de maintenir une impression de chantier. Le libraire troyen s’est, visiblement, refusé à recourir à certains subterfuges propres à ses prédecesseurs, et l’on peut dire qu’il l’a fait dans un esprit plus scientifique que ses prédécesseurs, en fournissant les diverses pièces du corpus sans tenter de les intégrer en un seul et même document. Cela ne l’a certes pas empeché de produire des contrefaçons mais il l’ a fait dans une certaine rigueur diachronique, correspondant à un dépouillemen de la documentation dont il disposait.
Nous sommes confrontés ici avec une bibliographie fictive dont il n’est pas moins nécessaire de saisir la logique et les revirements. Il nous faut résister en effet à la tentation de ne pas daigner appréhender avec toute la rigueur nécessaire la mise en œuvre d’une chronologie inventée. Mais par ailleurs, on ne saurait confondre la vraie bibliographie et la fausse et donc la vraie biographie et la fausse. Une bibliographie nostradamique qui mettrait sur le même plan, pour les mêmes années, vrais almanachs de Nostradamus et éditions centuriques contrefaites antidatées serait scientifiquement très hypothéquée.
Paris, 31 mai 2011
1* Docteur ès lettres, directeur de la Bibliotheca Astrologica (Paris). Mail : teleprovidence@yahoo.fr
Michel Chomarat / Jean-Paul Laroche, Bibliographie Nostradamus : XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Baden-Baden, Koerner, 1989. [infra, en abrégé : CHOMARAT – Robert Benazra, Répertoire chronologique nostradamique (1545-1989), préface de Jean Céard, Paris, La Grande Conjonction / Guy Trédaniel, 1990 [infra, en abrégé : BENAZRA ou RCN].
2 On pense au récent travail de Denis Crouzet, Nostradamus, Une médecine des âmes à la Renaissance, Paris, Payot, 2011.
3 Hervé Drévillon / Pierre Lagrange, Nostradamus, L’éternel retour, Paris, Gallimard, 2003. – Nostradamus, Prophéties, présentation par Bruno Petey-Girard, Paris, Flammarion, 2003.
5 [Jean Giffré de Rechac], Eclaircissement des veritables quatrains de Maistre Michel Nostradamus (…), [s.l., s.n.], 1656. Voir notre mémoire post-doctoral EPHE, 2007 : Le dominicain Giffré de Rechac (1604-1660) et la naissance de la critique nostradamienne au XVIIe siècle. Le texte est consultable sur le site : www.propheties.it/halbronn/.
6 Op. cit., voir note 1.
7 Pierre Brind’amour, Nostradamus astrophile. Les astres et l’astrologie dans la vie et l’œuvre de Nostradamus, Ottawa-Paris, Presses de l’Université d’Ottawa-Klincksieck, 1993.
8 Michel Nostredamus, Les significations de l’éclipse qui se fera le 16 septembre 1559, Paris, Guillaume le Noir, [1558].
9 [Antoine Couillard, seigneur du Pavillon les Lorris, en Gâtinais], Les propheties du seigneur du Pavillon lez Lorriz, Paris, Jean Dallier/Antoine le Clerc, 1556 [BnF, RES pR 40].
10 Jacques Halbronn, Le texte prophétique en France. Formation et fortune, thèse d’État, Université Paris X, Nanterre, 1999. Disponible en microforme : Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002.
11 Dans son édition des 353 premiers quatrains : Pierre Brind’amour éd., Nostradamus. Les premières centuries ou prophéties (édition Macé Bonhomme de 1955), Genève, Droz, 1996.
12 [Antoine Crespin Nostradamus/Archidanus], Propheties par l’astrologue du treschrestien Roy de France & de Madame la Duchesse de Savoye, dedies à la puissaance divine & à la nation françoise, Lyon, Fraçois Arnoullet, 1572. Voir notre thèse d’État, p. 1006 et ss.
13 Mais ce qui, avec le recul, nous apparait le plus intéressant est notre « Bibliographie Chronologique raisonnée des sources premières » consacrée à un corpus dépassant très largement celui concernant Nostradamus, qui n’était pas au centre de notre travail (Le texte prophétique en France, formation et fortune, Presses du Septenentrion, p. 1283 et ss.).
14 L’Endrogyn né à Paris le XXI juillet M.D.LXX (…) dédiée à monseigneur le président de l’Archer, Lyon, Michel Jove, 1570. Voir notre thèse d’État, p. 1037 et ss.
15 C’est-à-dire le quarante-sixième quatrain de la quatrième Centurie.
16 Chantal Liaroutzos, « Les prophéties de Nostradamus : suivez la Guide », Réforme, Humanisme et Renaissance (RHR), 23, 1986.
17 Jean-Aimé de Chavigny, La premiere face du Janus françois / Jani Gallici facies prior, Lyon, les héritiers de Pierre Roussin, 1594.
18 Édité partiellement par Bernard Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999.
19 The true propheties or prognostications of Michael Nostradamus, (…) translated and commented by Thoephilus de Garencieres, London, Ratcliffe and Thompson, 1672.
20 Voir notre ouvrage Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Éd. Ramkat, 2002.
21 Voir notre post-doctorat sur la Naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle, EPHE, Ve section, 2007, accessible sur le site propheties.it/Halbronn/ (cf. note 5).
22 E.-P.-E. Lhez, « Aperçu d’un fragment de la correspondancce de Michel de Nostredame », Provence historique, 1961, p.117 et ss. – Jean Dupèbe (éd.), Lettres inédites, Genève, Droz, 1983.
23 Cf . nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Feyzin, Éd. Ramkat, 2002.
24 Voir Anne Barbault, Introduction à l’astrologie, Paris, Albin Michel, 1985, p. 39.
25 Cf. Patrice Guinard, Le Manifeste, site Cura.free.fr
26 Cf D. Ruzo , Le testament de Nostradamus, ed. Rocher, 1982, p. 282, ouvrage paru l’année qui suivit le succés du livre de Jean-Charles de FOntbrune, chez les mêmes éditeurs., Nostradamus historien et prophéte.
27 On connait une édition des Prophéties par le libraire troyen Pierre chevillot, portant la mention « trouvez en une Bibliothèque délaissez par l’Autheur »,(BNF 7365, RCN, pp. 172-173)
28 Les quatrains pour 1555 paraissent dans la Pronostication pour 1555, ils n’apparaissent dans les almanachs qu’à partir de 1557.
29 Voir notre post doctorat, sur propheties.it
30 Voir P. Guinard, Nostradamus et l’éclat des empires, Ed BoD, p. 94
31 J. Halbronn « Le manuscrit latin 7321A (2-3) de la Bibliothèque Nationale de France (Paris) et les traductions françaises ptolémaïques et hippocratiques », in Bulletin de Philosophie Médiévale, 38, 1996, pp. 23-39
32 Voit fac simile sur site propheties.it.
33 C’est un des apports de la colection Ruzo que de cpmpléter sur ce point les bibliographies de Chomarat et de Benazra.
34 A consulter sur le site numérique Gallica de la BNF
35 Voir sur ces initiales, O.. Millet, « Feux croisés sur Nostradamus », p. 119
36 Divination et controverse religieuse en France au XVIe siècle, Cahiers V L Saulnier, Paris, 1987
37 Nous avons fourni la localisation des Prophéties à Olivier Millet pour ses Feux Croisés sur Nostradamus.
Espace Nostradamus n° 144 « Evaluation de la clef géographique des Centuries« 2005.
39 Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit. pp. 49 et seq.
40 Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, fac simile p. 457-459
41 O. Millet place à tort l’Epitre à Henri II dans l’Almanach pour 1557 (cf Feux croisés, p. 115)
42 Revue RHR 1986
43 Voir P. Guinard, sur la pronostication pour 1552, tlelle que rapportée par Chavigny dans le Recueil de Présages Prosaïques,.
44 Ce point n’a pas été explicité par P. Guinard dans son étude de la Centurie VIII, au centre de son Nostradamus et l’éclat des royaumes, BoD,2011
45 Cf notre fac simile in Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit.
46 Voir P.Guinard, CORPUS NOSTRADAMUS 76 —
47 Cf notre posface à L’Astrologie du Livre de Toth d’Etteila, Paris, Trédaniel, 1993
48 Cf notre postface à l’Introduction au jugement des astres de Claude Dariot, Ed. Pardés, Puiseaux, 1990
49 Cf Le texte prophétique en France, formation et fortune, Paris X, 1999
50 Voir P.. Guinard, « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) », Revue française d’histoire du lvre, n° 129, 2008,p.67
51 Le dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XV IIe siècle, EPHE Ve sectiion, site propheties.it
52 Cf sur cette année 1557, nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus.
53 Cf Le texte prophétique en France, formation et fortune
54 Cf reprint avec postface de J. P. Brach
55 Article in The Astrological Journal.
56 Cf Brind’amour, Les premières centuries, pp. 342-343
57 Voir notre étude dans les Actes Du colloque Verdun Saulnier, 1997.
58 Sur l’explication de « martiaulx » voir P. Brind’amour, Les premières centuries ou prophéties, Genève, Droz, 1996, p. 3
59 Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus ou la Lettre à César reconstituée
60 Cf le commentaire de P. Brind’amour, Les premières prophéties, op. cit, pp. 454-455
61 Voir Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002
62 Cf nos Papes et prophéties,, Boulogne. Ed. Axiome, 2005
63 Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op cit
64 Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, pp. 252 et seq
65 CORPUS NOSTRADAMUS 33 — par Patrice Guinard
La lettre de Nostradamus à César
(transcription, traduction, explication)
66 Voir notre post doctorat sur Giffré de Réchac. EPHE 2007, en ligne sur propheties.it
67 Et non l’Endrogyn comme dans le RCN, p. 95
68 Cf sur ce débat, B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op.. cit.
69 Cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France,. Formation et fortune, 1999. site propheties.it.
70 Voir pour l’année 1557, in Documents Inexploirés sur le phénoméne Nostradamus, Ed. Ramkat, 2002
71 Page de titre, n°34 du catalogue Nostradamus. 16th-18th Cenrury Books from the Collection of the late Daniel Ruzo, Swan, New York, 2007
72 Voir nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002
73 M Sognamillo situe à juste titre l’édition Buffet sous la Ligue. (Catalogue Scheler, p. 47 )
74 Voir Corpus Nostradamus n°65 d’où est pris le développement de son « Historique »
75 On n en connait que la page de titre, reprise sur Corpus Nostradamus 65, à partir de la présentation de la Collection Ruzo.
76 In Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit.
77 On trouvera un exemplaire de Pierre Mesnier un des libraires parisiens de la Ligue, en 1589, sur gallica BNF NUMM.
78 Cg nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Feyzin, Ed Ramkat, 2002
79 Voir notre postface à son Introduction, ed Pardés 1990
80 Sur ce dossier, cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil 1999
81 Cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op cit.
82 Cf nos Documents inexploités, op. cit pp. 52-53
83 Cf R. Benazra, RCN, pp. 194-195 qui place cette edition dans les années 1630 en ce que l’on ignorerait la date de publication.
84 Date de la permission mais qui ne figure pas au titre.(cf Ruzo, Testament, op. cit. p. 281). La date de 1611 est manuscrite selon le catalogue de la Maison de Nostradamus, (p. 40) qui posséde désormais cette édition
85 Cf RCN, op. cit ; p.. 35-37
88 Cet ouvrage du même auteur négligé par Chantal Liaroutzos touche à des pays au-delà du Royaume, faisnat l’objet de pèlerinage.(voir notre étude à ce sujet)
89 Signalons que le recours à ces guides est propre au seul « second » volet., ce qui selon nous indiqué une autre origine .
90 Rappelons nos travaux, Le texte prophétique en France, formation et fortune, Paris X, 1999 et le Dominicaiin Jean Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle, EPHE Ve Section, 2007, sur le site propheties.it. Guinard adopte notre thèse sur le fait que ce dominoicain est bien l’auteur anonyme de l’Eclaircissement, mais sans renvoyer à nos travaux dont il a eu cependant connaissance et d’ailleurs il se garde bien de citer notre nom dans son livre.
92 Voir dans ce sens son intervention au Colloque astrologique de Paris du 25 mars 2011, sur teleprovidence.
93 Dont le nom est d’un bout à l’autre du livre changé en Chevillard. (p. 437) y compris dans la bibliographie
94,
95 Voir Corpus Nostradamus, site cura.free.fr
96 Même perplexité face à la présentation de M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Baden, p.78, notice 141.
97 Reproduites dans nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat 2002 et dans Présages de Nostradamus de Bernard Chevignard, Seuil, 1999
99 Cgf une précédente étude nostradamiennne (2009) consacrées aux « deux épitres du mois d’aoust 1558. »
100 Cf R. Benazra, RCN, Paris, 1990,p. 156 et seq
Sur la date de la première impression des Centuries VIII-X (« second volet « )
A l’occasion de la parution de Nostradamus et l’éclat des empires, de Patrice Guinard